On dit que la distance du Tartare jusqu’à la terre est égale à celle qui sépare les cieux de la surface. Au tréfonds de l'enfer, la lumière du jour n'a jamais existé. Coincés entre la lave brûlante et les spectres luisants des âmes en peine, il n'y a que le désespoir et la résignation qui survivent. Seul havre de paix aux confins du chaos, le palais d'Hades, souverain des enfers, l'endroit où tout commence et où tout se termine. Une luxueuse demeure bâtit sous le signe du memento mori où notre bon roi passe son temps assis sur son trône à contempler et moquer les échecs successifs de son pauvre fils. Il faut dire que Zagreus est du genre obstiné et suicidaire, décidément une grande constante dans la psychologie des personnages de jeux vidéo. Il avait pourtant tout pour être heureux, un lit king size pour honorer le serment d'Aphrodite, un chien à trois têtes pour jouer à la balle, une gorgone domestique pour lui faire le ménage, et même une cafétéria privée pour festoyer avec les nombreuses célébrités locales. Oui mais voilà, le jeune prince nourrit en lui le rêve d'un ailleurs inaccessible, une furieuse détermination à prouver sa valeur parmi les siens, ainsi que l'indicible envie de retrouver sa génitrice partit découvrir les joies de la vie à la surface suite à un mystérieux différent conjugal. Si vous avez déjà jouer à Dead Cells, vous comprendrez bien vite que ce genre de tentative d'évasion héroïque a tout pour se transformer en supplice de Tantale. Car si Hades nous promet un voyage en enfer, c'est qu'il est un jeu diablement difficile, un rocher de Sisyphe que l'on s'efforce de pousser toujours plus loin sans jamais entrevoir l'espoir de s'en détacher complètement.
On pourrait aisément taxer Supergiant Games d'opportunisme, se dire qu'après l'échec commercial de l'incompris Pyre, se lancer dans l'un des genres les plus fleurissant de la scène indé est une bonne manière de rassurer les investisseurs. Mais si le studio a choisi le rogue-lite comme nouveau terrain de jeu c'est aussi pour le sublimer, mettre tout le savoir-faire acquis sur ses précédentes productions au profit de l'excellence. Inutile de revenir sur la qualité de la direction artistique, celle-ci parle d'elle-même, si bien qu'on ne peut ici que saluer le travail des artistes du studio qui parviennent, sortie après sortie, à maintenir l'émerveillement visuel tout en conservant cette patte si reconnaissable. A la musique par ailleurs, l'excellent Darren Korb en plus de prêter sa voix à Zagreus, nous régale encore une fois d'une sélection de titres soigneusement fignolée, faisant cette fois ci la part belle aux guitares et aux accords rock sans toutefois chercher à secouer les enfers telle la folie furieuse d'un Mick Gordon.
Mais l'un des plus grand atout d'Hades face à la concurrence est certainement la richesse de son univers, constamment sublimée par une écriture incisive et maîtrisée. Inutile d'avoir étudier les arcanes de la mythologie grecque pour prendre en sympathie toute la galerie de personnages qui viendra égayer vos nombreux périples. Chaque mort est l'occasion de nouvelles rencontres, de nouveaux dialogues, funeste façon de développer des relations qui nous ferait presque goûter à la tentation du suicide pour en mesurer l'étendue. Il faut dire qu'accepter l'échec est une condition sine qua non pour apprécier l'aventure. A moins d'un skill herculéen, il faudra concevoir pas mal de retours à la case départ afin d'investir les ressources durement acquises dans les différentes améliorations permanentes proposées qui permettront, à terme, d'avoir enfin un héros à la hauteur des événements. Une méthode pas foncièrement étonnante dans ce type de jeu mais qui peut quand même s'avérer frustrante au vu de la difficulté ambiante. Cela pose également une question qui devient très vite existentielle : Combien de fois êtes-vous prêt à endurer ce sempiternel combat contre les Hydres ?
Bien heureusement, la multitude de bonus temporaires à récupérer en cours de route permet la création de suffisamment de builds pour appréhender la chose avec fraîcheur à chaque nouvelle tentative. On ne peut d'ailleurs que féliciter le suivi pour le moment exemplaire du jeu qui date systématiquement l'arrivée de la prochaine mise à jour, et s'enrichit à chaque fois d'une bonne dose de contenu bien senti. Un nouvel exemple d'une early access bien menée, fait devenu plutôt commun de nos jours, tout comme cette politique d'exclusivité Epic Games Store qui empêchera certainement bon nombre de le constater.
Ceci étant dit, il me faut maintenant rassurer les plus impétueux d'entre nous sur la question des combats. Parce que oui, l'univers séduisant, l'écriture au cordeau c'est bien sympa cinq minutes, mais quand on lance un rogue-lite à la nuit tombée c'est surtout pour mettre des tonnes de monstres en charpie façon grand nettoyage de printemps. Et ça tombe bien, par les temps qui courent, l'enfer recrute bien plus que le paradis. Au programme, des hordes d'ennemies toujours plus vicieuses, réparties dans des arènes de plus en plus retorses, avec des éléments de décors meurtriers et la possibilité de parfois activer des défis supplémentaires pour remettre les mains en sudation quand on commence à prendre un peu trop de confiance. Si vous peiniez à comprendre l'expression "Tomber de Charybde en Scylla", bienvenue parmi les damnés, vous êtes au bon endroit. Plus souples, plus doux, plus blancs, imaginez les combats de Bastion lavé avec Olympe la lessive des dieux. Imaginez un Diablo survitaminé où le dash devient une religion, et le bouclier une hérésie.
Dans ce dédale infini que l'on renonce vite à déchiffrer, chaque sortie pose un dilemme quant à la prochaine salle à traverser. Des pièces d'or pour refaire la déco de sa chambre, des clés pour déchaîner les armes, une nouvelle bénédiction pour ne plus savoir quel dieu prier, de la santé pour tenter de vivre ne serait-ce qu'un peu plus longtemps, tout peut s'obtenir à la croisée des chemins. Mais peut être préfériez-vous prendre un peu de répit en visitant l'ami Charon et vous laisser bercer par la quiétude de sa compagnie et de son thème musical. Aussi vous est-il possible de descendre directement au cœur du Chaos pour y conclure un pacte avec son hôte : un dur sacrifice, pour plus tard une belle récompense, ce genre de mécanique au couple risque/rendement aguicheur qui nous permet de garder foi en sa victoire finale. Jusqu'au jour où Zagreus finira par régler ses comptes avec le pater familias. Ce jour où le sang, la sueur, et les larmes versées sécheront les remords semés en cours de route. Car au fond, atteindre le bout de l'enfer n'était-il pas une façon de goûter à un morceau de paradis ?