Pour commencer, je ne suis pas un fan hardcore de Far Cry.
Si j'ai joué à chaque épisode (oui, même les bouses d'adaptations console), je dois bien avouer que je n'en ai pas fini un seul depuis le 3. C'est une licence que je trouve vraiment sympathique, sans nécessairement être incontournable ni majeure dans le paysage (très limité) du FPS en open world. Si le 4 était une transposition du 3 dans l’Himalaya, j'avais passé 20-25 heures en free roam sur Primal, dont le twist était vraiment sympa, notamment dans son approche de la chasse.
FC5 ne semble pour le moment que très peu déroger à la formule.
On est encore propulsé dans un très beau OW, débordant de choses à faire et aussi animé et dense qu'un parc d'attraction. Restez près d'un axe de circulation majeur, vous bolosserez rapidement la moité de la population de l'île, humains comme faune.
Ce n'est pas nécessairement fâcheux, mais quelque part c'est un peu le début de la lettre d'intention des développeurs : le joueur doit s'amuser chaque seconde, ne jamais rester oisif pour ne pas s'ennuyer. Soit.
On retrouve une structure tout à fait similaire aux précédents jeux avec un découpage de la surface de jeu en régions et sous-régions, chacune avec leurs petites spécificités (faunes, reliefs, commanditaires et antagonistes) et globalement les mêmes éléments de gameplay, devenus classiques. On alterne ainsi toujours entre le massacre de la faune (au pare-buffle pour attendrir la viande), la libération d'avant-postes, la réalisation de défis annexes tout en jonglant entre une grosse demi-douzaine d’événements aléatoires (convois, otages, barrages, patrouilles, assassins, animaux sauvages à chasser, hélicoptères).
Le jeu laisse toujours la part belle au free roam, avec la réutilisation des mêmes possibilités de déplacement (le grappin, le parachute, la wingsuit et l'ensemble des véhicules), favorisant l'exploration à vue, peut-être plus que dans les précédents, mais j'y reviendrai juste en-dessous, dans la partie consacrée aux révisions.
Enfin, Far Cry 5 réutilise lui aussi le système de compagnonnage introduit il y a quelques opus, permettant le recrutement d'alliés humains comme animaux pour nous prêter main forte.
Le jeu conserve donc sa coloration très arcade, tant au niveau des déplacements que des gunfights, avec des armes qu'il sera possible d'acheter et customiser. Côté feedback c'est toujours sympa, mais à des années lumières de ce que savent faire Machine Games et id Software. Mais l'arc est toujours aussi plaisant, donc je survivrai !
Maintenant je vais m'appesantir sur les changements et maigres nouveautés entrevues.
Tout d'abord d'un point de vue game design, Ubi Soft abandonne avec humour les sempiternels point hauts (tours et antennes) dont la capture était nécessaire à la révélation des activités des zones. Désormais il faudra compter sur des libérations d'otages pour ajouter des points d'intérêt sur la carte, au détour d'une conversation. Ce choix de gamedesign est assez bienvenu, remettant au cœur du jeu la composante exploration et improvisation. Désormais on se focalise moins sur les icônes et on se concentre davantage sur ce que l'on voit à l'horizon, un peu à la manière d'un Open World dont on vous a rebattu les oreilles en 2017. Dépendant de ce que vous attendez d'une production de ce type, il peut être intéressant de retirer une par une toutes les aides du jeu, afin de se trouver lâché sans filet dans ce Montana sauvage.
Le système de crafting et de progression a lui aussi subi pas mal de modifications intéressantes. Capitalisme oblige, désormais la chasse (ou la pêche, à la canne, beaucoup plus pratique) ne permet plus la confection d'équipements d'amélioration, simplement d'engranger des brouzoufs à dépenser dans divers magasins. D'ailleurs une grande partie des équipements que l'on s'empressait de construire auparavant sont désormais déblocables dans le menus des compétences. C'est pas nécessairement cohérent, mais ça a le mérite de concentrer l'ensemble des axes de progression du joueur, sans qu'il n'ait à se perdre parmi plusieurs menus pas forcément bien branlés. Au final le moteur de progression du joueur s'alimente surtout via la nécessité de réaliser des défis, afin d'engranger des précieux points de compétences servant au déblocage de nouvelles capacités et équipements.
Je note aussi la mise en valeur des caches de survivalistes, petites zones consacrées à l'exploration et à la résolution d'énigmes sommaires, largement récompensées.
Dernière petite chose : on peut désormais piloter un avion. Personnellement je m'en bats les gonades avec une porte fenêtre, mais je pense que ça en contentera certains.
