Une sombre histoire de prophéties

Dans Grotto, nous incarnons un prophète muet, reclus au cœur d’une grotte nichée dans la montagne. Chaque nuit, nous contemplons les étoiles à travers une large ouverture au sommet de notre antre, et les recopions sur la roche, en traçant du bout des doigts ces constellations qui semblent révéler des liens mystérieux entre ciel et terre. Ce quotidien solitaire bascule le jour où un visiteur surgit, porteur de questions et d’espoirs. Nous lui montrons une constellation, et il fait de nous un devin... avant de revenir avec d’autres visiteurs, porteurs de nouvelles questions. À partir de ce moment, les nuits s’enchaînent, peuplées de requêtes, de choix lourds de conséquences et d’interprétations hasardeuses. En l’espace de quelques heures, nous devenons une figure politique influente, incontournable à l’échelle de la vallée, et ce sans jamais quitter notre grotte.

Sur le plan ludique, Grotto se révèle plutôt dépouillé. Nous évoluons dans un espace réduit, notre grotte, composée de deux salles : une petite pièce pour accueillir les visiteurs, et une chambre mystique où les constellations prennent vie sur les murs. Le gameplay, minimaliste, repose sur notre capacité à choisir des constellations pour répondre aux requêtes des visiteurs. Au fil de l’aventure, des outils divinatoires viennent enrichir nos choix, mais nous restons libres dans nos réponses.

Ce qui est amusant avec les étoiles, tout comme avec les nuages, c'est qu'on peut laisser libre cours à son imagination en les regardant et y voir tout un tas d'objets ou d'animaux qui semblent répondre comme en écho à leur pendant terrestre. Si pour les nuages, c'est une affaire de volume et de contrastes, les étoiles relèvent du géomètre : on les relie en traçant des traits avec la règle de l'esprit, suivant le dessein supérieur. En reliant ces formes, nous créons des symboles, semblables aux signes du zodiaque, qui, une fois communiqués à nos visiteurs, se heurtent au problème universel de l’interprétation : ce que nous transmettons est souvent déformé par les croyances ou attentes de nos interlocuteurs.

Le jeu nous plonge alors dans une réflexion fascinante : les symboles disent-ils ce que nous voulons ou ce que les autres veulent entendre ? Cette ambiguïté va donne lieu à des moments dramatiques ou jubilatoires. Certains visiteurs vont venir convaincus des réponses qu'ils vont recevoir, quitte à plier nos interprétations selon leurs besoins. Cela fait écho aux dérives de la foi et de l’obscurantisme : comment le doute peut-il résister face à la certitude ? Grotto nous transporte finalement dans un univers inversé de l’allégorie de la caverne de Platon. Ici, les hommes descendent chercher la "vérité" dans les ombres et les symboles, comme une métaphore du monde moderne et de ses illusions forgées dans les abysses des réseaux sociaux.

Le jeu brille également par sa direction artistique : son esthétique singulière, ses personnages anthropomorphiques attachants et sa bande-son immersive et mystique (dont un barde qui accompagne ses récits au tambour, ajoutant une touche meta). Par contre, l’expérience offre peu de rejouabilité. À l’image de jeux comme The Walking Dead de Telltale, les variations d’un run à l’autre sont mineures et limitées, ce qui, quelque part, renforce le thème central de la destinée.

J’ai adoré Grotto pour son récit sombre et captivant, ses réflexions sur les croyances, mais je l’ai détesté pour ses mécaniques ludiques quasi absentes, qui en font plus une expérience narrative qu’un véritable jeu vidéo. Et pourtant, quelle expérience ! Grotto est une œuvre singulière qui mérite d’être vécue, quitte à diviser.