On traduit souvent l'anglicisme beat 'em up (déformé en beat them all par les journalistes français) par « frappez-les », ou « battez-les ». Cette traduction n'est pas très pertinente car en réalité, to beat up possède un sens encore plus fort. En effet, il n'est pas question de frapper ou de battre quelqu'un ou quelque chose, mais carrément de le tabasser, le castagner, que dis-je, le démarrer (je vous laisse le soin de trouver votre synonyme favori). Un beat 'em up, par essence, ce n'est donc pas seulement un jeu de baston où les combats s'enchaînent : c'est une véritable hymne à la barbarie, invitant le joueur à défoncer sans aucune pitié tous les ennemis qui auront l'audace de se mettre en travers de son chemin. Je pose alors la question : quoi de mieux que le sadique et violent God of War pour représenter le genre beat 'em up ?
Oublions la sémantique et passons à la critique. Car quelques semaines après avoir découvert ce jeu mythique dont j'avais bien évidemment entendu parler (j'ai pris mon temps, c'est vrai), j'ai décidé de lui rendre hommage, ici-même. Cette critique sera séparée en trois parties : j'évoquerai d'abord l'histoire et le lore du jeu ainsi que son rapport à la mythologie grecque (dont je suis un passionné), puis je m'attarderai sur son aspect technique. Enfin, j'essaierai de mentionner les quelques défauts qu'on pourrait lui reprocher, mais je vous le dis de suite, la tâche a été difficile. Et avant de me prêter à ce jeu d'analyse, je tiens à préciser que cette critique est celle d'un joueur n'ayant joué qu'une fois à God of War et n'ayant pas connu les opus suivants. Je n'ai donc pas le recul dont certains d'entre vous jouissent, et il n'est absolument pas exclu que la note que j'ai donnée à ce jeu soit revue après avoir joué à ces opus.
Une ode à la mythologie grecque.
God of War, c'est l'histoire de Kratos, féroce capitaine spartiate rongé d'une soif de destruction et d'une folie meurtrière telles qu'il en est venu à tuer sa femme et sa fille. Cette monstruosité lui a été imposée malgré lui par Arès, le dieu de la guerre, et pour se venger, Kratos va se mettre en tête de le tuer lui aussi. Pour cela, il va demander l'aide des dieux, et ainsi, à travers un scénario digne d'une tragédie grecque, le joueur va faire la rencontre des dieux les plus emblématiques que l'Olympe n'a jamais connus : Poséidon, Aphrodite, Zeus, Artémis, Hadès et l'inévitable Athéna seront de la partie. Le titan Cronos fera lui aussi son apparition, tout comme le Minotaure, l'Hydre ou encore Méduse. Et cela ne s'arrête pas là. Les personnages que je viens de citer ne sont pas les seules références à la mythologie grecque : Kratos sera amené à parcourir la légendaire cité d'Athènes, le mont Olympe et le temple de Pandore, renfermant la précieuse boîte du même nom. Même le Styx, iconique fleuve des Enfers, s'invitera à la fête.
Mais God of War ne se contente pas seulement d'introduire dans le jeu des éléments de la mythologie. Il parvient aussi à aborder des concepts typiques de cette dernière, comme la thématique du destin : la première scène du jeu est un flashforward de la tentative de suicide de Kratos au Pic du Suicide, comme un avertissement d'une destinée inévitable... Puis, au milieu du jeu, le joueur découvre ce fameux Pic du Suicide, un lieu qui lui semble alors anodin au premier abord mais dont il sait déjà la signification. Sa mission est alors loin d'être finie et il lui reste beaucoup de choses à accomplir et d'ennemis à tuer, mais le jeu le met en garde :
« En vous tenant là, vous avez un pressentiment. Comme si votre sort ultime était lié à cette corniche. »
Enfin, après avoir battu Arès mais se rendant compte que ses actes sont irréparables et qu'il ne reverra plus jamais sa famille, Kratos sombre dans le désespoir et le tourment, et se rend au Pic. Vous devinez la suite : comme dans toute tragédie grecque digne de ce nom, le héros n'aura pas pu échapper à son destin. D'ailleurs, on peut aussi évoquer cette notion de destin lorsque Kratos aperçoit Arès pour la première fois à Athènes, Arès se trouvant à l'endroit même où Kratos le vaincra quelques heures de jeu plus tard.
