J'avais dit que je l'abandonnais et que je ne le noterai donc pas, mais finalement je l'ai terminé (sauf le monde optionnel) parce que je suis incorrigible.
Golden Light paraît facile à définir avec nos termes modernes : c'est un rogue-lite d'horreur en vue FPS. On doit sauver la femme de notre vie qui a été absorbée dans la Meat Zone, un monde souterrain cauchemardesque répartis en étages que l'on doit explorer. Jusque là ça va.
On y va, on arrive dans un appartement miteux peuplé de colonnes d'écrans d'ordinateurs cathodiques empilés et allumés, et déjà on se prend une direction artistique incroyablement cradingue dans la face. On dirait un retour aux jeux d'horreur de la PS1 qui mettent d'autant plus mal à l'aise qu'ils ont une tronche taillée à la serpe et c'est un compliment, sauf qu'au lieu de trop réduire le nombre de polygones ça joue plutôt sur le grain. On entend l'Intestin qui nous fait des reproches et nous demande le sens de nos actes, on se fait agresser par des monstres qui prennent l'apparence de n'importe quel objet, item ou élément du décor, on trouve des documents qui ne veulent généralement rien dire mais qui peuvent parfois nous infliger des statuts aléatoires, on peut se frapper soi-même sans forcément comprendre à quoi sert cette mécanique (elle a une vraie utilité mais pas forcément bien expliquée), on récupère des objets que l'on peut lancer mais dont on ne connaît pas l'effet, on peut aussi les manger tout comme nos armes parce que tout est viande dans ce monde, on entend des sons crispants au possible dont on ne connaît pas la raison à la première partie. On ne comprend rien à ce qui nous arrive, on se démène comme on peut, on se traîne avec notre corps lourd jusqu'à l'ascenseur avec les clés qu'on a trouvées, repérables à leur lumière dorée (hmmm...). Et puis on meurt, suite à une altération d'état bizarre qu'on n'a pas pris la peine d'étudier dans les menus (l'Appétit d'Or, cette saleté) ou à cause d'une bestiole qui nous a sautée dessus de nulle part alors que notre hache s'était cassée. On se dit qu'on n'a rien pigé à ce qui nous est arrivé mais qu'il y a déjà eu un truc inédit dans ce qu'on vient de vivre. Et puis notre mort nous ramène à la surface, et on découvre un hub qui s'étend beaucoup plus que ce qu'on attendrait d'un hub de rogue-lite, dans lequel on peut récupérer des ressources et même croiser des ennemis. Et donc mourir. Dans le hub.
C'est là que ma partie a commencé à aller dans de mauvaises directions, parce que moi quand je vois que mon hub est explorable, je l'explore. Je vois des entrées, ça m'envoie dans des étages de la Meat Zone auxquels je n'avais pas encore accédé avant et je ne comprend rien. D'habitude dans un rogue-lite le but est de traverser tout un parcours du début à la fin, avec éventuellement des checkpoints quand on a réussi à parcourir un biome, pour atteindre un dernier niveau. Je ne comprenais pas pourquoi il y avait des raccourcis pour les étages les plus profonds aussi accessibles et dont les numéros semblaient n'avoir aucun sens (j'ai fait un monde sans savoir qu'il était optionnel et ajouté dans le jeu après-coup, il me balançait à l'étage -1406 j'ai haussé les sourcils). J'avais l'impression que le vrai jeu se faisait dans le hub et je ne voyais pas pourquoi je devais retourner dans la Meat Zone, quelle était la marche à suivre pour sauver notre bien aimée Elle. La vérité c'est que le but n'est pas tant d'atteindre le dernier étage que de récupérer chaque partie du corps de Elle dans chaque biome pour la reconstituer comme un chirurgien fou, il faut donc considérer ces différentes entrées du hub comme des mondes indépendants de 3 étages chacun que l'on peut faire dans l'ordre de notre souhait. Plus inhabituel encore dans un rogue-lite, on ne recommence pas du début du biome à chaque nouvel essai mais au dernier étage atteint, à moins de payer quelqu'un pour nous ramener au début pour récupérer quelques items ou bonus passifs avant d'attaquer les choses sérieuses. Cela peut donc rendre l’échec moins frustrant, et vu comment le chaos s'installe vite ce n'est pas de trop, mais ça m'a pas mal perturbé parce que je n'arrivais pas à m'enlever de la tête les conventions du rogue-lite.
