Le Colonel Moutarde me monte au nez

Et voilà, ça devait arriver, il fallait bien qu'un jour, le hipster en moi soit terrassé par son nemesis, le super-hipster-de-la-légende, celui avec la barbe bleue et le mocaccino qui crépite. Le genre qui veut bien se la péter le petit doigt en l'air, mais pas à n'importe quel prix non plus - vu le cours du tofu, il ne veut pas finir ruiné.

Après l'avoir laissé dormir des années dans ma bibliothèque Steam, je ranime d'un clic le légendaire Her Story le temps d'un run, partagé entre l'angoisse d'une forme nouvelle et l'excitation qui va de conserve.

Pour, finalement et contre toute attente, vite déchanter.

Oh, j'ai apprécié l'expérience, je me suis pris au jeu, j'ai aimé son audace. Mais - et c'est là le drame : sans plus.

J'ai progressé avec intérêt mais sans passion, hésitant entre un ennui tolérable, une dubitation grandissante, une curiosité modérée.

L'idée est bonne. La performance, louable. Le concept bien pensé.

On navigue d'une vidéo à l'autre à l'aide de mots-clés qu'on choisit en toute liberté, dans l'espoir de faire la lumière sur cette affaire sordide, et on laisse l'esprit de déduction jouer au Cluedo.

C'est à la fois la grande force et la faille abyssale de cet OVNI cinématoludique : vous allez accéder à l'histoire bribe par bribe, mais dans un désordre anarchique qui ne fonctionne pas toujours, et souvent pas assez.

Alors que la non-linéarité de la narration constitue l'une des forces des walking simulator réussis, dans Her Story, elle tourne vite au talon d'Achille alors que vous enchaînez les fragments sans intérêt (pourquoi la Police aurait-elle conservé ça ?), ou que les grandes révélations sont saisies au vol de la façon la plus anecdotique et la moins dramatique qui soit.

L'intrigue se trouve rapidement desservie par ce format hors-norme, qui livre sa structure à un hasard total plutôt que contrôlé - comme si la structure en question n'était qu'un détail de la narration et non sa substantifique moelle.

Si ce n'est pas une faute professionnelle, ça y ressemble bien.

Dès lors, le récit prend l'eau et s'enlise souvent dans des digressions forcées qui manquent de crédibilité, et ne semblent être là que pour le remplissage et noyer le poisson.

La performance de l'actrice est très honorable, compte tenu de la difficulté (extrême) de l'exercice, mais elle n'en peine pas moins à convaincre - et plus encore, à toucher. Par la force des choses, son jeu est souvent trop artificiel et trop appuyé, si bien qu'elle vend la mèche plus vite qu'elle ne devrait - et le scénariste avec elle.

Car on le sait, à trop jouer avec le feu, on peut vite s'y brûler les ailes et c'est ce qui s'est passé avec moi ce soir.

J'ai, semble-t-il et contre toute attente, tapé les bons mots-clé d'emblée, et au lieu de commencer par le B-A-BA, le trivial, le doute raisonnable, j'ai obtenu directement les éléments-clés de l'intrigue, de ses moindres twists, de ses coups de bluffs. Au point que dès les premières minutes, je savais qui je jouais et pourquoi. Rien d'étonnant à cela. C'est une possibilité que permet le format du jeu, une simple question de probabilités. La faute à pas de chance. Dès lors, le reste de ma partie a consisté à combler les vides, détails après détails, dans l'espoir que le jeu aurait plus à offrir et qu'il aurait joué avec mes nerfs.

En vain.

Le jeu s'est terminé sans surprise ni trompettes, et sans regrets non plus.

Avec la conviction désagréable que je l'aurais oublié plus vite qu'il ne le mériterait.

Mais hé !

Comme dit la pub : c'est l'jeu, ma pauvre Lucette.