Ghost of a Tale
7.3
Ghost of a Tale

Jeu de Lionel Gallat et SeithCG (2018PlayStation 4)

Avis et Mini-analyse // Adorable, mais pas encore assez

Ghost of a Tale est un jeu adorable. Dans tous les sens du terme. Déjà parce qu'il se déroule dans un univers de conte pour enfant enchanteur et qu’il propose une galerie de personnages mignons et attachants, de très jolis décors, une direction artistique sans accroc et des musiques médiévales et orchestrales toujours dans le ton. Il est aussi "adorable" pour ses qualités de design indéniables : sur le papier, on n’est pas loin de ma recette du jeu idéal. Je résume (sans spoiler) ce que j'ai le plus aimé en trois points : le world design, la progression dans le jeu et le style du gameplay.



C'est cool




  • Son world design m'a fait penser à Dark Souls ou aux MetroidVania en général. Un monde d'un seul tenant, interconnecté, avec plein de raccourcis, secrets et passages à débloquer sous certaines conditions. C’est mon world design préféré, parce qu’il permet un équilibre parfait entre linéarité (pour les besoins de la mise en scène par exemple) et liberté (pour laisser vivre, respirer et s’exprimer les possibilités de gameplay, ainsi que la curiosité du joueur).

  • La progression découle donc logiquement du world design : on a une quête principale plus des quêtes annexes. On explore, on fouille, on se cache, on observe, on ramasse des objets, on en utilise, on expérimente un peu, on débloque de nouvelles zones et accès, on découvre des secrets, on lance de nouvelles quêtes, etc. Tout se fait de façon organique, progressive, et non linéaire, avec tout un tas d'outils pour nous aider et nous aiguiller (en général), comme parler aux pnj ou acheter un indice si on coince (malinx).

  • Le gameplay, c’est ce qui m'a attiré en premier vers ce jeu : un jeu sans combat, où il faut s'infiltrer, se faire discret, jouer avec l'environnement, des objets ou des costumes. Les jeux d'infiltration/aventure comme ça sont rares, et ça fait plaisir d'en trouver un dans un tel univers. Ça change des Souls-like macabres qui me rebutent.


Ghost of a Tale est loin d’être parfait (je vais y revenir), mais je retiens de ce jeu une proposition vraiment unique et attachante. Une recette qu’on retrouve rarement dans le jeu vidéo, et qui moi me vend du rêve. Et quand on sait que c’est le 1er jeu d’un ex-animateur Dreamworks/Universal, un mec passionné et seul pendant presque tout le développement, on ne peut qu’être respectueux et admiratif du travail réalisé.



C'est moins cool



Malheureusement, comme je le disais, tout n’est pas parfait. Ghost of a Tale est adorable, c’est vrai, on a envie de l’aimer, mais il y a plein de détails plus ou moins importants qui viennent ternir cette expérience.



  • L’histoire et la narration : on incarne une petite souris emprisonnée injustement et dont la femme a disparu suite à un événement tragique et mystérieux. Il va s'échapper puis partir à sa recherche en collectant des indices auprès de divers personnages. Seulement l’histoire n’avance quasiment pas de tout le jeu et nous perd dans du contenu annexe au point qu’on en oublie notre réel objectif. On apprendra une seule chose vraiment importante… et on finira le jeu sans avoir le fin mot de l’histoire, juste cette information sur ce qu’à peut-être pu devenir notre épouse, et plein de questions sans réponses. Décevant. Alors oui, l’univers fonctionne, les personnages aussi, mais cela fait plusieurs années que les théoriciens / youtubers du game design parlent de ce problème de design ("je connais pas ta femme, mais tu peux peut-être m’aider ? », "Tu veux un indice, ok, mais d’abord rends moi service". Explication ici, de 1min34 à 2:20). J’en attendais plus. Tant pis.

