Far Cry 5 est l'un des pires jeux auxquels j'ai joué depuis plusieurs années.
C'est un jugement un peu brutal, et qui comporte sa part de subjectivité, mais je peux assurer mon cher lecteur que chaque mot de cette phrase est pesé. Far Cry 5 dépasse le statut de déception, à mes yeux.
Pourtant, il m'avait bien fait de l'oeil, ce mastodonte marketing, imposé dans le paysage médiatique par Ubisoft un bout de temps avant sa sortie grâce à des vidéos assez sympa centrées sur des personnages plutôt cools ; Un pasteur noir décidé à ramener ses brebis sur le droit chemin, une barman défendant son bout de lopin en souvenir de son père, un aviateur armant son biplan d'une gatling pour protéger sa famille... Les visuels du jeu laissaient entendre que la secte désignée comme "les méchants" ressemblerait sérieusement à un congrès d'électeurs de Trump plus tarés que la moyenne.
Et le trailer de gameplay de l'E3, bien que scripté à mort, mettait bien en avant la nouvelle feature des compagnons, pnj alliés dans votre lutte contre les fanatiques. Ca s'annonçait sympathique, voire plus.
Et bah mon cochon ! On est tombé de haut !
Le changement c'est... plus tard.
Je dis "on" parce que j'y ai joué en coopération de bout en bout. Et heureusement que mon partenaire était là pour me motiver, sinon j'aurai lâché l'affaire bien vite. Cette coop, c'est ce qui vaut au jeu de ne pas finir avec la note minimale. Je m'explique ; Far Cry 5 est un héritier direct, presque un frère siamois (dégénéré), des précédents. Oubliez ce que la presse a pu dire sur les "renouvellements" de la formule de la licence. Certes, on ne grimpe plus tous les 2h à une tour radio, mais pour le reste... On est en terrain conquis, dompté, apprivoisé et familier : C'est du FPS basique, à la sauce Far Cry, avec son lance flamme, ses drogues pour mieux encaisser, ses camps/bases/avant-postes à capturer, ses pnj tous semblables, et son open world fidèle aux anciens. Et vous sentez venir le premier problème : Rien de substantiel n'a changé. Certes, on est plus libres de nos mouvements mais on ne fait presque rien de neuf par rapport aux anciens FC ; Prendre un véhicule, défoncer des convois, tuer des ennemis d'élite, capturer des avants postes... Le sentiment de lassitude s'emparera de n'importe qui de familier avec la licence en moins d'une heure. Pour les autres... Le sentiment de découverte tiendra sans doute jusqu'à la fin, du moins je vous le souhaite.
La même, en pire.
Et encore, si il s'agissait d'une redite améliorée, du meilleur de ce que FC a pu proposé... Mais quelques minutes en jeu suffisent à se persuader du contraire. Des vidéos sur youtube montrent très bien à quel point FC5 est dénué d'une multitudes de détails présents dans l'épisode 2 de la saga et progressivement gommés au profit d'une approche plus arcade. Cependant, à mon sens il s'agit là d'un choix de game design que l'on peut très bien regretter, à titre personnel, mais pas réellement considérer comme un défaut objectif. En revanche, FC5 est insultant pour ses joueurs quand le ratage touche à des points aussi vitaux dans un FPS en open world que l'IA. Celle des ennemis, des alliés, des animaux... Tous les personnages non joueur de ce jeu se comportent comme des dindons sous acides. Ils n'exploitent jamais le terrain, vous repèrent parfois d'un coup d'oeil à 500m mais arrivent à vous louper alors que vous leur arrivez en plein dessus par le côté, les alliés foncent dans le tas sans réfléchir... Quand on retombe au hasard de youtube sur des séquences de Far Cry 2 où des ennemis blessés tentent de retenir le sang qui coule de leurs blessures et sont systématiquement assistés par leurs potes qui essayent de les traîner à couvert, difficile de ne pas se sentir outré par des ennemis qui, en 2018, tombent comme des piquets quand vous les blessez et font le légume en attendant d'être relevés. Je pourrais continuer longtemps sur la wingsuit bien moins intéressante que dans la vallée enclavée du 4 et handicapée par la disparition des deltaplanes qui permettaient avant de parcourir des distances aériennes impressionnantes ; ou bien sur le manque de variétés des armes, sur l'inutilité des armes avec silencieux qui sont captées à 10km, ou sur la propagation très excessive du feu qui rend le lance flamme quasi inutilisable sans mourir en boucle... La formule FC5 est non seulement peu modifiée mais les quelques changements sont pour le pire. Et c'est assez hallucinant de constater cela dans un jeu qui bénéficie d'un tel budget et de l'expérience de 5 jeux ! Non, à présent il est temps de s'intéresser à ce qui constitue les spécificités de ce jeu. Et là encore... mes aïeux, on est pas aidés !