Si j'insiste sur mes déboires personnels sur des points qui ne vous auraient peut-être pas posé de problème, c'est parce que l'incompréhension est un élément clé du design de Golden Light. Le scénario est cryptique, distillé dans des flashbacks statiques, des conversations obscures et des sarcasmes de l'Intestin, à un point tel que j'ai fini par l'ignorer parce qu'il me paraissait suffisamment flou pour qu'on y mette un peu ce qu'on veut. Quelques fins non standard constituent d'ailleurs un troll avec cette idée que l'on a perdu la mémoire et que l'on ne sait pas forcément ce que l'on est, il y a d'ailleurs des bonus passifs appelés Memento qui peuvent ramener des souvenirs parfois farfelus. Mais ce n'est pas sur cette narration -qui se moque d'ailleurs des surinterprétations que l'on peut se faire de scénarios vaporeux- que repose mon terme "d'incompréhension". C'est sur toutes les règles qui régissent ce monde bizarre, et c'est en grande partie ça qui va amener le malaise que l'on attend d'une expérience horrifique.
Je vous ai parlé de mes galères avec ce hub dans lequel je peinais à me trouver un objectif clair mais les exemples sont multiples, bien que leur nombre décroisse à mesure qu'on s'habitue au jeu. Par exemple en plus de nos armes (pas plus de 2 en poche) on va récupérer des items au look aléatoire, que l'on peut manger ou lancer. L'utilité de ces items est modifiée après chaque mort du joueur, on ne sait donc pas ce que fait l'objet en question quand on le ramasse : il peut rendre des PV ou réparer l'arme en main, mais il peut aussi exploser ou créer des altérations d'état étranges. Pour savoir ce qu'il fait il faut l'utiliser, ou avoir la chance de tomber sur une note qui nous l'explique ou un vendeur à qui on en achète un. Il y a une zone envahie par un nuage de poison ou du feu ? Lancer un truc dedans pourrait le dissiper (ou pas d'ailleurs), et ça suffira pour que le jeu nous dise de ce que fait l'objet et sauvegarde l'information pour le prochain objet du même type que l'on pourrait trouver, ce qui sera malheureusement rare tant il y a de variétés différentes. Mais gaffe aux réactions en chaîne, c'est vite arrivé de faire naître un nuage d'hémorragie qui déclenche l'agressivité d'un pnj normalement amical, ou un appeau qui attire les monstres au mauvais endroit. Vous pouvez aussi manger l'objet, ça vous redonne toujours des PV mais si c'est pour vous faire saigner derrière vous n'y gagnez pas forcément. Sachez en tout cas que ce que vous transportez vous ralentit et que si vous voulez vous remettre à courir il faudra peut-être songer à vous débarrasser de certaines affaires, en les jetant ou les mangeant.
Vous allez donc pas mal avancer dans le brouillard, parfois littéral tant le champ de vision peut se montrer limité par moment. Les ennemis sont camouflés et se repèrent à leur respiration lourde quand on s'approche d'eux, mais il peut aussi s'agir d'un pnj non violent. Il y a pas mal d'agressions auditives, certaines gratuites et d'autres provoquées par le passage des monstres qui se baladent, s'attaquent accidentellement, ou répandent un incendie partout sur leur passage. Les niveaux sont également assez labyrinthiques avec des salles qui se ressemblent toutes, mais on peut s'aider de cartes fixées au mur, voire en emporter avec soi si on a un emplacement d'arme de libre sur les deux à disposition, au pire si vous voulez vous en débarrasser vous pouvez la manger. Vous allez galérer à vous enfoncer dans ces couloirs à la recherche de ces clés, crier victoire devant la lumière jaune qui les accompagne, pester quand vous vous rendrez compte que c'était la lumière d'un ordinateur qui traînait au milieu de la rue (les fourbes). Quand vous mourez une première fois à un étage vous avez droit à une seconde chance en vous faisant téléporter ailleurs, c'est une très bonne mécanique qui évite à la fois une trop grande frustration (nos PV peuvent partir très vite) et se montre assez bien équilibrée puisque vous ne récupérez pas toute votre santé, et surtout ça a pour effet de vous paumer complètement puisque vous ne savez pas où vous vous trouvez. Or il va falloir s'approprier ces lieux générés aléatoirement à chaque tentative, ne serait-ce que pour fuir efficacement quand des horreurs vous pourchassent, ou encore quand vous récupérez votre dernière clé et que ça déclenche la furie de tous les monstres, pnj compris, qui vont vous poursuivre où que vous soyez. Les problèmes d'orientation auront rarement été aussi prégnants et avec des conséquences aussi angoissantes que dans ce jeu.
