Ghostwire Tokyo n'est pas un cas d'étude facile, après un voyage de près d’une trentaine d'heures pour voir le bout de l’aventure principale et du contenu annexe, j'oscille entre la compréhension de l'avis général, qui n’est autre que de rappeler que Tango Gameworks n'a pas vraiment su proposer une oeuvre novatrice comme certains l'espéraient, se reposant parfois sur quelques bases vieillissantes, mais d’un autre côté ce que j’ai pu vivre avec Ghostwire Tokyo, la majorité du temps, a été foncièrement éloigné de quelques avis présents sur SensCritique.
Si dans la forme cette production ne semble pas réinventer la roue, en particulier concernant son monde ouvert très “Ubisoft”, elle est dans le fond assez différente du reste du marché du triple A pour que certains d’entre nous y trouvent une aventure marquante.
Avant tout chose, on notera que la difficulté même du titre peut être un facteur de différenciation assez important concernant les avis. Dans le cas où l'on choisirait normal ou facile, alors l'expérience en sera transformée (en mal) limitant la découverte de quelques strates de gameplay essentielles pour la diversité, je conseille donc de lancer le jeu en “difficile” car de base celui-ci est une promenade. C’est un problème récurrent des triple A modernes, Tango Gameworks, après les semi échecs des Evil Within, n’y fait pas exception et semble avoir minimisé les risques pour rentabiliser un projet qui a tout d’un triple A massif, donc cher. La volonté d’abaisser le curseur de l’horreur fait aussi partie de ce processus pour plaire au maximum de joueurs mais on y reviendra.
Pour trouver sa voie et son plaisir dans Ghostwire, je commencerai par le fait qu’il est primordial d’accepter qu’il soit issu de “l’ancienne école” du monde ouvert (l'avant Zelda BOTW et Elden Ring si on peut dire) et ce que cela implique quant à l’utilisation de quelques gimmick de cette période. La manière de progresser dans les rues de Tokyo et sa banlieue s’effectue via la purification de temples envahis par des esprits, on pourrait voir cela comme les tours d'Assassin’s Creed, et via cette mécanique la ville s’offre à nous petit à petit en élargissant le brouillard qui obstrue le passage vers le reste de la mégalopole. C’est un choix de game design qui dans mon cas ne me pose aucun souci. Le fait que la ville ne soit pas accessible dans son entièreté dès le départ, tout en justifiant cela par le scénario, n’est pas ce que je qualifierai de défaut, un choix de Tango Gameworks auquel on adhère ou non.
Deuxième étape, Ghostwire offre un nombre conséquent de collectibles sur la carte, difficile de le nier, si cela a tendance à vous déconcentrer et irriter alors il vaut mieux peut être passer votre chemin, si au contraire la collecte de quelques esprits errants et autres statues Jizo Bosatsu (protecteur des voyageurs) disséminées dans la ville, offrant des aides et expérience pour le combat, ne vous dérangent pas, alors vous n’aurez aucun problème à apprécier Ghostwire. Différence notable avec d'autres productions en monde ouvert, ici tout est pensé et construit de manière diégétique, les collectibles étant cohérents avec l’univers du jeu et même en comparaison au Tokyo réel, on ne vous sortira pas des choses du chapeau qui n’ont rien à faire à un endroit donné. Par exemple, les tags et stickers au nombre d’une quarantaine dans la ville sont placés de manière réaliste et imaginable dans le vrai Tokyo, de même que tout les "trésors"; objets uniques avec un cours d'histoire en description.
Passé ces étapes, on est prêt à se lancer dans l’aventure et on peut commencer à réfléchir ce qui fait que l'on va plus ou moins apprécier Ghostwire. Premièrement, c’est une œuvre japonaise, construite par des Japonais, pensée pour les Japonais, mais vendue à un public occidental, merci Bethesda… Et c’est peut-être ici ou Ghostwire crée une première fracture chez les joueurs.
