Hitman: Absolution par Tchyo
Comme on pouvait s'y attendre dès les bandes annonce, cet épisode marque une cassure dans la série en partant sur une trame plus activement scénarisée et plein de cutscenes au lieu d'une simple succession d'assassinats vaguement reliés (même si Blood Money avait déjà avancé sur ce point avec un fil rouge mieux geré et plus subtil). Le chauve a au passage vu son caractère un peu modifié et troqué une partie de sa froideur coutumière pour un peu d'humanité. L'histoire ne casse pas des briques, mais la mise en scène vaut quand même le détour avec un doux délire et une ambiance over the top un peu tarantinesque qui se laisse suivre, même si parfois ça vire un peu trop au ridicule (le meilleur exemple étant les nonnes d'Attack of the Saints). La technique se porte également bien avec de graphismes fins ainsi qu'une esthétique particulière, qui ne plaira pas à tous avec ses couleurs très saturées et ses effets graphiques à la pelle, mais à laquelle j'adhère assez.
Au niveau du système, ce qui marque tout de suite pour un habitué de la série est qu'IO a enfin réussi à proposer une interface potable, après épisode sur épisode d'UI minables (surtout sur PC). Le nouveau système se joue d'ailleurs très bien au clavier comme à la manette, avec un juste un petit bémol sur les QTE de baston de corps à corps, où c'est quand même délicat de réagir aussi vite avec des "Mouse Button 4" tous de la même couleur plutôt que les A/B/X/Y de la manette Xbox avec les couleurs qui vont bien. Sinon on retrouve avec plaisir le gros des acquis de Blood Money et autres, un mix de possibilités entre un shooter et de l'infiltration avec le concept de "se cacher en pleine vue", notamment via les déguisements.
La partie combat a été bien améliorée et peut maintenant prétendre être agréable. En plus du classique ajout de couverture avec ce que ça implique (planque, tir à l'aveugle), on notera le point shooting (un mark & execute à la Splinter Cell: Conviction), retenir sa respiration pour ajuster un tir, des vrais capacités au corps à corps (entre autre un takedown qui remplace la seringue) et une gestion des armes improvisées qui permet de ramasser à peu près tout ce qui traine de pointu par terre pour le balancer dans le crâne d'un ennemi. Sur cet aspect là, on peut dire qu'IO a fait un assez bon boulot de modernisation tout en ajoutant des nouvelles possibilités qui sont la bienvenue.
La partie infiltration me laisse plus mitigé. Le nouveau système de couverture marche bien (copie conforme de celui de Deus Ex: Human Revolution) et les armes improvisées sont un ajout appréciable comme source de distraction des gardes. On notera aussi l'ajout d'une gestion de la foule assez impressionnante sur le plan technique, en droite évolution du jouissif "The Murder of Crows" de Blood Money (on est bien loin des promesses similaires et non tenues sur Assassin's Creed 3). Les déguisements par contre c'est une autre histoire. Avant un costume donnait une carte blanche quasi totale dans les zones autorisées pour cette profession, sauf auprès des gardes qui finissaient par percer la couverture au bout d'un moment, d'autant plus court qu'on est proche d'eux. Maintenant un déguisement trompe tout le monde, sauf ceux de la même profession qui reprennent le comportement des gardes.
Ca part pas d'une mauvaise idée dans le sens que le système précédent pouvait sembler un peu abusé (même si au final les niveaux étaient taillés pour avec des gardes bien placés), et ça marche assez bien dans les zones avec de la foule et une présence de NPC mixte. Par contre ça tombe complètement à plat dans les niveaux de pure infiltration ou plus généralement ceux peuplés par une seule profession, où le déguisement devient un simple bonus "se faire détecter 20% moins vite". Je note aussi une occasion manquée sur la gestion des masques qui ne changent absolument rien à la vitesse de détection. D'ailleurs 47 a tendance à les jeter quand il ramasse un costume, le rendant visuelement encore plus louche à être le seul à se balader sans masque à gaz ou baclava. Il est possible de contrer cette détection temporairement avec de l’instinct, mais il s'envole tellement vite, en particulier dans les niveaux de difficulté élevés.