Si God of War aborde des thèmes récurrents dans la mythologie grecque, il partage aussi sa poésie. Par exemple, j'ai beaucoup aimé le fait que les cendres de la femme et la fille mortes des mains de Kratos se soient incrustées dans la peau de ce dernier pour la blanchir et devenir ainsi une cicatrice indélébile rappelant à jamais au héros l'horreur qu'il a commise. Ce genre de métaphore est, selon moi, caractéristique de la mythologie grecque, qui aime les images et les allégories.
Enfin, le level design et la patte artistique de God of War s'accordent parfaitement avec cet univers. Après avoir survécu aux flots enchaînés, le joueur arpente une Athènes en ruines, avant de partir pour le gargantuesque temple de Pandore, de revenir une nouvelle fois à Athènes et de terminer son périple au sommet du mont Olympe, le tout dans un décor tout aussi tragique que splendide, où le monde est imposant et où on fait les choses en grand. La mythologie grecque a toujours eu ce côté grandiose et épique, justement.
Un jeu parfaitement réussi.
Au-delà de la mythologie, ce qui me plaît chez God of War, c'est que c'est un grand jeu. Un très grand jeu, bien réalisé, bourré de qualités. Déjà, dès l'introduction, on est mis dans l'ambiance. Pas de tutoriel chiant, pas de cinématique interminable, le joueur est directement lancé dans le bain et c'est tant mieux.
Je trouve le jeu très facile à prendre en main, notamment grâce à sa maniabilité, qui a été critiquée par certains mais qui m'a personnellement laissé une très bonne impression. Les mouvements de Kratos sont fluides, et il y a un élément que j'ai beaucoup apprécié : le fait que Kratos puisse changer la trajectoire de ses attaques en plein combo. C'est peut-être un détail, mais je trouve que cela rend l'expérience de jeu encore plus stimulante. Finis les combos qui terminent dans le vide ou contre un mur, plus de gaspillage : on a dit qu'il fallait démarrer ses ennemis, alors démarrons-les en bonne et due forme !
Les combos, d'ailleurs, m'ont aussi beaucoup plu. Je les trouve tout aussi excellents que nombreux, et là où God of War est très fort, c'est qu'il propose une vraie palette de coups et une grande richesse d'actions tout en restant remarquablement simple. Chaque joueur pourra donc plus ou moins faire parler sa technique mais aucun d'entre eux ne se perdra dans des menus labyrinthiques pour savoir comment trancher ses ennemis avec classe. Et quoi de mieux que de violents combos pour pousser la cruauté et le sadisme des combats à son paroxysme ? C'est d'ailleurs l'un des grands atouts du jeu : ce sadisme à outrance ne peut rendre l'expérience que plus enivrante encore, et comme je le disais en introduction de ma critique, c'est ce qu'on attend d'un beat 'em up.
Les phases de gameplay, elles aussi, témoignent d'une grande richesse, mais surtout, elles sont en parfaite adéquation avec le contexte du jeu. Je voudrais prendre comme exemple le passage dans le Styx, le fameux fleuve des Enfers dans lequel Kratos est projeté après avoir été « tué » par Arès, et notamment la phase où le joueur doit escalader des piliers tournant sur eux-mêmes et jonchés de sabres (le moindre contact, ne serait-ce que très léger, avec l'un de ces sabres, fera tomber Kratos jusqu'en bas du pilier). C'est un passage que beaucoup de joueurs ont montré du doigt, et jamais pour en vanter les mérites. Pourtant, malgré toute la colère et la frustration qu'il peut provoquer chez le joueur, j'ai trouvé ce passage génial. Kratos est dans le Styx, le fleuve conduisant aux Enfers. Quoi de plus cohérent que de faire vivre au joueur lui-même un véritable enfer ? C'est encore un détail, c'est vrai, mais l'accumulation de détails de ce genre montre bel et bien que rien n’est laissé au hasard dans God of War.
En revanche, le passage du Styx est celui qui m'a le moins marqué en termes de level design. Il ne s'agit pas du pire, attention, mais plutôt du moins bien, car niveau level design, God of War nous propose là aussi une masterclass. Par exemple, le Temple de Pandore est selon moi un modèle à montrer dans toutes les écoles de conception de jeux vidéo. Je n'ai que très rarement connu quelque chose d'aussi prenant, d'aussi esthétique et d'aussi grandiose.
