Il semblerait que les saphirs les plus précieux résistent à la patine du temps. Même après la fin des âges, quand l’ombre aura tout submergé, quand l’horizon ne donnera plus l’espoir de rougeoyer au petit matin, encore ils brûleront, doucement, de leur feu glacial intérieur. Mais personne ne pourra plus y plonger son regard : eux aussi seront ensevelis, toujours incandescents, mais oubliés sous les cendres.
Ce monde s’est effondré sous ses Sept Jours de Feu. La chute d’autres univers, tel celui de la Vallée du Vent, nous l’a enseigné : les grands ravages du premier raz-de-marée ne constituent que l’ouverture d’un long âge au cours duquel tout horizon connu s’effritera, retournant à son néant primitif.
Une forêt touffue a repris ses droits sur des espaces domptés depuis des siècles. Elle est déchirée de larges cicatrices, encore incapable, mais plus pour longtemps, d’ensevelir ces coriaces artefacts technologiques, symboles orgueilleux de l’acmé du genre humain. Les survivants tachent d’ailleurs de rassembler les reliques de leur âge d’or, bien qu’ils n’en connaissent plus l’utilité. D'immenses laboratoires souterrains, autrefois le cerveau d’un seul savant constitué de milliers d’individus, croulent sous leur solitude. Parfois ils vomissent un noyau énergétique ; il est ramassé par un nomade, et déposé sur l’autel d’une religion de larmes et de regrets.
Le monde fond dans l’oubli. La fluorescence des rues d’avant s’est ternie, comme l’éclat des cathédrales polychromes s’était il y a bien longtemps évanoui. Le minimalisme de l’art humain le plus moderne a étrangement rejoint l’esthétique des antiques tablettes cunéiformes. Nos perfections technologiques sont les gemmes d’une couronne celtique.
Les entrailles de la terre se referment avec lenteur sur notre suprême insulte : nous avons voulu rompre le lien de fraternité qui depuis des siècles maintenait notre trans-humanité en sa concorde finale. Nous avons brandi des armes, par lesquelles nous avons tranché nos propres gorges. Des titans se sont échappés de nos mains affolées, enfants monstrueux nés de notre sagesse à l’heure de son dernier souffle ; et nous avons péri sous nos propres flammes.
Dans son crépuscule, l’humanité ne sait plus que se dévouer à son ombre. Elle se replie dans la vénération des mythes, et rares sont ceux encore qui ne se contentent plus de survivre et de contempler l’abîme de leur organisme toujours plus sapé par l’air toxique. Ces ultimes flammèches du genre humain, sont-elles les derniers miroitements de son orgueil, ou un infime simulacre de son espoir ?
Leurs porteurs errent dans les ruines, soulèvent les vestiges et secouent les chaînes de l’amnésie. Ils soufflent la poussière sous laquelle les saphirs de l’âge d’or couvent, et redressent d’immenses structures par miracle suffisamment protégées par l’audace des constructeurs d'antan.
On ne saurait dire : savent-ils encore croire en un avenir ? Ou ne courent-ils que plus vite vers d’atroces cauchemars qu’ils cherchent à réveiller ?
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J’ai cherché par ce court texte à transcrire ma contemplation de l’art d’Hyper Light Drifter. C’est un jeu largement imparfait, dont la structure relève plus de l’hommage au genre que d’une vraie invention, et l’on pourrait, en s’y penchant, lui trouver bien des faiblesses. Mais dans le catalogue de celles-ci ne figurerait pas cet univers, développé avec une richesse impressionnante, et cela avec une économie de mots absolue.
Les idées graphiques peuvent paraître simples et efficaces, mais en y évoluant au cours de sa partie, on comprend aisément quel relief et quelle densité elles parviennent à synthétiser. Tout se déploie dans une harmonie au sein de laquelle on prend un certain temps à déceler la clé de voute ; et pour cause : elle soutient un édifice bien complexe dans sa cohérence. Enfin je n’évoque que fugacement le contenu "idéel" de l’univers, qui puise beaucoup dans le mythe des Sept Jours de Feu du manga Nausicaä, et qui peint son arabesque autour de ce thème.
Faut-il vraiment mentionner le rythme de ce jeu, puissant, mais inégalement mis sous tension au fil de la partie, et la fluidité de la prise en main, malgré un relatif manque de lisibilité ? L’univers d’Hyper Light Drifter vaut bien qu’on fasse grâce au jeu de certaines de ses approximations, et qu’on en tente l’expérience sans plus hésiter.