À la marge de cette analyse côté gameplay, le moteur Dunia affiche de bien belles choses et semble très bien optimisé, ce qui est toujours très appréciable. Je regrette toujours l'obligation de passer par cette vieille merde de plateforme Uplay, qui même si elle a bénéficié d'une sacrée marge de progression, se permet de faire ramer le jeu dès qu'elle ouvre une fenêtre de chat.
Petite gueulante en revanche côté diversité des modèles d'ennemis, franchement limitée, surtout dans un jeu ou on défouraille du redneck à la tonne. L'impression de massacrer une fratrie infinie de jumeaux de Mark Boone Jr a tendance à me faire pouffer de rire de façon tout à fait idiote.
En revanche côté IA c'est toujours franchement passable. Les ennemis comme les alliés sont cons comme des manches à balais et semblent parfois complètement perdus dans leurs scripts, se faisant reléguer au rang peu enviable de vulgaire chair à canon.
Mention spéciale pour le système d'infiltration encore et toujours identique et très limité. Inutile de dire que considérant ces deux grosses lacunes, les missions furtives de sauvetage sont rapidement des plaies, alors faites comme moi : laissez les VIP ligotés jusqu'à la dernière flèche, vous vous économiserez un joli facepalm.
N'hésitez pas à passer en mode de difficulté maximale si vous avez un peu de bouteille, c'est déjà largement gérable, sans même évoquer la perspective de grosbillisme à l'horizon.
Passées ces considérations techniques, j'apprécie le cadre du Far Cry nouveau pour son numéro d'équilibriste car l'écriture, sous ce vernis permanent de gogolerie absurde aborde quand même bon nombre de problématiques. Et pas besoin d'atteindre la fin du jeu pour s'en rendre compte.
Alors attention chérie, ça va spoiler, de façon assez mineure, mais spoiler quand même !!!
Les lieutenants et Joseph incarnent chacun une facette sombre de la société américaine contemporaine.
-Joseph, le messie, est un homme médiocre brisé par la misère ;
-Jacob est un ancien vétéran traumatisé dont on suppose que l'accompagnement n'a pas été concluant ;
-Faith a trouvé refuge dans la drogue pour fuir l'acharnement dont elle faisait l'objet ;
-John est un enfant battu qui s'est ré-inventé dans le self-improvement.
L'insurrection de Joseph Seed et sa bande n'est que le
renversement violent et fou de l'ordre établi par les opprimés mis au ban de la société américaine.
Si les méthodes employées par la secte sont hautement discutables, c'est déjà plus difficile d'en attaquer l'idéologie, surtout quand on peu jauger ses opposants.
90% des personnages alliés locaux sont des républicains arriérés, survivalistes, traditionalistes et puritains, pro 5° amendement et ouvertement anti-démocrates.
On va s'efforcer tout au long du jeu de contrecarrer cette insurrection à coups de bastos pour maintenir l'ordre établi. On punit donc par la violence une insurrection populaire dont l'origine est une réponse à la violence sociale, on traite les symptômes des problèmes sociétaux via un personnage principal instrumentalisé, juge et bourreau.
C'est d'ailleurs plutôt curieux de voir cette américaine "fondamentaliste" s'en prendre à une dérive sectaire du protestantisme, alors qu'il est l'essence même de l'établissement des colons sur ces terres.
Un peu à la sauce Metal Gear,
le jeu nous fait prendre parti pour un camp qu'on ne choisit pas, tout en insinuant, entre deux attendrissement de caribous au pare-buffle, un sentiment croissant de malaise.
Les lieutenants perdent peu à peu leur uni-dimensionnalité, sans que cela n'excuse leurs actes pour autant, jusqu'à ce qu'on mette un terme à leur folie, à la manière d'un colonel Kurtz au Laos.
Maintenant, attention, spoiler majeur sur la toute fin du jeu /!\
Joseph adopte depuis le début une démarche pacifiste et demandait la paix, pronant le pardon, malgré le massacre perpétré.
Le déluge nucléaire est l'aboutissement de cette escalade dans l'horreur, parachevant la figure messianique de Joseph et de son apôtre (le joueur) sur une fin ouverte.
Je ne dis pas que c'est un jeu magnifiquement écrit, mais c'est impossible de passer à côté du sous-texte politique. Tout y est, mais de manière bien moins frontale que ce que la promotion du jeu ne nous le laissait envisager.
Il est maintenant temps pour moi de conclure cette critique : Far Cry 5 n'est pas le renouveau de la série. La surcouche politique du jeu, bien moins sale gosse qu'espérée est bien présente, sans être embarrassante pour le joueur qui s'en moque éperdument.
Moi j'y vois un Open World sympa avec tout un aspect meta qui faisait défaut aux deux précédents opus. Ce n'est pas un incontournable, mais il ne manque néanmoins pas d'arguments.