Freedom Fighters
7.4
Freedom Fighters

Jeu de Io Interactive et Electronic Arts (2003GameCube)

Man, you get to be a hero and free New York from the Russians, this game is so cool

Freedom Fighters est un jeu très, très états-unien.

J'imagine qu'il faut le prendre à la légère, en mode 'haha, allez on va buter ces cons de RUSSES qui ont pris NEW YORK d'assaut et MENACENT notre précieuse LIBERTE.'

Heureusement que le citoyen moyen est un HÉROS face à cet ENVAHISSEUR rouge.

Car oui, dans la réalité alternative de ce jeu, New York a été envahi par les communistes en 2003, après un XXè siècle au déroulement bien plus dominé par le bloc soviétique. Les Etats-Unis sont le dernier rempart non communiste. Chris est un plombier qui se retrouve de façon plus ou moins impromptue dans la résistance et se met à mener des actions de guerilla contre l'oppresseur.

Moi, j'ai du mal à prendre le jeu à la légère. Je le prends sûrement trop au sérieux sur certains points, donc si ça ne vous parle pas vaut mieux se tourner vers d'autres critiques, comme celle de lleo03emu qui m'a plu : https://www.senscritique.com/jeuvideo/freedom_fighters/critique/2912277

On va commencer par ce que j'apprécie dans le jeu.

J'aime bien les réalités alternatives. C'est rare comme élément de scénario, et ça peut être poussé loin.

Le jeu est un TPS avec des mécaniques de contrôle d'escouade. Simple plombier au départ, Chris Stone se retrouve embarqué dans les combats de guerilla visant à repousser ce salaud d'envahisseur rouge et protéger cette chère terre empreinte de liberté et d'opportunité que constitue la nation des Etats-Unis.

Initialement peu inspirant, au fil des péripéties Chris gagne en charisme (il a en effet une jauge de charisme), qui lui permet à chaque niveau gagné de contrôler un péon de plus. A chaque blessé soigné, à chaque héliport détruit, +15, +25 de charisme. Bim, rien que ça.

Les ordres que l'on peut donner sont sommaires. Pars en reconnaissance là-bas. Défend cet endroit. Suis-moi. Individuellement ou à tous. A la fin du jeu je me suis retrouvé avec douze personnes sous mes ordres. Ca commence à faire fouillis, mais c'est parfois jouissif.

On ne peut pas passer en force la plupart du temps. Le bon positionnement des alliés est crucial pour avancer sans encaisser trop de pertes (un kit de soin permet de retaper quelqu'un de tombé au combat, mais ils ne sont pas disponibles en quantité infinie).

L'IA desdits alliés est plutôt réussie, pour l'époque. Elle est parfois chaotique, mais le pathfinding est efficace, et vos sbires avancent de couverture en couverture. Si vous escaladez quelques caisses et un conduit d'aération pour arriver sur le toit d'un bâtiment, ils arrivent à vous suivre. Fichtre, remarquable. J'ai pas le souvenir d'avoir vu ça ailleurs. Ils restent par contre bêtement obstinés à suivre vos ordres, donc une mitrailleuse fixe n'en fera qu'une bouchée, mais en dehors de ces dangers spécifiques vous pouvez les laisser gérer un goulot d'étranglement ou explorer un peu sans problèmes.

La plupart des niveaux sont découpés en plusieurs sections. L'objectif principal consiste à hisser un drapeau AMUHRICAN sur un bâtiment clef, mais des objectifs annexes tels qu'un camp de prisonniers à libérer, un héliport à dégommer, ... peuvent également être remplis, et ont un impact sur la suite : on peut en effet interrompre une mission, prendre une bouche d'égoût pour retrouver le QG et aller dans une autre zone. Si on a détruit l'héliport ailleurs, l'hélicoptère qui rendait un passage ailleurs bien plus difficile à naviguer ne sera plus là pour vous barrer la route, etc. Ça encourage à réfléchir à l'ordre dans lequel accomplir les objectifs.

Sans pour autant être incroyablement profond, ce petit sytème ajoute un sentiment de continuité aux actions de Chris, et constitue une conséquence directement palpable à nos prouesses.