A la fois vide, et trop plein
En 2018, après Breath of the Wild, God of War 4 ou encore The Witcher 3, Ubisoft n'a AUCUNE excuse pour sortir un open world aussi mal fichu. Tous ces jeux ont prouvé que l'essentiel pour qu'un open world soit amusant, c'est qu'il soit riche (sans atteindre l'étouffant d'un Skyrim), agréable à parcourir, varié dans la manière de le découvrir ainsi que de l'exploiter, et doté d'une ambiance propre. Et autant la nature sauvage de FC5 a de la gueule, autant sur tout le reste... Il se vautre complètement.
Le monde de Far Cry 5 est à la fois pauvre, et étouffant. Pauvre, car on voit toujours les mêmes champs, les mêmes collines, les mêmes rivières, et ça ne sont pas quelques éléments un peu spécifique (une statue immense du leader notamment) qui masqueront cela ; En réalité, vous passerez énormément de votre temps du jeu sur des routes impersonnelles et banales, ou dans des forêts qui n'ont rien de comparable en terme d'ambiance à ce que pouvait procurer l'épisode Primal (injustement boudé à mon sens). Et si vous êtes largués à un point de la map à la suite d'une mission, impossible de se repérer sans jeter un oeil à la map, signe que tout se ressemble et que rien n'en ressort.
Mais ce terrain de jeu est également étouffant, de par tout ce qu'il vous envoie à la tronche, comme pour compenser cette pauvreté dont les développeurs n'étaient que trop conscients. Ainsi, avant qu'une région ne soit libérée, essayez de rester 5 min sur une route et vous verrez une horde incessante de PNJ venir mourir sur vous (l'IA est stupide, on le rappelle) sans vous laisser une seconde de blanc. Et généralement, ce déchaînement n'est pas plaisant ! Et ce notamment car on ne fait que découper de la chair à canon, sans que le monde ne vive réellement à travers cela. Au final, seuls quelques avant-postes à conquérir auront une identité un peu marquée... Mais vous les passerez en 10 min grand max, sans y revenir puisque la secte ne regagne jamais du terrain. Et parlons en, de la secte...
Mais quel Eden du cul !
Je ne comprends pas les gens qui ont apprécié l'histoire, les personnages, la narration de ce jeu. Je me suis senti insulté, personnellement, par Ubisoft, en avançant dans l'intrigue. Non seulement ce FC échoue à recréer un questionnement pertinent sur la lutte menée comme le faisaient tous les précédents (Le 3 jouait sur la folie guerrière du héros, le 4 sur l'avenir du pays, Primal sur l'incompréhension entre les tribus), mais en plus il développe un propos dérangeant voire carrément malsain tout au long du jeu qui se retrouve néanmoins confirmé et validé par toutes les fins possibles ! De quoi filer la gerbe. Sauf que si il s'agissait juste d'un problème de message, je pourrais passer outre, comme certaines oeuvres peuvent me déranger profondément tout en me touchant.
Mais FC5 n'est JAMAIS touchant ! Sa narration se résume à : Vas dans cette zone, tue et détruit jusqu'à être capturé, puis évade toi en courant dans un couloir scripté, et recommence. C'est le niveau zéro du game design, du level design... De la narration vidéo-ludique en générale ! La promesse du jeu qui était d'avoir une liberté de choix d'actions s'effondre face à un scénario où le héros se fait constamment avoir et trimballer comme un sac à patates entre des bunkers d'où il s'échappe invariablement pour mieux retomber dans le même piège. Et le reste n'est pas beaucoup mieux ! On sent que les scénaristes ont créé un casting de rôles secondaires et tertiaires en pensant accoucher d'un GTA V de la campagne, avec des personnages truculents... C'est raté. La plupart des PNJ possédant des dialogues sont des clichés sur pattes, ni touchants ni drôles (Si quelqu'un a rit à une blague du chimiste junkie, je l'invite à abréger son existence) et envoient à la face du joueur des tartines de textes et de dialogues sans intérêt. Et contrairement à ce que font la plupart des autres jeux (comme Borderlands 2, sorti en 2012) qui casent les dialogues pour meubler les déplacements, FC5 impose au joueur de rester immobile, inactif, devant chaque PNJ pendant que ce dernier lui fait profiter de sa synchro labiale foireuse et de ses sous titres aux fraises. Les quêtes secondaires s'en ressentent ; généralement inutiles, type Fedex, sans aucune mesure avec les puzzles du dernier Zelda ou les petites histoires variées de The Witcher 3
Le summum de l'insupportable culmine avec les quatre antagonistes principaux, et le traitement de la secte en général. Ainsi, au début de l'aventure et déjà dans les trailers, on nous explique que ces fanatiques ont largement violenté, enlevé, torturé, drogué et tué des centaines de personnes dans le comté. Pourtant, tout au long de l'aventure et après avoir bien insisté pour les présenter comme des psychopathes, le jeu essaye de provoquer chez le joueur un changement de regard, à grands renforts de dialogues pleins d'une vérité tragique comme "LES BANQUES TE MANIPULENT !" ou "L'HUMANITE NE SURVIVRA QUE GRACE AUX FORTS !". Tout ceci est sensé provoquer de l'empathie (on pense aussi aux séquences où Joseph raconte son passé, interminables et clichées), mais échoue lamentablement là où FC3 et 4 avaient plus ou moins bien réussi. Notamment car là où ces jeux imposaient de jouer des héros dotés de backgrounds, de caractères, bref, d'une personnalité qui changeait au fil du parcours de ces personnages (Le héros de FC3 sombre ainsi petit à petit dans la folie, ce qui aide à le rapprocher de Vaas), le héros incarné dans FC5 est une coquille vide, sans aucune personnalité et il n'évolue jamais, ne parle jamais, n'existe jamais réellement. D'ailleurs cette non existence apparaît encore plus clairement au J2 d'une partie en coop, qui cesse littéralement d'exister pendant les cinématiques. De quoi se sentir investi...
