Je… Je reste sans voix.
Hellblade m’intriguait depuis un moment : une quête « initiatique » menée par une jeune guerrière viking, empreinte de mythologie nordique et d’épreuves, il y avait de quoi m’intriguer. Mais, pauvre naïf que j’étais, j’ignorais que le jeu appartenait à la catégorie « horreur » ! Dès lors, quand j’ai commencé à naviguer au sein de ces cadavres, quand les voix ont commencé à se multiplier, j’ai su que je m’immergeais dans un jeu à l’atmosphère singulière. Et le message terrifiant sur la « perte de la progression » avait de quoi me plonger dans les affres plus profondes.
Voilà donc une franche réussite : dès le départ, Hellblade assume son concept et le maintient jusqu’au bout. Ce parti pris, risqué sur le papier, le distingue de la presque totalité de productions vidéoludiques. Ici il n’est point question de jouer pour se détendre ! Comme l’ont confirmé bon nombre de joueurs, il est difficile d’être à l’aise en progressant. Mais tel est précisément le but : que l’on se trouve dans la tête de Senua. Que l’on vive son terrifiant voyage avec elle.
Outre les décors détaillés, entre obscurité et mélancolie, l’ambiance musicale teinté de chants nordiques bien pensés, l’atmosphère générale contribue à cette psychose permanente. Bien souvent me suis-je retrouvé à terre, ensanglanté, piégé à la merci de mes ennemis. Bien souvent ai-je vu cette infection se propager, fauché stupidement alors que les combats ne sont pas si difficiles, grâce au spam des roulades et la lenteur des ennemis. C’est que la véritable horreur se joue sur l’atmosphère, sur cette ambiance apocalyptique, sur l’inacceptable mort. Car même si Senua doit affronter de nombreux ennemis, ils matérialisent avant tout ses propres démons. Sa souffrance perpétuelle, ses regrets passés, apparaissant sous forme d’un sombre mélange de visions et de flash-backs.
Alors on profite de ces moments de pause, lors des rares occasions où Senua ne subit pas une âpre géhenne. Si les combats se corsent vers la fin, ils demeurent assez abordables la plupart du temps, et les boss sont souvent des sacs à PV plutôt que de véritables challenges. Les énigmes, quant à elle, sont tantôt amusantes tantôt frustrantes, mais ont le mérite de bien s’intégrer au jeu. En sus abondent de nombreux piliers qui nous offrent des récits nordiques de plus fascinants.
Mais c’est bien au-delà de ces répits bienvenus et de ces mécaniques parfois rigides que Hellblade. Étant une âme assez sensible, j’avoue que je nourrissais parfois quelques appréhensions à lancer le jeu. Chaque fois des doutes m’envahissaient. Ces voix internes vont-elles continuer de me narguer ? Quelles autres bêtes indicibles croiseront-elles ma route ? M’aventurerai-je bientôt dans de sinistres décors ? Quant à la dernière question, la frayeur s’avérait présente surtout lors du début et de la fin du jeu. Ardu de patauger en pleine sérénité au milieu d’une mer de cadavres. Ni de progresser dans d’austères souterrains, où marcher trop loin de la lumière nous mène à être dévorée par un monstre, entrecoupé de traumatisants screamers.
Oui, ce jeu n’est pas toujours « agréable ». Mais il fait du bien à l’industrie vidéoludique. Il nous sort de notre zone de confort, avec probablement le meilleur traitement de maladies mentales que j’ai pu voir dans un jeu vidéo. Il rend d’emblée Senua attachante, pour qui on a de la peine, tous ces moments où elle s’en prend plein la tronche, le corps constellé de boues et de sang, rampant vers une quête impossible.
La lumière finit par apparaître au bout du tunnel. L’héroïne finit par brandir son épée. Senua devient badass, et d’un sourire de fierté, on se dit : « Cela en valait la peine ». Merci pour ce parcours singulier. Cette expérience me hantera (positivement) pendant un moment.