Disclaimer à lire
Avant toute chose: sachez que cette critique sera séparée en deux parties. La première sera classique et parlera du jeu sorti le 29 Novembre 2016 suite aux promesses annoncées depuis l'E3 2013. La seconde se penchera plus sur le passé du projet et son développement et en quoi il a évolué en bien comme en mal pendant 10 longues années.
J'ai fait cette découpe pour avoir la possibilité de parler de l’œuvre de deux points de vue différents qui remettent en question sa qualité car il est très clair que Final Fantasy XV et Final Fantasy Versus XIII ne sont pas le même jeu.
Sachez aussi que cette critique contient des spoilers (je mettrai quand même des balises ne vous inquiétez pas). Le scénario du jeu étant très light, j'ai besoin d'exemples concrets pour illustrer mes propos.
Sur ce, bonne lecture !
Manifestation finale d'un rêve longtemps oublié, l'univers d'Eos arrive enfin à nous pour essayer nous émerveiller une nouvelle fois (la quinzième même) en tant que nouveau membre cette grande saga qu'est Final Fantasy. Mais la réalité dont veut se baser cette histoire ne briserait pas malheureusement ce rêve que des millions de fans ont eu pendant 10 ans ?
Partie 1: A Fantasy
A plothole trip
Le jeu commence par nous présenter notre quattuor à gel ultra fixant voyageant vers Altissia pour que Noctis, le prince de la ville d'Insomnia et seul personnage jouable de cet opus, se marie à Dame Lunafreya, l'oracle officiel pouvant dialoguer avec les dieux. C'est ainsi qu'il nous est possible dès le début du jeu de profiter du monde ouvert de Final Fantasy XV avec ses quêtes et environnements. Et on sent déjà des problèmes de cohérences entre l'histoire et la carte qui nous est proposée. Pourquoi a-t-on droit à un monde ouvert quand Noctis est supposé se rendre à Altissia dans les plus bref délais ? Et c'est comme ça dans pleins de moments du jeu où on a la possibilité de mettre l'histoire "en pause" alors que de manière générale les personnages sont tout le temps dans l'urgence. Et autre gros problème de l'histoire c'est que toute la mythologie du jeu n'est pas expliquée clairement. Qu'est-ce que le Niflheim ? Qu'est-ce qui a causé la guerre ? Pourquoi Noctis soit se marier ? Qu'est-il arrivé à Regis pendant l'attaque ? Quel est le pouvoir de la famille royale et à quoi sert le cristal ?
La plupart des réponses se trouvent dans le film Kingsglaive qui est censé être un complément à l'histoire du jeu mais en réalité ce film est extrêmement important pour comprendre les enjeux.
Et ce n'est pas juste le début, tout dans ce jeu donne l'impression qu'il manque des informations concrètes sur les évènements importants de l'histoire. Que ce soit au niveau de l'univers de manière générale mais aussi sur les personnages que ce soit ceux du Lucis ou de Niflheim, on ne sait jamais ce qu'ils sont en train de faire. Ce qui fait donc que dans les rares moments où une scène importante nous est montrée, le joueur n'a pas eu les informations nécessaires pour s'attacher aux personnages. Exception est bien sûr pour notre équipe évidemment même si il y a quand même des moments où on se demande d'où sort telle ou telle révélation.
Je pense notamment à l'origine de Prompto qui nous est révélée au compte-goutte par Ardyn sans indices préalables et incomplètes. Oui il vient de Niflheim mais on a aucun réel développement ou indices montrant que Prompto ne se sent pas à sa place (mise à part des scènes facultatives dans les camps), d'ailleurs vous saviez que Verstael Besithia (ce mec) n'est autre que le père de Prompto ? Et vous voulez savoir où on l'apprend ? Pas dans le jeu mais dans le guide officiel...
Autre chose, peu de temps après la sortie du jeu, Square Enix a publié une nouvelle adaptée d'un drama cd japonais racontant le dernier jour de Noctis à Insomnia avant son départ. On y apprend entre autre que l'un des membres de la garde rapproché du roi est l'oncle d'Ignis. A aucun moment celui-ci demande ce qui lui est arrivé dans le jeu.
Je ne parlerai même pas de la disparition pure et simple de Gladio pendant une partie du jeu sans explication ainsi que tout le développement de Ravus qui n'est fait qu'en surface.
On a l'impression que le scénario est très effacé si on essaye d'explorer un peu plus le Lucis. Néanmoins, le jeu réussi à justifier cet éloignement de la trame principal par le personnage de Noctis qui lui-même veut se détacher de toutes ces obligations. Je crois qu'une fois qu'on comprend ça on peut accepter ce scénario en retrait.