Ce qui m'amène justement à une autre plainte, celle des niveaux de difficulté élevés. Clairement, on peut se poser la question de comment le jeu a été testé en professionnel. Sur les assassinats traditionnels ça se tient encore, même si je regrette que les ajouts de gardes ont plus tendance à complètement fermer le porte sur certaines approches que simplement les compliquer. Sur la partie infiltration par contre c'est la curée, certains niveaux comme la bibliothèque ou l'orphelinat sont d'un fastidieux déprimant, d'autres comme Countdown ou le début de Blackwater Park demandent des timings aux limites du ridicule pour passer sans se faire voir. Les modes les plus élevés ont aussi le problème d'exacerber les soucis avec les déguisements avec des enemis qui deviennent quasi psioniques, capables de percer un déguisement avec masque en trois secondes depuis l'autre bout de la carte à travers une fenêtre alors qu'il pleut dehors. C'est d'autant plus dommage qu'en comparaison la difficulté du mode normal n'a rien à voir avec des niveaux qui se traversent généralement les doigts dans le nez en 2-3 essais tout au plus.
On pourra rajouter dans les problèmes le système des checkpoints présents jusque dans les niveaux de difficulté "Difficile". On pourrait s'attendre à ce qu'ils agissent comme des sauvegardes temporaires qui disparaissent si on quitte le jeu. En pratique ils ne sauvegardent que deux choses : l'état de l'inventaire et l'avancement dans les objectifs. Tout le reste du niveau retourne à son état initial : NPC neutralisés qui respawnent, objets ramassés à nouveau présents, les divers scripts à leur état de lancement. Au point de rendre parfois ces "aides" presque contre-productives et déconseillées, comme par exemple dans le niveau de la bibliothèque (encore lui). C'est d'autant plus irritant que le jeu ne propose pas la possibilité de revenir aux checkpoints de zone une fois qu'on a activé un de ces checkpoints utilisateur, juste de redémarrer tout le niveau.
Plus généralement, et on en arrive à ce qui semble être le plus gros grief des fans de la série envers cet épisode, l'inversement du rapport de force entre l'histoire et le gameplay avec cette fois des niveaux au service du scénario, implique un peu trop de passages d'infiltration pure. Sans pour autant demander la pureté d'un Blood Money où chaque niveau était un contrat ouvert, ça aurait été un ici et un là le problème n'aurait pas été aussi prononcé. Mais en l’occurrence on doit passer près des deux tiers du temps à éviter des gardes en se planquant derrière des murets. Pour traduire ça en chiffre, le jeu comprend vingt niveaux. On en oublie quatre tellement minuscules et sans intérêt qu'ils se bouclent en dix minutes (voir moins) et ne sont même pas utilisables en mode Contracts. Sur les seize qui restent, seuls sept ont une zone civile digne de ce nom. Et seulement sept (pas les mêmes) proposent ces assassinats ouverts aux nombreuses possibilités qui sont la marque de la franchise. Alors qu'à côté les passages d'infiltration manquent de personnalité et donnent plus l'impression de jouer à Splinter Cell, sans les acrobatie ou les gadgets.
En résumé, je dirais quand même qu'on a affaire à une épisode de qualité, mais plus dilué, peut-être un peu trop disparate selon les goûts et qui mériterait encore un peu de polissage, en particulier sur les déguisements, les checkpoints et les modes de difficulté. Mais il vaut le détour, rien que pour les améliorations sur le combat et l'interface, ou plus généralement un feeling dans le contrôle de l'agent 47 bien meilleur que même Blood Money qui restait encore raide et maladroit en comparaison. Ce qui rend les niveaux d'assassinat un vrai plaisir à jouer.
Les devs ayant promis un peu de tweakage sur les costumes, à voir comment tout ça va évoluer maintenant. A voir aussi ce que les joueurs vont faire de la partie Contracts qui recèle un gros potentiel, mais commence seulement à vivre.