Pourquoi Football Manager est une oeuvre majeure de l'Humanité

Passer plus de 2 mois en confinement, ça pousse à se poser des questions farfelues. Qu'est-ce qu'on voudrait dans "le monde d'après" (je hais cette expression) ? Qu'est-ce qui fait que l'Humanité est ce qu'elle est, et comment le corriger ? J'ai beau être empli de doutes quant à ces questions, les 2 mois passés à cogiter devant des tableaux bleus et des pixels moches s'agitant autour d'un référentiel bondissant m'ont guidé vers une certitude : au même titre que la roue, la pénicilline et la pizza aux cèpes, Football Manager est un de ces quelques piliers de l'Humanité qui rendent le monde meilleur.



Vis ma vie de confiné



Football Manager c'est une partie intégrante de ma jeunesse, passée à écumer des chiffres en me tortillant la coupe au bol devant mon Pentium II, Tony Vairelles et Sylvain Kastendeutch. Alors au moment du confinement, quand, dans un élan de bonté, on m'a dit de rester chez moi pour télétravailler à mi-temps, alors que le nouveau FM était gratuitement à l'essai sur Steam, j'ai voulu me rappeler du bon vieux temps. Grand bien m'en a pris. Évidemment j'ai raqué le jeu dans la foulée, ils sont pas cons les mecs.


Pour s'y replonger pas de chichi, on va remettre un grand nom du foot français sur le devant de la scène : La Berrichonne de Chateauroux ! Plus de 20 ans après j'ai tout de suite repris mes marques devant ces grands tableaux bleus d'une élégance digne des meilleurs jours de Lilian Laslandes, et ces matchs toujours aussi soyeux que la conduite de balle de Cyril Rool. La première après-midi est consacrée à passer en revue la tactique et l'effectif pour cibler les joueurs à recruter avec notre budget forcément limité. Une dizaine d'heures de jeu plus tard, ma cinquième défaite en 6 matchs de Ligue 2 met à mal mon rêve Castelroussin dès le début de ma première saison : si je ne gagne pas le prochain match c'est la porte me fait comprendre mon président. 300h de jeux confinées plus tard me voilà en 2031, et ma Berrichonne vient de gagner la finale de ligue des champions 2-1 face au Real Madrid et sa star vieillissante Erling Haaland, meilleur joueur mondial de la décennie 2020... Le confinement s'achève, et ma mission est accomplie.


Entre temps, une sorte de gouffre spatio-temporel, et beaucoup d'émotions.


L'angoisse, la peur.


Quand ma moitié, rentrant du travail en désinfectant ses fringues, jette son masque et postillonne abondamment lorsqu'elle se rend compte que j'ai oublié de descendre la poubelle pour la 5e fois en deux semaines, trop happé par la recherche d'un milieu récupérateur durant le mercato estival 2025. Quand, ensuite, elle sort ce linge à l'odeur de vomis, laissé dans cet engin rotatif à moteur bien trop longtemps, vociférant tel Marcelo Bielsa devant le replis défensif de Dimitry Payet. Quand, pour m'excuser, je promets de faire à manger mais que, en raison des prolongations contre le FC Metz en 32e de finale de la coupe de France, le steak a "un peu trop" cuit.


Ce sentiment d'impuissance face au drame qui se joue là, sous nos yeux.


Quand ma Berrichonne a loupé la Ligue 1 en mai 2021 pour une simple différence de but et une séance de tirs aux buts dramatique lors du barrage pour la montée face au Stade Rennais. Quand, 5 ans plus tard, le FC Lorient crée l'impensable et me passe devant à la dernière journée, suite à ma défaite à domicile face à Strasbourg, privant la Berrichonne de la première qualification en coupe d'Europe de toute son histoire. Quand mon président décide, sans mon accord, de vendre Lucien Koné, pépite de 20 ans et 3e meilleur buteur de Ligue 1 en 2028, pour "seulement" 35 millions à... Sheffield United.


Du bonheur, enfin et surtout.


Quand, dans cette époque terrible où le football n'était plus qu'un souvenir lointain, je passais à nouveau mon dimanche après-midi à m'esclaffer devant des Châteauroux-Sochaux. Quand la Berrichone a battu le Barça 1-0 à la 92e minutes après un match Mourinhesque, en phase de poule de la première ligue des champions de histoire, sur son premier tir cadré de la partie et après avoir subit tout le match. Quand Dinho, obscur milieu offensif brésilien recruté en Roumanie pour une bouchée de pain, s'avère être une futur star mondiale du ballon rond. Quand ce même Dinho marque un coup franc somptueux à la 77e minute de la finale contre le Real Madrid en l'an de grâce 2031...


Combien de gens de comme moi ont ils passé leur confinement sur ce pilier vidéo-ludo-footballistique au lieu de sombrer dans un état de dépression avancé ? Combien n'ont songé à aucun moment, alors que le beau temps était quasi-quotidien, que le grand air leur manquait ? Combien de contaminations évitées par ces milliers de joueurs assidus qui ont reporté la descente des poubelles ou le plein de PQ au supermarché ? Combien de postillons contaminant n'ont pas été déposés sur les feuilles de ce buisson fouettant frénétiquement le visage des dizaines de joggeurs le rencontrant quotidiennement, grâce à la transpiration provoquée par les insoutenables arrêts de jeux de ce remède pixelisé ?


C'est bien simple, Football Manager devrait être remboursé par la Sécu, et ses développeurs applaudis chaleureusement tous les soirs à 20h. Ça, ce serait un beau monde d'après.

Gens_talus
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le 4 juin 2020

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