On a donc une première partie de jeu assez libre qui devient dirigiste après l'arrivé à Altissia. Un certain évènement va déclencher une plus grande implication de Noctis dans le combat contre le Niflheim et le rythme deviendra beaucoup plus soutenu pour arriver à un final relativement grandiose. Le seul problème de cette seconde partie étant le chapitre 13. Purge ludique à n'en plus finir avec une répétitivité frustrante et une mise en scène et une ambiance complètement hors sujet qui vient totalement saccager les révélations du chapitre car on est plus occupé à insulter le level design du donjon qu'à écouter Ardyn nous raconter sa vie.
Nous sommes donc en droit de se demander si le jeu n'avait pas plus à apporter niveau histoire avec en plus des ellipses douteux d'évènements qui seront révélés dans des futurs DLC.
Les nouveaux venus
Ce Final Fantasy se veut plus ambitieux par rapport à ces prédécesseurs mais il veut aussi et surtout attirer un plus grand nombre de joueurs. C'est pour cela que le genre devient un action-RPG. Ce changement avait déjà été opéré en partie sur la saga Final Fantasy XIII avec un système beaucoup plus dynamique. Autre changement, comme dit plus tôt, Noctis est le seul personnage jouable du jeu.
Qu'est-ce que ça donne en jeu ? Des combats très jouissifs avec la possibilité de passer à un mode stratégique pour mieux gérer ses attaques. Les différents types d'armes que peut utiliser Noctis sont très plaisants à jouer et les enchaînements sont très fluides. Le gros point fort du gameplay étant évidemment les assauts éclipse qui permettent de s'accrocher à des structures élevées et effectuer une attaque plongeante dévastatrice. En plus du combat rapproché, le jeu donne la possibilité de crafter des essences élémentaires qui permettront de forger différentes magies.
Bien que non-jouables, les compagnons de Noctis peuvent être appelés à la rescousse via une compétence de soutien activable après un certain temps selon une jauge dédiée.
Le jeu fournit quand même une légère dimension RPG. Différentes compétences basées sur les actions de Noctis, celles de ses camarades, la magie, etc. peuvent être débloquées.
Et le tout fonctionne bien. L'évolution des personnages se voit et on réussit à s'améliorer au fur et à mesure des niveaux. Par contre le système de gain de niveau est assez game breaker. L'expérience est acquise une fois qu'on a passé une nuit dans un camp ou dans un hôtel, mais le problème, c'est qu'on peut facilement enchainer les journées à amasser de l'expérience et se rendre dans un hôtel où on a un bonus d'expérience x2 ou x3 et littéralement rouler sur le jeu à partir de là.
Il faut aussi savoir que même si le gameplay typé action amène un certain challenge. Une fois qu'on comprend comment fonctionne les esquives et qu'on a débloqué les bonnes compétences (le ballet aérien et la récupération de mana par exemple) il est facile de battre certains ennemies beaucoup plus expérimenté que nous car ils ont des patterns d'attaque assez simple à assimiler. (J'ai réussi à battre un monstre niveau 120 en étant toujours niveau 92 simplement parce qu'il avait juste trois ou quatre patterns d'attaque. Le combat était long, mais faisable).
Donc le gameplay est bon pour le peu qu'on essaie de jouer le jeu. Malheureusement, si on veut un vrai challenge il faudra se concentrer sur les donjons facultatifs déblocables après avoir acquis les 13 armes fantômes.
Le jeu possède aussi un système de quêtes. Elles sont divisées en 3. Les quêtes principales, les quêtes secondaires et les quêtes de chasse. Les deux premières sont assez classiques mais le problème vient de la dernière catégorie. On ne peut activer qu'une quête de chasse à la fois ce qui fait qu'on est obligé de revenir au restaurant de la quête à chaque fois au lieu de faire qu'un seul aller-retour.
Les quêtes secondaires quant à elles sont vraiment intéressantes. Elles ont l'air simple et relativement classique au niveau de leur contenu scénaristique mais elles permettent de découvrir de nouveaux lieux et donjons ce qui renforce le thème principal du jeu, le voyage.
Step by step
Le Lucis est magnifique. Se balader dans les plaines, près du lac, du volcan ou même des marais ne m'a pas lassé une seconde. Le bestiaire est lui aussi extrêmement bien travaillé. La plupart des monstres sont inédits à la série et ne font pas honte à la longue liste d'ennemis emblématiques des Final Fantasy.
Les donjons quant à eux ont une très bonne ambiance. Leur design varie par contre. Certains sont très dirigistes alors que d'autres sont vraiment labyrinthiques et il n’est pas anodin qu'on y reste perdu pendant un bout de temps.