  • L’univers et la durée de vie : un peu comme un Dark Souls, l’histoire nous est aussi racontée par tout un tas de descriptions d’objets, et un codex (intelligemment) intégré au jeu (Triangle dans un dialogue pour ouvrir la description du mot en surbrillance). Le lore du jeu est vraiment touffu, plein de choses, plein d’idées, de lieu, de personnages, d’histoire, de dialogues et de quêtes à tiroir. On sent une réelle ambition derrière tout ça, c'est bien, ça donne de la consistance au monde et à l'aventure. Et dans la progression du jeu, ce n’est pas aussi lourd que la tonne de bouquins d’un Skyrim, mais pour un jeu qui ne dure "que" 10~15h, c’est quand même trop, et j’ai fini par arrêter de lire le codex. Aussi parce que ça reste en théorie du contenu annexe (que j'en avais marre de voir prendre le pas sur la main quest), et que le reste du jeu est trop minimaliste (et dénote face à cette densité scénaristique), on va le voir.

  • Quelques soucis techniques sont à signaler, notamment un framerate à la peine sur PS4, une caméra mal fichue, et quelques bugs de collisions ou graphiques. Et la possibilité d’utiliser le mode photo (un peu anecdotique) pour bouger la caméra où on veut et "tricher" (chercher un accès là où on n'est pas censé pouvoir le voir). Dur de se retenir parfois… :P

  • Le world design un peu trop étiré en longueur : on est parfois baladé entre les deux extrémités du rectangle que constitue la map, sans raccourci, et c’est pénible. Surtout sur la fin. Surtout avec les quêtes type "FedEx", peut-être un poil trop présentes.



Le Game design, c'est pas un jeu d'enfant



Tout ça aurait pu être anecdotique et largement oublié si le gameplay avait suivi. Mais à mon avis et pour moi, c’est là que résident les plus gros problèmes du jeu. Beaucoup d'idées sont survolées ou sous-exploitées.



  • L’infiltration : déjà, elle est trop minimaliste. Pas de système de couverture. Trop peu de moyens d’action, parfois imprécis (le lancé d’objet) et dépendants des objets qu’on trouve (parfois bugués, et en nombre limités souvent, n’en faisant pas une mécanique sur laquelle se reposer tout au long du jeu). Des cônes de vision/détection difficiles à comprendre. Et arrivé à un certain point du jeu, on essaye de voir si ça passe en courant, et c’est le cas. Même si on se fait détecter, on peut semer les gardes en marchant en quelques secondes. Plus de menace, plus de tension, plus d’enjeux. L’infiltration, pourtant au cœur du jeu, est cassée.



J'en demande peut-être un peu trop pour le jeu d'un seul homme indépendant, mais quand je vois le travail réalisé par ailleurs, je me dis que c'était possible. Ou tout du moins nécessaire : c'est un point important dans le game design et notre philosophie de designer : est-ce que je fais un jeu ambitieux que je ne pourrai par réussir parfaitement, ou est-ce que je me contente de moins et m'oblige à revoir mes ambitions à la baisse ?



Vous préférez rouler en Ferrari au ralenti sur un circuit, ou au taquet sur les routes de campagnes avec votre Clio Sport ? Il n'y a surement pas une bonne réponse, juste deux philosophies de design différentes.




  • Les costumes, autre mécanique au cœur du jeu mais aussi ratée. On doit trouver 7 tenues au cours du jeu, mais à part la tenue de soldat, qui nous permet de côtoyer les gardes sans risque, ou une ou deux tenues utilisées dans quelques quêtes bien spécifiques, ils ne servent à rien. Leurs stats non plus. Je ne m’attendais pas forcément à quelque chose d’aussi central que dans un Stacking, ni même un aspect RPG complexe, mais quand même un peu plus.

  • Les stats, justement, elles non plus ne servent à rien. L’endurance : courir 15sec, et devoir attendre 15sec que ça se recharge (la recharge est presque inexistante en marchant). Les chutes, c'est soit insta-kill, soit inoffensif. La défense est inutile puisqu’on ne combat jamais. La détection plus lente, osef puisqu’on rush. La résistance au poison, inutile car on peut cueillir les champignons qui diffusent le poison, de toute façon peu violent. Bref, une tentative d’ébauche de RPG mais qui ne fait que la moitié du travail, là encore.