New York est joliment modélisée. Le bruit de la neige qui crisse sous nos pas l'hiver est très convaincant. La distance d'affichage est vraiment bonne, point important pour un jeu comme celui-ci où on peut se retrouver un peu éloigné de nos sous-fifres. L'architecture est cohérente. L'apparence de Chris change au fil du temps. Initialement un plombier propre sur lui, ses cheveux poussent au fil des saisons et il a l'air moins rangé.

Autre détail jouissif : le ragdoll. Ce jeu doit être parmi les premiers à l'avoir bien implémenté, et les explosions font voler les cadavres. Un ennemi abattu au bord d'un abîme tombera potentiellement de lui-même de façon réaliste. C'était rare à l'époque. Deus Ex 2 est peut-être l'un des seuls autres pionniers en 2002-2003.

J'ai par contre eu pas mal de ralentissements lors des scènes avec un peu de monde, de la neige, ou des explosions, mais je pense que c'est l'émulation de mon côté qui cause ces soucis.

La musique est singulière. Elle recherche plus l'émotion et la tragédie que ce à quoi je m'attendais et mêle des coeurs chantant en russe avec des beats électroniques, visant j'imagine à mettre l'accent sur le sentiment de perte et de drame que la conquête de New York doit inspirer chez l'états-unien patriotique moyen.

En tout cas, on a là un cadre inhabituel, des mécaniques peu communes à l'époque (contrôler douze personnes, ça demande un peu de puissance de calcul lors de la génération PS2/Xbox/GC, quand même), et une atmosphère prometteuse.

Qu'est-ce qui ne va pas, alors ?

Je pense que ce qui ne va pas, c'est le 'suspense of disbelief' que demande le jeu. Et la culture ne va pas, non plus.

Je ne suis pas un citoyen profondément patriotique, et encore moins un citoyen patriotique Etats-Unien. Je m'efforce à employer le mot 'Etats-Unien' plutôt que le mot 'américain' depuis quelques années.

Entre les différentes portions du jeu, une présentatrice télé russe nous donne quelques infos sur les évènements. Elle prend un shot de vodka, à un moment. Le général soviet parle anglais comme dans les clichés des russes, avec des 'Ve vill not tolerate resistance movement'.

A l'inverse, l'un des persos membre de la guerilla est un homme avec une grosse voix et une casquette 'USA' qui incarne le cliché du sidekick patriotique détendu et veut repousser ce salaud d'envahisseur russe qui nous empêche de faire la fête.

A un moment, Chris (qui ne parle quasiment pas du jeu dans les cutscenes) pond un discours faisant appel à l'American Dream et aux pères fondateurs : https://www.youtube.com/watch?v=UmOczoYzjCg

En fait, les cutscenes du jeu font une demi-heure en tout et c'est peut-être un nanar intrigant à regarder pendant qu'on fait le ménage, voilà une playlist : https://www.youtube.com/watch?v=CBoc99lMkTk&list=PLcvFnaBaN5SziedQCtFPaoukiG76SGlnt

Notre personnage est une incarnation parfaite du Mr Tout le Monde qui avait les qualités du héros enfouies en lui. "Simple plombier" à la base, il est courageux, inspirant, compétent, et, même s'il délègue une bonne partie des combats, se targue d'une mission solo au cours de laquelle il assassine un général russe.

En plus de ça, l'histoire -floue et exposée de façon saccadée- présente les mêmes artifices stupides que dans Mirror's Edge. Cinq persos différents sont nommés dans ce jeu : devinez lequel est secrètement un colonel russe qui vous trahit pour devenir leader à la place du général assassiné. Votre frère ? Isabella, la cheffe de la résistance libérée rapidement et qui vous donne des directives ? Votre crétin de pote patriotique dont j'ai oublié le nom ? The Kid, l'ado qui vous donne des renseignements par-ci par-là et s'avère plus tard être un hacker ? Mr Jones, l'individu qui fournit la plupart des renseignements, ce qui fait que les deux autres se demandent d'où il tire autant d'infos ?