Je suis quand même déçu qu'on ne voit pas certains autres lieux plus en détail comme Tenebrae ou la capitale de Niflheim.
Toute cette carte est parcourable à pied, à dos de chocobo ou en Regalia qui est un véhicule sympathique. Sa conduite est certes bridée mais elle amène vraiment une bonne ambiance road trip avec les personnages qui discutent et réagissent aux environnements qui les entourent.
En parlant du groupe, ils ont une très bonne cohésion soutenu par de bons dialogues et animations qui renforcent ce côté voyage entre potes.
A boysband routine
La musique du jeu ne m'a malheureusement pas marquée. Cela est dû à une musique de worldmap trop peu présente et à des thèmes pas si emblématiques que ça. Les pistes que je retiendrai sont Somnus, Stand Your Ground (un excellent thème de combat), Melancholia, Hellfire, What Lies Within et Ravus Aeterna.
Le reste est trop anecdotique que ce soit pour la série ou le travail de Shimomura. Pour rappel ses musiques de boss de fin c'est ça pour un de ses anciens travaux sur Parasite Eve et plus récemment sur Kingdom Hearts. Là pour le boss de fin, on a juste une reprise de Somnus....qu'on connait depuis 10 ans.
Je profite de ce moment musical pour parler du sound design du jeu. Il n’est vraiment pas terrible. Les musiques de combat continuent pendant une cinématique juste après que le combat soit terminé, la musique de worldmap vient quand ça lui chante mais surtout, les combats dans les donjons démarrent d'un bruit strident digne d'un screamer de film d'horreur cheap. Et c'est bien plus horrible dans le chapitre 13. L'ost peut être apprécié différemment selon les goûts mais avec une telle mise en place, c'est difficile d'avoir une qualité d'écoute optimale. Et plus des musiques, c'est toute l'expérience de jeu qui est touchée par ce problème.
Stand by me
Pour finir, mon ressenti sur le jeu est vraiment en demi-teinte. Autant j'apprécie les idées de mise en scène par moment, le gameplay très frénétique, cette ambiance roadtrip, l'ambition du jeu d'une manière générale mais il y a trop de défauts qui font que je ne peux pas l'apprécier à sa juste valeur. Le scénario beaucoup trop charcuté avec de trop grosses zones d'ombres, le personnage de Noctis pas assez travaillé, le manque de développement des personnages secondaires, l'ambiance ruinée à certains moments pour cause de sound design médiocre font de Final Fantasy XV un jeu moyen qui ne réussit malheureusement pas à se démarquer plus que ça par rapport aux autres jeux du médium.
Partie 2: A reality
Cette partie est consacrée sur le projet Versus d'une manière générale, sur les différentes possibilités que le jeu révélé en 2006 avait amené et les différentes directions qu'il aurait pu prendre.
Je vous conseille d'abord d'aller lire en détail ce thread (attention spoilers) qui contient des informations très intéressantes sur le développement du jeu et les idées qui ont été abandonnés en cours de route. C'est sur base de ce thread que je vais vous détailler mon ressenti sur ce que ce projet déjà vieux de 10 ans.
Pour illustrer le déroulement du projet, je vais prendre un exemple. Imaginez que vous cuisinez un dessert. Jusque-là, vous avez réuni les meilleurs ingrédients pour faire le meilleur dessert que vous avez imaginez. Vous en parlez à tout le monde et vous organisez un diner chez vous. Pas de peau, vous êtes occupé toute la journée et demandez à votre colloc' de préparer le dessert pour ce soir mais vous ne lui laissez uniquement les ingrédients en pensant qu'avec de telles ingrédients de bonnes qualités, il ne peut pas se tromper.
Sauf que votre ami il est en galère. Il sait juste qu'il doit faire un dessert et qu'il n'a pas beaucoup de temps. Du coup qu'est-ce qu'il fait ? Il improvise, il fait du mieux qu'il peut avec ce qu'on lui donne pour faire le meilleur dessert pour lui. Le résultat final sera donc très différent de ce que vous-même avez prévu à la base.
2006, l'année de l'annonce du projet Versus XIII qui était censé être un spin-off de la saga gravitant autour de la mythologie Fabula Nova Crystallis. C'est à partir de cette annonce que Tetsuya Nomura, le directeur du projet à l'époque, a obtenu sa réputation de master teaser car à part le trailer d'annonce, il n'y avait rien de concret sur le jeu. Mais on avait quand même de la matière, un lieu, une ambiance et un personnage. Et cela a attisé la curiosité des fans de voir un jeu aussi mystérieux pointer le bout de son nez.