Si l’on est un tant soit peu sensible au folklore asiatique et plus particulièrement venu du Japon, Ghostwire est une expérience de jouissance comme rarement vue, une œuvre que je qualifierai d’insolente capsule temporelle qui par sa minutie peut donner le tournis. C’est lorsque j’ai mis fin à ma session de jeu que je me suis réellement posé la question de ce qui clochait dans Ghostwire et que j’ai compris que le niveau d'implémentation et d'inspiration de pans tout entiers de la culture et folklore japonais traditionnel et moderne pouvaient peut-être en fatiguer certains. Ici, littéralement, tout tourne autour de la culture japonaise que cela soit l'histoire, les “monstres” (Yōkai), les décors qu’ils soient réels ou non, les quêtes secondaires toutes liées à des contes, mythes japonais ou vie moderne, le gameplay via les signes des mains Kuji-kiri (comme Naruto), les collectibles et autres points d'intérêts, et cela, même jusqu’aux habits du protagoniste typhique de la mode tokyoïte actuelle, chaque pixel du jeu crie Japon. Mais Ghostwire est très silencieux quant aux explications concernant ce que je viens d'évoquer et il y a beaucoup de non-dit et il est possible de passer à côté de nombreux détails si la lecture historique des documents du jeu ou l'étude minutieuse du monde ouvert et sa cohérence vis à vis du gameplay ne vous intéresses pas, où si l’on ne possède tout simplement pas les cartes pour saisir les références. Le jeu demandant de progresser de manière chill et lente pour visualiser et absorber chaque étape vers lesquelles les développeurs ont souhaité nous transporter.
Ce Tokyo et ses alentours virtuels sont si denses qu’on ne sait plus où donner de la tête, relevant de la maniaquerie.
La carte n’est pas à une échelle 1 pour 1, mais se présente plus comme un condensé de l’ensemble du centre-ville. La variété des lieux concernant la vie quotidienne japonaise est ridiculement riche, Tango semblaient obsédé par le moindre micro élément. En extérieur ou en intérieur, Ghostwire est un cri d’amour à cette ville tentaculaire que je n’apprécie pas foncièrement dans la réalité pour ce qui est d’y vivre, mais qui dans ce monde rempli de fantômes et vidé de ses habitants me rappelle quelques pérégrinations dans la banlieue tokyoïte appareil photo à la main que j’ai pu avoir, le côté labyrinthique sans fin de Tokyo étant puissant, et inspirant, presque magique.
J’insiste sur ce point, mais dans sa version PC Ghostwire propose peut-être un des mondes ouvert les plus beaux techniquement qui puisse exister et comme des images valent bien mieux que des centaines de mots de vous renvois en fin de critique pour accéder à mes captures d'écran Steam.
S'il y a des fans d'urbex parmi vous, le simple fait de pouvoir se balader dans le jeu pourrait être vu comme une justification à l'achat tant le monde de Ghostwire est insolent de réalisme quand il veut l'être.
Sans revenir minutieusement sur chaque aspect du jeu, j'aimerais vous donner quelques exemples qui sont souvent revenus dans les complaintes que j’ai pu lire en fouillant sur reddit, SC et autres et qui représentent parfaitement la fracture que j'évoquais plus haut, mais aussi la folie de Tango Gameworks.
Premièrement la pluie, beaucoup de joueurs se sont émus de la texture de celle-ci, et sa modélisation assez étrange, mais combien ont réellement noté que celle-ci n'était pas composé de gouttes d'eau, mais du caractère kanji ame 雨, donnant un aspect étrange, mais ô combien symbolique à un élément que l'on juge souvent comme secondaire.
Autre exemple, au détour d'une simple visite d'une maison qui n'avait rien à voir avec la suite de ce que je vais expliquer, j'entrevois un reçu de "la poste" posé au hasard sur une étagère, en s'amusant à zoomer dessus via le mode photo je me rends compte que l'adresse du destinataire et de l'envoyeur sont tout à fait écrite de manière cohérente et logique pour la ville, c'est complètement inutile mais ce genre de détails se retrouve partout dans le jeu, dans un monde de plusieurs kilomètres carrés, c'est assez vertigineux.
Dernière parenthèse, beaucoup ont trouvé que la découverte des collectibles était parfois confuse et difficile, mais saviez-vous qu’en insérant exactement 500 yens dans les offrandes des temples shintô cela aide le joueur à découvrir plus facilement les collectibles ? Ceci n’est pas le fruit du hasard, car 500 yens dans la culture japonaise sont considérés comme la pièce de monnaie qui aura le plus d’effet sur votre souhait.
Je ne jette la pierre à personne en expliquant tout ceci, j’ai moi même appris beaucoup de choses via ce jeu, mais vous voyez où je veux en venir, Ghostwire n’insiste jamais vraiment sur ces points qui sont pourtant parfaitement cohérents dans l'univers du jeu et ont une réelle conséquence sur le game design par moment, la liste d'exemples plus ou moins pertinents étant presque sans fin.