Mais oui, bravo, vous avez gagné, c'était Mr Jones ! Tenez, prenez ce drapeau américain comme récompense, et allez le hisser sur le toit de l'école la plus proche. Mais allez-y en grimpant et sautant comme dans Mirror's Edge, cet autre jeu qui présente six personnages à tout casser et une trahison péniblement convenue et artificielle. A croire que les scénaristes ont lancé un dé pour décider.

Artificiel, c'est une bonne façon de résumer certains aspects du jeu. Même si contrôler nos gugusses est plutôt fonctionnel, on passe son temps à gruger l'IA, et le gameplay semble même pensé pour qu'on agisse comme ça. Ses limites apparaissent très rapidement.

Attaquer de front finit souvent par être suicidaire, surtout lorsqu'on a peu d'hommes et qu'on arrive dans une zone bien défendue. On se retrouve souvent à disposer ses unités autour d'un goulot d'étranglement stratégique, appâter quelques ennemis et les laisser venir à soi. Il y a tout de même des situations où une grenade bien placée peut casser la défense mise en place, permettant de donner l'assaut et d'avoir des combats de front sans gruger l'IA. Et quand on a 7-8 sbires sous ses ordres, pas trop pour que ce soit chaotique, ni trop peu pour être trop fragile, la progression est fluide. Ces passages ne constituent qu'une portion mineure du jeu. Gruger l'IA est la situation la plus commune.

Le level design est faussement ouvert, dans chaque section. Le jeu est en fait linéaire, à base d'obstacles arbitrairement insurmontables (un grillage, des barbelés que notre guerilla est incapable de couper parce qu'elle a des fusils à pompe mais pas de sécateurs).

Il y a d'autres soucis : sniper n'a aucune conséquence négative et des ennemis alertés trop éloignés finissent par se remettre en position et arrêtent d'être en alerte. Il peut y avoir des fusillades à deux rues de distance, mais tel groupe d'ennemis qui ne vous a pas encore détecté restera passif.

L'autre façon d'éviter d'attaquer de front, c'est de trouver un bâtiment en ruine, le gravir et trouver un point d'entrée moins exposé. On retrouve ici les mêmes artifices de level design que Dishonored ou Half-Life 2 : la structure des niveaux est complètement tournée vers la progression du joueur, nuisant à la vraisemblance : avancez jusqu'à ce que vous tombiez sur un point trop défendu pour attaquer de front, regardez autour de vous et vous tomberez systématiquement sur un moyen de prendre les ennemis de côté ou à revers.

Ce faux-semblant me pose problème, j'apprécie beaucoup les jeux qui parviennent à l'éviter (un point pour lequel Thief 1 et 2 me paraissent bien meilleurs que Dishonored, par exemple).

Ah, et évidemment, on a des tonneaux explosifs de partout. Qui sait ce qu'ils foutent là, autrement que pour servir le joueur ? Peut-être que ce jeu a inspiré Half-Life 2, en fait, il est sorti un an avant.

De temps à autre surgit un véhicule de renfort blindé. Il avance jusqu'à un point spécifique de la route -que vos bonshommes en aient le contrôle ou non- et dépose des russes sur place. Bizarre. Attention à ne pas vous faire écraser.

Il peut y avoir cinquante ennemis autour de vous et votre seul pauvre flanquin, si vous hissez le drapeau, c'est terminé, mission complete, ils ont fui. C'est amusant, mais absurde.

L'angle de vue est assez resserré, et la caméra imparfaite à contrôler. Pour le premier point, c'est peut-être conçu pour limiter un peu la puissance du joueur, qui ne peut ainsi pas jouer les héros partout, surtout dans un espace un peu ouvert. Mais c'est parfois pénible concernant la lisibilité des combats.

En avançant dans une zone, on tombe parfois sur des membres de la résistance, ou des déserteurs russes. Si vous n'avez pas atteint votre limite de charisme, vous pouvez les recruter. Aussi intéressant que ce soit sur le papier, en pratique on constate que vous pouvez être en train d'affronter des soviets à 20 mètres, et il ne vous aideront pas tant qu'ils ne sont pas attaqués directement, ou recrutés. Et seules certaines actions vous rapportent du charisme. Si vous n'avez plus de place pour recruter du monde, ce n'est pas nettoyer la zone qui leur fera changer d'avis.