Selon Nomura, Versus XIII avait comme sujet principale la mort et l’au-delà. Stella (personnage abandonné dans XV) et Noctis était les seuls à entrevoir l'autre côté de la mort.
Au fur et à mesure que le temps avançait, le scénario se développait (à un rythme faible certes) et il semblerait qu'il était prévu de faire de Versus une trilogie compte tenu de l'ambition du scénario et des environnements visitables.
Nous arrivons donc à l'E3 2013, l'annonce du retour du jeu sous le nom de Final Fantasy XV. Cette période est assez floue car si on regarde bien le trailer, on voit clairement que certains aspects du premier scénario sont encore persistants. Stella, l'ancien design du père de Noctis et la découpe en 3 jeux étaient toujours d'actualité. C'est à partir de là que le compte à rebours commence car c'est à partir de 2013 que le jeu passe en réel phase de développement. 3 ans pour terminer ce que Nomura avait entamé et enfin faire plaisir aux fans qui attentent ce jeu depuis déjà plus de 6 ans.
Encore un point sur ce trailer, car je le trouve très intéressant, les développeurs ont avoué que tout était pré-calculé. Il n'y avait pas réellement de phases de gameplay. Ce trailer servait à montrer ce à quoi le jeu pouvait ressembler (et on voit ce que ça a donné). Je trouve cette méthode assez malhonnête et influencée par la dimension corporate vers laquelle Square Enix se dirige depuis quelques années. Ceci est couplé au fait qu'il était décidé que le jeu devait sortir pour 2016 au plus tard. Pour respecter cette deadline, le jeu de Nomura a subit énormément de modifications jusqu'à arriver à un autre jeu ce qui a causé le départ de celui-ci concernant la direction du projet. On a donc un tout nouveau scénario, un nouveau scope de projet qui devrait respecter les contraintes de Square Enix et un nouveau directeur plus professionnelle, Hajime Tabata. Mais malgré tout ça, le jeu se voit coupé de pas mal de zones et de phases de jeux.
Cela est dû non seulement au manque de temps mais aussi à l'envie du directeur d'inclure des éléments demandés par les fans plutôt que d'avoir une véritable intention de réalisation personnelle. Je ne sais pas si cela est dû directement à Tabata. On remarque par exemple que récemment Square Enix à la fâcheuse tendance de caresser le fan dans le sens du poil en lui donnant tout ce qu'il trouve pertinent à un "vrai ff" pour pas avoir une horde de déçus boycotter la série (World of Final Fantasy, Theatrhythm, la constante sortie d'anciens Final Fantasy sur les consoles récentes ou sur PC). C'est pour cela à mon avis que le jeu s'est perdu en voulant ajouter des features comme la Regalia type F (qui reste assez oubliable). L'importance de la fanbase Final Fantasy est donc primordiale pour eux, comme si le fiasco XIII leur est resté encore au travers de la gorge.
On arrive donc à l'impression que donne ce Final Fantasy XV une fois terminé. Une sensation d'inachevé, que le jeu est une espèce de brouillon de deux projets distincts: Versus XIII et Final Fantasy XV qui n'a pas réussi à s'affranchir de son passé pour devenir une œuvre à part.
Donc contrairement à ce que j'ai dit dans la conclusion de la première partie, de ce point de vue là, du point de vue développement, je trouve le jeu extrêmement intéressant. Ce jeu représente cette scission qu'un média peut avoir au niveau industriel et artistique. Versus XIII était un projet qui tenait à cœur à Nomura où il voulait exploiter sa créativité à fond mais n'était pas du tout compatible avec le modèle de gestion de projet de Square Enix qui le considérait semblerait-il comme un gouffre financier. Final Fantasy XV (le jeu complet qui devait être terminé en 3 ans, pas ce qu'on a eu fin Novembre) correspond totalement aux exigences d'entreprises qui doit fournir un délivrable fini après un temps fini. Le projet a donc été un échec des deux côtés.
Et donc la version qu'on a eu est une espèce de mélange bâtard des deux qui ne sait pas sur quel pied danser et je trouve ça de nouveau vraiment intéressant à observer et je pense que le jeu démontre bien que le jeu vidéo, tout comme le cinéma, la littérature, la musique, n'est pas à l’abri d'une industrialisation totale de sa production. Et cette industrialisation sert justement à contraster avec le côté beaucoup plus artistique que les jeux peuvent prendre.
Final Fantasy XV est donc marquant de ce point de vue là et je le recommanderais à tous ceux qui voudraient un bon exemple illustrant que le jeu vidéo peut être aussi controversé artistiquement que n'importe quel autre média.