Trouver son immersion dans Ghostwire n’est pas chose aisée en dehors de cette modélisation criante de réalisme, mais si on accepte de prendre son temps et d'errer sans autre but que de saisir les clés de cette œuvre alors le dépaysement devient total et immersif et chaque strate des choix de game design prennent une autre dimension et surtout un sens. Rien n‘est dû au fruit du hasard dans Ghostwire Tokyo ou par un manque de talent, ce sont des choix voulus et assumés par les développeurs.
Bien sûr j'aurais souhaité voir quelques choix de game design et artistiques implémentés différemment. Si le Tokyo qu’on visite propose son lot de surprises et de folies, il aurait peut-être été préférable que via son récit et ses environnements Ghostwire ose une ambiance plus pesante voir horrifique, qui est présente par moment avec succès, mais malheureusement pas assez.
Le ton choisi étant volontairement plutôt léger par instant pour plaire à une majorité, et ce, malgré les enjeux assez sombres du récit. Un récit que j’ai trouvé simple mais efficace qui voit le protagoniste partir en quête d’une rédemption pour sauver un membre de sa famille et cela après avoir vécu sa propre mort dans un accident de la route pour rejoindre justement cette personne à l'hôpital… Bref, ce n'est pas la joie et je laisse le plaisir à chacun de découvrir chaque point du récit. Il y a d’ailleurs des choses intéressantes à mettre en parallèle avec le Japon moderne, comme le broyage de la population de Tokyo par le capitalisme qui est assez bien représenté dans le jeu via la direction artistique du bestiaire, mais aussi quelques histoires de quêtes secondaires.
Ces mêmes quêtes peuvent parfois être expéditives (surtout si vous jouez en facile ou normal), mais quelques-unes sont tout bonnement excellentes, virant au dramatique ou à l’horreur pure.
Pour finir sur les points de crispation auprès des joueurs, je pense qu’il est important de faire un arrêt sur le gameplay. Se présentant sous la forme d'un jeu de tir à la première personne, Ghostwire Tokyo brise quelques codes du FPS que l’on pensait imperméables. Point d'armes à feu dans un Japon moderne ou l'entrée sur le territoire des joujous préférés de nos amis américains ne peut décemment s'effectuer. Cohérence oblige, il fallait alors trouver un système attrayant pour happer le joueur tout en se passant d'une mécanique de jeu vidéo si intrinsèquement liée à notre médium.
Via un ingénieux système de magie Ghostwire place entre les mains des joueurs rien d'autre que…les mains du protagoniste que l'on contrôle, simplement. Avec de superbes animations des doigts et donc des mains on a la possibilité de parer, esquiver, lancer des boules de feu, des vagues d’eau et j’en passe. Sur le papier ce n’est pas foncièrement une chose que l’on n’a jamais vu, surtout dans des œuvres s'abreuvant de la culture asiatique pour bonifier un gameplay BTA, mais dans un jeu à la première personne cela est bien trop rare pour ne pas être souligné.
Dans mon cas, j'ai adoré ce système et vécu le gameplay comme une vraie bouffée d’air frais dans un genre souvent fermé à d’autres choix de game design. Possiblement sur la longueur et si l’on investit pas rapidement des points d'expérience dans l’arbre de compétence disponible, le système de combat peut vite devenir assez répétitif (j'ai parfois lu qu'il manquait d'un dash cependant celui-ci est bien présent déblocable en progressant dans l'arbre de compétences). Ghostwire n’a pas vocation à tenir le joueur en haleine 60 heures, mais plutôt 15-20 tout au plus pour la trame principale et si l’on se base sur ca, je ne trouve pas que le gameplay devient si répétitif, du moins pas plus que de tirer en boucle avec des armes à feu, le résultat étant plutôt similaire si on y réfléchit. Une mitraillette ? Le pouvoir du vent. Un bazooka ? Le pouvoir du feu. Un fusil à pompe ? Le pouvoir de l’eau, rien de fondamentalement différent, au joueur de découvrir s'il accroche à la proposition faite ici.
De plus, Tango a su apporter une diversité intéressante concernant le bestiaire. Avec un peu plus d’une vingtaine de "monstres" yōkai éparpillés dans la ville, tous issus du folklore plus ou moins récent japonais, Ghostwire ne dévoile pas ses cartes d'entrée de jeu et ce n’est qu'en arrivant vers la fin de l’aventure que nous aurons un aperçu de tout ce que le jeu peut nous offrir sur ce point. L’IA sans être bête, ne réserve pas de grandes surprises malheureusement, le pattern établi est souvent identique et si l’on n’augmente pas la difficulté, la légère tension horreur qui restait à Ghostwire disparaît, l'IA étant bien plus agressive en "difficile".