Donc on a affaire à un jeu qui raconte mal, une histoire mal écrite, avec des personnages clichés et que les développeurs ont échoué à rendre ambiguë. Que reste il ? La fin !
Et bien celle ci est l'une des pires qui m'ait été donné de voir. Que ceux qui ont été outré par ce sentiment de vacuité lors de la fin de Mass Effect 3, après avoir passé trois jeux à lutter pour un résultat décevant, passent impérativement leur chemin ! Cette fin, je l'ai trouvé aussi ignoble dans son message (mais ça, c'est mon problème) qu'inacceptable en tant que joueur (et là c'est le notre). Attention, ça spoile :
Cette double fin en forme d'échec pour le joueur est à mon sens :
1- Très dangereuse puisque le jeu se veut actuel, contemporain, fidèle à la réalité du Montana. Donc faire passer le message que dans l'histoire, celui qui a raison depuis le début, c'est le leader fanatique religieux, meurtrier et tortionnaire, c'est une légitimation de la violence qui m'inquiète. Parce qu'en rendant "cool" ce genre d'actes, on inspire des vocations, surtout aux US.
2- Indigne d'un jeu. Ainsi, le simple fait que le joueur soit privé de jeu en approchant de l'Eglise finale, qu'il se retrouve inactif dans une cinématique, à confronter Joseph (désarmé) sans pouvoir l'arrêter ni le tuer, alors que ce dernier a magiquement brainwashé tous les alliés rencontrés dans le jeu... C'est une erreur de game design. Pas un choix douteux ; une erreur. Déjà parce que se retrouver avec tous les flics recapturés, c'est dire au joueur : "tout ce que tu as fait n'avait aucun impact" (ce dont on pouvait se douter vu le niveau de la narration en général). Mais surtout, c'est faire complètement fi de la liberté du joueur (pourtant mise en avant par le choix de l'Open World) de lever son flingue et de simplement tirer une balle dans la tête de l'antagoniste. Au final, on suit le désastre nous tomber dessus à travers une cinématique comme si l'on suivait un simple film. D'où une question ; Pourquoi ne pas avoir fait un film avec cette histoire ? Dans un film, les scénaristes auraient été légitimes à donner à Joseph une croix en scénarium qui en fait littéralement le véritable fils de Dieu (légitimant ainsi toute son action, on croit rêver !) et justifie qu'il soit forcément gagnant. Parce que là, le jeu trahit son statut de jeu en crachant à la face du joueur que, alors même qu'il n'a jamais eu le choix quand à la manière de régler le conflit, il était dans l'erreur depuis le début et que tout est de sa faute. Personnellement, lorsque Joseph m'a ainsi accusé, j'ai répondu le plus sincèrement du monde : "Non, c'est toi qui a tout causé depuis le début, et je t'emmerde, scénariste à la noix, de me priver de ma liberté de répondre à ton personnage à coup de phalanges dans les molaires".
J'ajouterai que si vous espériez comme moi un traitement intéressant pour le personnage, finalement toujours invisible et inintéressant, de Clutch, ou des trois personnages présentés dans les trailers, vous en ressortirez déçu. Au final, ils n'ont pas droit à plus que quelques lignes de dialogues, ce qui me fait me dire qu'entre la polémique avec l'Alt Right et ces fameux trailers, le marketing du jeu l'a largement desservi.
On finira d'ailleurs en rassurant les crypto-fachos ; Non, contrairement à ce que certains avaient cru, FC5 n'est absolument pas un brulot contre l'Amérique et ses nationalistes. Nos alliés sont souvent aussi dégueux que les membres de la secte, et les deux camps comportent leur lot de femmes et de gens de couleur. Tout ce qui aurait pu constituer un propos politique a ainsi été savamment expurgé de ce jeu qui évoque ainsi plus un roman "trop dark" écrit par un ado dépressif et "nihiliste" qu'une chronique tragique d'une Amérique devenue folle. La NRA et autres excités du drapeau apprécieront.
En bref, FC5 est un échec sur toute la ligne : Une histoire mal écrite et mal racontée, desservie par un gameplay fatigué et en mal d'innovation, dans un terrain de jeu peu plaisant. Je ne peux que vous le déconseiller excepté aux deux strictes conditions que ça soit votre premier Far Cry, et que vous ayez un pote marrant avec qui y jouer. Alors, le jeu doit être au moins amusant, à défaut d'être inventif, original ou marqué par un quelconque instant de génie.
Par contre, écoutez la bande son sur youtube, elle défonce !