L'horreur est favorisée par la confusion, par la direction artistique sale, par ces sonorités subites à identifier, par ces attaques surprises de monstres que l'on ne voit pas, par ce level-design biscornu. Mais il faudrait aussi parler de tout ce qui peut nous tuer et de comment nous pouvons nous sentir démuni. On a des armes de corps-à-corps et des armes à feu, avec des munitions plus ou moins disparates. Les deux types d'armes se cassent, et même assez vite, tandis que l'Intestin nous prévient que si on tue trop de monstres il va s'énerver et augmenter le nombre d'ennemis et le prix des transactions, jusqu'à ce qu'on trouve l'un des deux moyens de le calmer. Je vous mets l'un de ces moyens en spoiler si jamais, mais vu comment c'est expliqué de manière nébuleuse je me dis que cette info n'est pas de trop :
Vous pouvez vous automutiler, l'Intestin aime ça et vous dira alors que vous êtes une bonne viande. Cela donne enfin un intérêt à cette mécanique qui vous demande de choisir entre votre santé et de bonnes conditions de navigation dans cette Meat Zone.
Cela vous incite donc à esquiver les combats autant que possible malgré l'or que vous pouvez récupérer sur les ennemis. Vous aurez rarement les moyens de nettoyer tout un étage et certains adversaires sont très coriaces et demandent de bonnes dispositions avant de s'y attaquer, comme les boss. Il va falloir se faire tout petit et ne pas faire trop de bruit, surtout quand une respiration vous informe de la présence d'un ennemi camouflé dans cette salle encombrée d'objets suspects. Oh tiens une tasse à café qui glisse toute seule, on va gentiment s'écarter de son passage, ah merde je viens de déclencher un incendie en tentant de désactiver un piège, faut que je me barre et que je coure sur place pour éteindre mes flammes, ah bah avec mon boucan j'ai rameuté une saloperie qui fait un bruit de piano désaccordé, vite je fonce droit devant moi à l'aveuglette, tant pis pour ce nuage de poison, putain j'y vois rien et je me fais bolosser par tous les mobs qui me suivent tandis que clignote le message "Quelqu'un m'a entendu...", je suis trop chargé pour m'enfuir efficacement et j'ai déjà vidé ma jauge d'endurance, bah si c'est comme ça je vais leur vider mon chargeur, mince pourquoi ça tire plus je suis déjà à sec ? Ah non c'est vrai qu'on est dans un jeu où le rechargement ne se fait pas automatiquement quand on n'a plus de balle, il faut penser soi-même à recharger manuellement, d'ailleurs le tir est aussi lourd que le maniement de la hache avec sa faible cadence et son efficacité relative, cela contribue aussi à la vulnérabilité du personnage qui est loin de sautiller comme un cabri, et si je me permets de couper ainsi la frénésie de ma phrase précédente c'est que je suis bien évidemment mort entretemps.
On l'a vu, le jeu est bourré de qualités et de personnalité. Malheureusement il est aussi bourré de défauts, et il va bien falloir s'y attaquer. Commençons par la finition. Il y a nombre de bugs plus ou moins gênants, qui vont de l’icône de la souris qui peut apparaître en jeu alors qu'elle ne coïncide pas avec le curseur de visée, à l'ennemi d'une zone précise qui m'attaque sans me faire de dégâts et que je ne peux pareillement pas blesser, en passant par les mécaniques qui ne fonctionnent pas : on peut récupérer certaines armes en échange d'une altération d'état négative, mais quand je valide ma décision ça me retourne une fenêtre de dialogue vide, sans aucun effet. Les Succès ont également arrêté de se déclencher à partir d'un certain point, par exemple le jeu ne me valide pas celui que l'on a en finissant le jeu (pour la version Epic). La traduction française semble avoir été faite via Google Trad ("Si vous me cherchez, je suis à gauche", sauf que je suis certain que le texte devait dire "I'm left" ou un truc du genre). Certaines répliques ne sont pas traduites, certains termes le sont une fois sur trois (l'Intestin qui devient le Gut) et la grammaire est très robotique et hésitante. Mais le truc avec tous ces défauts, c'est qu'on met du temps avant de se rendre compte qu'ils ne sont probablement pas volontaires. Golden Light nous habitue au bizarre et à l'inattendu, de sorte qu'un message qui ne fasse pas sens ou un phénomène qui ne fonctionne pas comme il devrait peut donner l'impression de faire partie du jeu et même renforcer son aura, du moins quand ça ne casse pas trop les mécaniques à disposition.
