Connaissez-vous l’Alang Ship Breaking Yard ? Non et c'est bien normal, néanmoins il y a de ça quelques années cette petite ville d’Inde situé dans le Golf de Khambhat, s'est retrouvée à la une des journaux, quand la France d’une générosité sans limites, a voulu y envoyer son ancien porte-avions Clemenceau pour y être démantelé.

Petit détail que les autorités françaises avaient oublié de notifier aux Indiens, le navire possédait encore en son sein une bonne quantité de matériaux d’origine militaire et hautement toxiques, finalement ce dernier finira sa vie en Angleterre après un retour en France.

Ce type de chantier dans le monde, il en existe des dizaines, très souvent situés là où l’exploitation des travailleurs se fait de manière plus aisée et où les règles environnementales sont laxistes.

Les gouvernements de pays riches ou les multinationales maritimes y envoyant leurs anciens navires pour y être démantelés dans des conditions souvent inhumaines.

C'est ici que commence Hardspace Shipbreaker, une œuvre qui s'adresse directement à toutes ces personnes exploitées et ce via un message des plus explicite à la fin des crédits.

Les développeurs confirmeront par la suite, que l'une des idées à l'origine du développement du jeu provient bien de la vue des plages d'Alang en Inde et ses centaines de navires échoués.

Cependant, si le concept tire bien son inspiration du réel, la littérature japonaise avec des œuvres telles que "Planètes" ont eu aussi une influence, cette hard SF mêlant habilement sciences et questions sociales se retrouvant être l'épine dorsale de l'œuvre.

Sans oublier d'être une œuvre ludique, Hardspace Shipbreaker est avant tout un jeu engagé (ça pourrait en gêner certains.) qui traite d'une façon tout à fait particulière de l'exploitation des travailleurs, mais en transmettant cette volonté au gameplay.

Comme son nom l'indique, l'objectif principal consiste à démanteler des vaisseaux plus ou moins gros et dangereux, et cela, en orbite.

Dans un futur où l'humanité s'est étendue au-delà d'une Terre polluée, le système solaire est devenu une usine géante. N'ayant plus de perspectives personnelles, vous décidez de rejoindre la branche australienne de Lynx Corporation, une entreprise tentaculaire spécialisée dans le démantèlement de ces vaisseaux.

Sans avenir vous décidez donc de signer le contrat, néanmoins un petit astérisque figure en bas de ce dernier, votre conscience et votre corps ne nous appartiennent dorénavant plus.

En rejoignant l'entreprise vous vous engagez à comprendre les risques et si une mort survient, votre conscience se verra transférer dans un nouveau corps, cela à l’infini jusqu'à ce que vous remplissez votre objectif professionnel et remboursez votre dette.

Seule ombre au tableau, la dette est abyssale, plusieurs milliards et prendra certainement plusieurs vies à être effacé.

Après une brève discussion avec votre manager, vous voilà arrivé dans votre hub d'où il vous faudra choisir votre premier vaisseau à recycler.

Hardspace Shipbreaker n’est pas ce que l’on pourrait qualifier de jeu pour tout le monde, la tâche est volontairement répétitive et si les vaisseaux se complexifient au fur et à mesure de votre avancée, le concept restera le même pour les 25 heures de jeu nécessaire pour voir la fin.

Heureusement, Blackbird Interactive savent comment aborder ce puzzle game pour que chaque bout de tôle découpée ou chaque ordinateur recyclé procure une légère dose de dopamine pour tenir éveillé le joueur jusqu’au bout de l’histoire.

En plus des dangers qui deviendront de plus en plus présents durant votre progression, avec la gestion de la pressurisation des compartiments, des matières radioactives, le risque de brûlures et engelures, vous devrez aussi composer avec l’entretien et l'amélioration de votre équipement. Sans entrer dans les détails Hardsapce Shipbreaker ne consiste pas à juste “couper et à balancer”, non, il faudra soigneusement trier les matériaux et sectionner les parties de manière réfléchie et intelligente ou le moindre faux pas peut avoir des conséquences dramatiques.

En gardant à l’esprit que tout cela prend place en apesanteur, donnant toute la latitude de progresser sur trois axes, cela peut paraître très déroutant lors des premières heures où il arrive régulièrement de travailler la tête à l’envers.

Cela impose tout autant de gérer le poids des déchets de manière raisonnable, une pichenette un peu trop forte avec votre “Gravity Gun” pour manipuler les objets et nous voilà expulsé à l'autre bout du chantier en un clin d'œil.

J’ai quelques fois lu que certains reprochaient au jeu de ne pas suffisamment gérer son économie et les conséquences à nos actions de façon cohérente, mais de mon point de vue, c’est ici que repose l’essence même du jeu. Peu importe ce que l’on accomplira, nous sommes condamnés à rembourser une dette sans fin et à l’opposé de la réalité ou les morts par dizaines des travailleurs sur ces chantiers laissent des familles vides, ici la mort se manifeste comme un piège infini ou l'entreprise ne fera que nous cloner pour mieux nous exploiter jusqu'à notre prochaine faute d'inattention, qui verra le vaisseau exploser en des milliers de petits morceaux. Au final l’argent que l’on dépensera en consommables ou que l’on gagnera via le recyclage n’importe que peu, l'intérêt est ailleurs.

A noter qu’il existe quand même des modes de difficultés ou la mort est unique et imposera de recommencer depuis le début.

Il est néanmoins obligatoire de se conditionner à faire un travail propre dans le démantèlement des vaisseaux, ne serait-ce que pour faire avancer l’histoire et gagner des points d'expériences pour améliorer notre équipement. Au fil des jours, on fera connaissance avec le reste de l’équipe qui essaye tant bien que mal de mettre en avant les exactions de leur entreprise.

C’est ainsi qu’après quelque temps, on comprend que certains membres souhaitent créer un syndicat et exposer aux yeux du public cette exploitation des travailleurs pour revoir leurs droits légitimes.

Paradoxalement, c’est sur cette partie et après un événement déclencheur du récit dont je n'exposerai pas les détails ici, que j’ai trouvé le jeu le plus intéressant et pertinent.

Ce mélange imperceptible entre son gameplay et son message aux consonances très réelles, donne un cachet tout particulier à l'œuvre, faisant presque ressentir au joueur cette pénibilité et les sacrifices monstrueux qu’engendre cet esclavagisme futuriste.

L’objectif final ne sera t’autre que de s'extirper des griffes de la multinationale tout en ayant droit à quelques twists sans jamais laisser de côté cet amour pour la science-fiction qu'ont les développeurs de Homeworld.

Hardspace Shipbreaker est l’exemple parfait de l’œuvre qui fait sens ne serait ce que par la simple idée de son concept. Néanmoins, la pertinence de son existence va bien au-delà du simple puzzle game ou de la simulation, le message derrière est profond. C’est à mon avis le principal reproche que j’aurai cependant, celui-ci aurait mérité de se matérialiser par plus de cinématiques et dialogues tout au long de l’aventure, ou la dimension sociétale n'apparaît clairement qu’après les deux premiers tiers du jeu.

Toutefois, si l’on arrive à franchir ce cap de la répétitivité existante mais souhaitée, il se peut que vous vous accrochez jusqu'à dévisser le dernier boulon pour connaître le fin mot de l’histoire et entreprendre un voyage aux enjeux sociétaux qui n’est que la première étape d'un objectif bien plus grand.

Shipbreaker naîtra d’un documentaire bouleversant que je ne peux que vous recommander de voir. Le voici : https://www.youtube.com/watch?v=5jdEG_ACXLw

Sajuuk
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le 21 avr. 2024

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