Laboratoire de l'éthique.
Par Nicolas Turcev
Le sergent Burden est infaillible. Soldat de légende, meneur d’hommes hors-pair, cet avatar hollywoodien de l’homme providentiel est la pièce centrale de l’échiquier humain de Gods Will Be Watching. Plus qu’un pantin articulé, il est un standard de jeu attendu, un étalon de performance annoncé par les développeurs que le joueur s’efforcera de reproduire dans une série d’expériences laborantines. Avec ce premier jeu (commercial) né d'une game jam et repéré par Devolver, le quintette ibérique Deconstructeam stylise son purgatoire moral en quelques traits rapides : une ossature faite d’expérimentations perverses, un sens de la concision zorkien dans le gameplay, une bonne dose d’arcade et quelques pâtés de pixel-art. Plongé au cœur de cette saga catastrophique au minimalisme appuyé, le joueur doit ainsi faire face au maximalisme des données qui débordent et inondent l’espace de jeu. Tout l’enjeu résidant,lors de chaque tableau de ce space-opera décharné, dans la résolution du dilemme froid qui fait s’affronter pragmatisme, optimisme et conviction. Doit-on faire le choix du moindre mal ou espérer une alternative heureuse en s’en remettant aux bonnes grâces des dieux ? Peut-on légitimement sacrifier l’humain pour le bien d’une plus grande cause que l’on suit arbitrairement ?
Gods Will Be Watching ne donne pas vraiment de réponse, mais fournit la combinaison de chercheur. Le temps, les ressources et la gestion humaine se confondent dans un point-and-click épuré et mathématique, fait de quelques lignes d’input sommaires. Chaque situation de jeu est intelligemment bâtie autour du management croisé et conflictuel des nombreuses variables à prendre en compte (le moral des troupes, le feu de camp, les munitions, etc). L’égoïsme se heurte à l’altruisme, l’éthique à la pratique, le temps à la réflexion. Du fait de ses infinies modalités d’exécution, Gods Will Be Watching produit un début de discours anthropologique inattendu sur nos scrupules, nos déficiences et notre objectivisme. Par-là, il a pour ambition d’être ce Descartes de la morale, d’insérer le doute en permanence en jouant vicieusement et rigoureusement avec nos peurs primaires : l’isolement, la faim, la solitude, la mort. Peut-on seulement les éviter ?
Mais l’extrême densité toute scientifique du titre gâche quelque peu ce questionnement si précieux. Le maillage sophistiqué des variables de Gods Will Be Watching floute les raisons de l’échec du joueur condamné dès lors à subir un Die & Retry qu’il ne peut assimiler ou interpréter. Armé du punitif aléatoire du rogue-like et de l’itératif de l’arcade, le jeu engage à ce moment une lutte frustrante avec le joueur qui se voit impérativement transformé en super-calculateur afin de pouvoir faire face à un tel mur. Ce combat d’acharnés entre le système et l’humain finit par phagocyter tout l’espace et l’expérience vécue n’est plus définie que par l’obsession aveugle de la réussite. La tension s’installe alors en réponse à l’éventualité omniprésente de l’échec. Suspendu au-dessus de l’incertitude la plus totale des heures durant, le succès est grisant, le naufrage décourageant. Et fatalement, à mesure que l’on sombre dans un océan d’algèbre et de calculs, l’attention portée au récit diminue progressivement jusqu’au désintéressement. Ne reste plus que la moelle tactique et carrée du gameplay froid et exsangue. (...)
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