Ce qui est plus gênant c'est la lassitude qui s'installe assez vite. La formule d'un rogue-lite peut être une bénédiction dans un jeu d'horreur parce qu'elle empêche d'anticiper nos rencontres et qu'on n'est jamais sûr qu'on ne va pas subir une grosse injustice, mais elle empêche également aux développeurs de tailler leurs expériences sur-mesure pour mieux les renouveler. Chaque biome aura ses ennemis, et pour l'un d'eux son gimmick propre, mais cela ne change pas fondamentalement l'expérience et on retrouve les mêmes pièges et pnj. Le changement d'environnement devient un changement d'ambiance à 1-2 ajouts près, ainsi qu'une difficulté qui passe un cap. Mais la boucle de gameplay devient très répétitive, malgré quelques moments de chaos que l'on vivra tantôt comme des feux d'artifices de relations de cause à effet à la Worms, et tantôt comme des moments où l'Univers décide de nous vider son pot de chambre sur la tête.
Il y a surtout des problèmes d'ergonomie qui peuvent facilement vous casser les pieds. J'avais dit qu'on pouvait ramasser des ressources dans le hub : il s'agit d'or, de Memento (qui changent un peu le game de façon amusante pour certains) et surtout d'armes. Cela permet d'entrer dans la Meat Zone avec un avantage... au début. Parce qu'ensuite ça devient une obligation, les environnements ne fournissent plus forcément d'arme d'entrée de jeu parce que les développeurs considèrent qu'on ne viendra pas les mains vides. Il faut donc à chaque nouvelle tentative se remettre à fouiller pour trouver de quoi se défendre, alors que le hub est vaste, que des armes plus efficaces que d'autres peuvent se trouver à des endroits éloignés et qu'on se perd très facilement pour trouver l'entrée de la zone que l'on cherche. J'ai essayé de rentrer dans les ruelles à poil, je me suis fait harceler par une bestiole trop rapide pour que je puisse lui échapper et j'avais zéro arme sur mon chemin pour lui apprendre le respect. Il faut donc se farcir un ratissage à chaque nouvel essai, et c'est vraiment très pénible à la longue. Même problème avec un élément du jeu : on a des endroits dans la Meat Zone où l'on peut se soigner tant qu'on y reste. Comme il n'y a pas de limite on n'en bougera pas tant que sa barre de vie ne sera pas au max, sauf que cette régénération est leeeeente. Sans dec', on peut y passer plusieurs minutes si on est à l'article de la mort. Je peux comprendre l'envie de ne pas rendre tous nos pv trop vite pour qu'on soit obligé de stationner dans des situations qui ne s'y prêteraient pas, mais là c'est vraiment chiant et nos moyens de récupérer de la vie sont trop peu nombreux pour qu'on se permette de renoncer à celui-là. Couplez tous ces problèmes avec mes errements initiaux quant à ce que le jeu attendait de moi et il peut devenir difficile de se motiver à le poursuivre, d'autant que son univers, pourtant peuplé de rencontres poétiques à leur manière, paraît trop gratuitement bizarre pour que son lore me tienne en haleine.
Golden Light est un jeu unique et cassé, comme un Suda 51 ou une production de l'époque où les développeurs faisaient de l'horreur sans être influencés par une norme. Il réussit sa mission à court terme : on a cette alternance entre les moments de calme qui nous laissent à l'affut et les gros rushs stressants, on a cette incertitude face à tout ce qui peut nous tomber dessus. Il ennuie et énerve sur le moyen/long-terme, sa proposition s'essouffle assez vite. C'est un cauchemar peuplé de mannequins statiques qui bouclent leurs courtes conversations sibyllines, qui ne donne jamais satisfaction au joueur, y compris par ses fins qui ne valent pas vraiment nos efforts en elles-mêmes. On sent que la bizarrerie est davantage une posture qu'une envie de raconter un truc précis, mais sans doute qu'un courageux ayant pondu une thèse sur son lore me donnera tort. C'est un jeu déplaisant auquel on pense longtemps, il ne figurera dans les classiques de personne mais c'est une tentative qui mérite la curiosité et qui saura vous mettre mal à l'aise.