Point à noter, si l'affrontement est souvent la meilleure façon d'arriver à ses fins, il est tout à fait possible d'être discret ou simplement esquiver tous les combats, car ceux-ci sont relégués au second plan quand il s’agit de quitter la quête principale. Parcourir le monde de Ghostwire de haut en bas sans affronter un seul ennemis n’est pas irréalisable, d’autant que Tokyo s’offre à nous à l'horizontal mais aussi verticalement avec la possibilité de “voler” entre les toits des immeubles donnant toute la latitude d’aborder des situations délicates en voulant purifier quelques points d'intérêts par exemple pour libérer le reste la ville.
Ma critique étant déjà bien trop longue, je vais me permettre de mettre fin au développement détaillé de chaque facette du jeu pour conclure de manière plus complète qu'à l'accoutumée.
Vous l’aurez compris, Ghostwire est un jeu étrange qui a beaucoup divisé les joueurs oscillant entre le mauvais et le très bon à la lecture des avis du moins sur SC, car sur d’autres sites on est proche d’un succès critique.
C’est une œuvre qui demande d’outrepasser quelques mécaniques vieillottes pour accéder à une boîte de pandore bien cachée. Flâner, lire, observer, comprendre et prendre son temps sans jamais se sentir forcé à suivre ce que le jeu pourrait vous demander font partie des prérequis pour y trouver son plaisir sinon, c’est l’ennui qui vous gagnera.
Il ne fait pas nécessairement mieux que les autres, mais il fait aussi beaucoup de choses différemment et c’est un point que j'apprécie beaucoup dans notre médium, d’autant plus quand on parle de triple A ou le risque d'échec est élevé
Revenir sur chaque chose que j’ai vécu dans le jeu me prendrai 15 pages, mais je suis prêt à en prendre les pari que les avis se bonifieront avec le temps, les gens regrettant d'avoir était si intraitable dans leurs réceptions auprès de ce qui est une œuvre tout à fait singulière certe pas parfaite mais profonde et une photographie d’un Japon à un instant qui restera une référence vers laquelle on se tournera en pensant Tokyo, un bonbon de nostalgie à la manière d’une plongée dans l'Egypte antique d’Origins.
Empli d’un humour tout aussi intelligent, mais au double sens qui demande parfois de lire le japonais ou d’effectuer quelques recherches sur Internet, Ghostwire n’est jamais là pour vraiment tendre la main au joueur en dehors de son gameplay accessible.
Rarement complaisant avec le Japon moderne, Ghostwire n’est pas non plus la carte postale idéale d’une campagne japonaise sur un coucher de soleil en abord de rizières. N'essayant pas d'être propre sur lui et de présenter une image idyllique de l’archipel, il est plutôt cru et négatif dans les thèmes traités. L'histoire d'une famille brisée et celle d'un homme qui doit réparer ce qu'il pense réparable dans un Tokyo ou tous les maux de la culture japonaise sont personnifiés et c’est peut être ici que se situe la vraie horreur du titre. Ce n'est pas “l'étudiant surmené” sans tête en habits de supermarché (vraie description en jeu) qui nous dira le contraire.
C’est glauque et intriguant, le “weirdest game of 2022” comme aiment le nommer les anglophones, mais sur moi la magie a opéré.
J’ai longuement hésité sur ma note, 7, 8, peu importe, je suis parti sur un 8 dans un élan de générosité peu objective, mais tout à fait légitime au regard du plaisir que j’ai eu à faire Ghostwire Tokyo du début jusqu'à la fin et me fondre dans cette ville qui se prête si bien à l'exercice de l'exploration plus ou moins hallucinée et étrange.
Maintenant, vous avez toutes les clés pour savoir si ce jeu est fait pour vous et au regard de votre sensibilité à la culture japonaise vous y trouverez votre compte.
De mon côté, j'espère que Tango continuera cette série et surtout ailleurs au Japon pour en polir toutes les facettes et mettre tout le monde d'accord.
Mes captures d'écran sur Steam:
https://steamcommunity.com/profiles/76561197996627981/screenshots/?appid=1475810&sort=newestfirst&browsefilter=myfiles&view=imagewall
Liste des Yōkai avec courtes descriptions:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_y%C5%8Dkai
Les légendes urbaines Japonaise:
https://en.wikipedia.org/wiki/Japanese_urban_legends