Et parce que God of War ne se contente pas seulement d'offrir des passages grandioses, il propose aussi d'excellentes transitions entre ces passages. Je reprends un exemple : après avoir terminé le Temple de Pandore, Kratos doit retourner à Athènes. La logique voudrait qu'il reparte par là où il est arrivé, c'est-à-dire par le désert, mais cela impliquerait de retraverser ce désert, ce qui pourrait être redondant et couper le rythme effréné du jeu. Les développeurs ont trouvé une meilleure idée : passer par les Enfers, littéralement, et revenir par la tombe creusée par le vieil individu rencontré un peu plus tôt dans le jeu (là encore, on retrouve le thème du destin).
Enfin, parce que j'ai commencé cette partie en évoquant l'introduction du jeu, j'aimerais parler de son final, qui m'a tout simplement bluffé. Le duel à l'épée entre Kratos et Arès, mis sur un pied d'égalité par la boîte de Pandore, est à la fois riche (une nouvelle fois), haletant et particulièrement corsé. Je n'en attendais pas moins d'un tel jeu : un boss final facile m'aurait particulièrement déçu. Au contraire, j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois et c'était une très bonne chose ! Et quelle conclusion... Après la cinématique de fin et le suicide de Kratos, le joueur est replongé dans le jeu et invité à grimper les marches dorées de l'étincelant mont Olympe, qu'il peut admirer comme bon lui semble, à son rythme, avant de s'installer sur le trône du dieu de la guerre entouré de ses trophées de guerre : les corps du Minotaure et d'Arès.
Des défauts ?
Il est très compliqué pour moi d'arriver à trouver des défauts chez ce jeu, tant il m'a exalté. Mais une bonne critique doit pouvoir peser le pour et le contre. Je suis donc allé lire plusieurs analyses de mes compatriotes de SensCritique, et j'ai pu voir pas mal de reproches faits à ce jeu. Et si certains (sur la maniabilité, la direction artistique et les graphismes, par exemple) m'ont paru incompréhensibles, d'autres étaient beaucoup plus cohérents même si je ne les partageais pas toujours.
Par exemple, la durée de vie de God of War a souvent été remise en cause. Alors c'est vrai, le jeu est très court et cet argument est tout à fait valable d'un point de vue subjectif. Cela dit, d'un point de vue plus personnel, ce n'est pas quelque chose que je pourrais condamner, bien au contraire. Si j'aime les jeux d'aventure et d'exploration très chronophages, j'aime aussi les jeux plus courts, et je préfère qu'un jeu comme-celui, si linéaire et intense, ne dure qu'une dizaine d'heures plutôt qu'une trentaine. Mais je crois que le fait que la durée de vie d'un jeu soit bonne ou mauvaise dépend beaucoup des attentes du joueur. Et mes attentes ne sont pas universelles, j'entends donc ce reproche.
En revanche, là où je rejoins certains commentaires que j'ai pu voir, c'est au niveau de la bande-son. Alors attention : elle est exceptionnelle, là n'est pas le problème. Impossible de blâmer une bande-son si orchestrale, si épique et si transcendante (le doublage est plutôt bon, d'ailleurs). Le souci, selon moi minime mais existant, c'est que cette bande-son est assez répétitive. Pour ma part, cela ne m'a pas trop gêné, tant les musiques de ce jeu sont fantastiques. Mais j'aurais peut-être aimé, en effet, que la musicalité de God of War soit un tout petit peu plus riche.
Idem pour le bestiaire : j'aurais aimé qu'il soit lui aussi plus riche. Quand j'y repense, la palette d'ennemis n'était pas si vaste et aurait elle aussi mérité d'être un peu plus approfondie. C'est le troisième et dernier défaut que je mentionnerai dans ma critique.
Il est probable que d'autres défauts viennent s'ajouter à la liste lorsque je m'attaquerai aux opus suivants. De nombreuses personnes m'ont vanté les mérites de God of War 2, apparemment encore plus stimulant que le premier opus. D'autres s'accordent à dire que la saga prend toute son ampleur dans God of War 3 et que c'est LE titre référence. Il me tarde de découvrir ces opus et me faire mon propre avis. Peut-être alors qu'avec le recul, God of War perdra des points. Ou peut-être que, au contraire, il confortera encore plus la place qu'il s'est faite parmi mes gros coups de cœur vidéoludiques. Toujours est-il que God of War a eu le mérite de me mettre l'une des plus grandes claques de ma vie, et ça, rien ne pourra le changer !