  • La nourriture et les objets : elle sert à nous remettre de la vie (qui est aussi notre jauge d’endurance). Ok… mais on l'a dit, on ne combat pas. Il y a bien quelques pièges ou ronces (plus brutales que les ennemis !), mais rien de bien méchant. A part pour la dernière mission du jeu, un bazar monstre (où l’IA perd un peu pieds et où on se fait éclater) qui tourne au die-and-retry bas du front. Et puis la plupart des objets et aliments sont en quantité limitée, ou à des endroits précis de la map dont il faut se souvenir (galère, et flemme de sortir un carnet pour noter que sur telle table de telle pièce on peut recharger son stock de bougies, dont on ne se servira pas de toute façon). Ce n'est pas intuitif, pas optimal (on peut vite arriver à court des rares objets vraiment utiles), et ça n'encourage pas à l'expérimentation, terrible dans un MetroidVania / Zelda-like. Il est presque heureux qu'on ne prenne plus de dégâts et n'ait plus besoin de faire diversion vers la fin du jeu. Triste constat.

  • Le système de sauvegarde est à l’ancienne : on meurt, on réapparaît à la dernière sauvegarde. Et dans un monde dense et interconnecté, avec beaucoup de dialogues, d’allers-retours, ou de "fouillage" minutieux de décor, c’est pénible. Je n’aime pas ça du tout. Heureusement on ne meurt pas souvent et il y a des sauvegardes autos régulières (après un dialogue avec un PNJ par exemple).



Conclusion - I don't give a [cheese]



J’ai parfois eu l’impression d’être face à un jeu conçu pour les enfants : simple, léger, répétitif, avec plein de petites idées mais survolées. Or pour moi, jeu d’enfant ne veut pas dire game design au rabais. Au contraire. A moins que l'explication soit ailleurs : comme certains tests l’ont signalé, notamment CanardPC, plus que la somme de ces griefs plus ou moins importants, j’ai surtout senti que la fin du développement a été compliquée. C’est simple, on a l’impression de jouer à la première partie d’un jeu en plusieurs actes. Presque un gros tuto de 12h. Comme si arrivé au milieu du développement, son créateur avait un peu jeté l’éponge devant la tâche colossale qu’il lui restait. La façon dont se termine le jeu est révélatrice :



  • les indications de quête se font moins précises, l’infiltration n’est plus là, certaines zones sont grandes pour rien, et vides, et quasiment inutiles dans la progression du jeu. Il y a des quêtes que je n’ai pas trouvées ni terminées malgré mon exploration minutieuse (possible de manquer le 100% en un seul run ? obligation d'avoir plusieurs sauvegardes ?). D'autres que je croyais importantes mais qui une fois terminées n’ont rien débloqué ou presque. Des rebonds scénaristiques brusques ou improbables. Le scénario qui n’avance pas mais s’arrête brutalement, sans nous amener jusqu’à la fin de l’histoire… Une fin, dont on ne sait pas si c'est un "to be continued" ou un "maybe next time". Arf.


Et si vous voulez savoir si le jeu vous plaira, regardez la première heure de jeu, le temps de sortir de la prison (zone tuto en gros) : on y voit déjà 90% de ce que le jeu a à proposer en termes de gameplay. Il y aura bien sur de nouvelles choses ensuite, mais les mécaniques profondes et leur intégration dans la progression n’évolueront quasiment pas. Votre appréciation du jeu dépendra donc de l'importance que vous accordez aux différents points de game design que j'ai soulevés. Personnellement, j’ai ressenti de la lassitude dès 5h de jeu, et eu plusieurs fois envie d’arrêter. Mais au final, je ne regrette pas de l'avoir terminé. Le positif l'emporte sur le négatif, et je vous conseille ce jeu malgré tout.


Comme d’habitude, je m’attarde beaucoup sur les soucis et axes d’amélioration du game design. Mais ça ne veut pas dire que le jeu est mauvais. Je suis exigeant avec lui parce qu’il est construit sur une base et des idées solides, qui auraient pu donner un grand jeu. Et au final, j’en garde un bon souvenir, et presque l’envie de recommencer le jeu, dans l’espoir (que je sais vain) d’y trouver enfin ce que j’étais venu y chercher. Je surveillerai quand même le prochain jeu de Lionel "SeithCG" Gallat, parce qu’il a du talent et du potentiel ! Et je vais continuer ma quête du "jeu idéal", que j’affine encore un peu grâce à cette aventure, sympathique mais inaboutie.

Exyt
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le 9 mai 2019

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