Pourquoi est-ce que personne ne porte de gants en hiver sous la neige à New York ? C'est du métal, ces flingues, quand même.

Au final, une énorme partie de la cohésion du jeu et de sa vraisemblance est perdue par la volonté de le rendre cool, et par l'ajout de mécaniques de gameplay qui auraient tout à fait pu être différentes. En cumulé, ça fait trop

Et l'histoire...

Difficile d'imaginer qu'en 2003 les soviets ne connaissent pas internet, la communication radio ou les combats de guerilla en pleine neige... Ou que libérer une zone au milieu de New York la sécurise définitivement... Ca rend tout le prémice du jeu absurde, quand on s'attarde dessus. Pas de services de renseignement ? Les égoûts, personne ne les surveille ? Le scénario fournit une explication implicite potentielle avec ce Mr Jones/colonel voulant prendre le pouvoir qui aurait peut-être détourné l'attention des communistes ailleurs pour que la guérilla prospère, mais elle est plutôt faiblarde.

Certains éléments des décors font plus guerre froide que 2003 : les téléphones sont des modèles à l'ancienne, par exemple. Mais les ordis sont d'époque. Curieux.

Le fait que j'ai du mal à ne pas prendre ce jeu un minimum au sérieux, je ne sais pas trop comment exprimer ça aujourd'hui autrement que : ce n'est pas ma culture. Je ne me retrouve pas dans ces considérations horriblement manichéenes et très patriotiques. Dans cette fantaisie du Mr Tout-le-Monde héros malgré lui. Je ne me retrouve pas vraiment dans la plupart des jeux de flingues, ces temps-ci, surtout s'ils s'incrivent plus ou moins dans notre époque contemporaine et présentent l'ennemi comme un mal évident, à abattre sans plus de profondeur. D'autres jeux que je pourrais également critiquer sur ce même point, soit j'y ai joué plus jeune, soit ils ont des éléments de dystopie, de critique, de la retenue, enfin, quelque chose, quoi. Pas ici, et ça me paraît être premier degré tout le long. Difficile d'imaginer que ce soit une parodie, avec l'absence d'autodérision et d'éléments parodiant autre chose, et avec une OST aussi dramatique et chorale (https://www.youtube.com/watch?v=1MGIvXDsTFE&list=PL7F943EF2264CE268). If you can't tell it's a parody... It isn't a parody.

On peut peut-être considérer que ça reste à prendre à la légère, que ce jeu est conçu pour susciter les fantasmes des ados patriotiques des Etats-Unis. Peut-être d'autres, mais pas moi. Je ne trouve pas que le contexte et l'histoire du jeu, ni son regard sur la guerre froide soient neutres. C'est crétinement naïf, manichéen, sans profondeur, sans recul sur un sujet complexe.

Je ne pense pas qu'un jeu comme ça soit neutre. Dès qu'on est ancré dans la réalité, dès qu'on s'adresse à des ados potentiellement influençables comme je l'étais moi, l'influence inconsciente que peuvent exercer, en cumulé, des produits comme celui-ci me paraît néfaste.

Dans ce cas, dites-vous peut-être, tu penses de même concernant la plupart des productions cinématographiques et vidéoludiques actuelles, qui, justement, présentent et propagent cette culture qu'on retrouve dans Freedom Fighters, et sont tellement prépondérants qu'il n'y plus de temps et d'espace pour grand-chose d'autre ?

Oui oui, c'est le cas. Freedom Fighters l'expose juste de façon tellement évidente que je prends la peine d'en parler ici, mais c'est à peu près à ça que ressemble mon avis sur la question ces temps-ci. Mettant de côté ces aspects-là qui font qu'en temps normal j'évite ce type de jeu, reste un TPS bancal mais fonctionnel avec quelques points qui le démarquent du lot.

Maqe
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le 25 sept. 2023

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Maqe

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