Il est 9 heures, et j'ai 9 ans, mon petit esprit essaie de comprendre ce à quoi il a affaire. Sur l'ordi dégueulasse de son meilleur ami, s'alignent 5 personnages tandis qu'une voix sombre, pleine de colère les invective cruellement, un à un, les noyant dans les recoins les plus sombres de leurs âmes. Je choisis le premier d'entre eux: Une certaine Ellen, la seule femme du groupe, celle ci, doit tourner dans une pyramide et dans les sables d'un désert, elle, terrifiée par la couleur jaune, je tourne en rond, ne comprend rien et recommence avec un autre, Ted, je suis dévoré par les loups, retour à la voix, toute puissance, qui se moque de sa déchéance. On m'appelle pour manger, il est 10 heures, et j'ai 9 ans.
Je jette l'ordinateur portable à travers la pièce avec un hurlement de rage, il atterrit sur un traversin sans dommage, j'ai le souffle lourd, comme si je venais de courir un marathon, retomber sur ce jeu a ré ouvert une vieille blessure que je veux refermer tant par orgueil que par instinct de survie, j'y passe une bonne partie de la nuit, refusant d'utiliser un manuel et devant séparer les bad endings des impasses que le jeu a ménagé dans ses propres solutions. Je suis dans un camp de concentration, un scalpel à la main, devant moi, sur la table d'opération, un enfant de la Tribu Perdue est anesthésié, on attend de moi que je l'opère, sous ces croix dégammées. Je fais la seule chose qui me paraît plausible et plonge le scalpel dans la gorge du "doktor" à ma gauche et remercie le ciel que le jeu ne me force pas à faire autre chose. Je m'enfuis, en courant dans la nuit.
Je suis au niveau final, que j’essaierais de ne pas gâcher, je plonge dans le cœur de la bête, devant vaincre les démons par la force de mon intelligence. J'échoue. J'entends la voix d'Ellen, si courageuse qui aimerait être capable de hurler son désespoir, je regarde la parodie d'humanité qu'elle est devenue, sans un souffle, la culpabilité qui m'envahit trouve un écho dans le petit garçon blessé qui cherchait à ce que je le venge. Je jette l'ordinateur portable à travers la pièce. Il est 10 heures, et j'ai 19 ans.
J'ai fini par comprendre, avec l'aide d'internet, je m'écroule sur le lit, j'ai envie de pleurer, mais je suis un adulte, je ne pleure plus sur les jeux, je suis un grand maintenant, on ne peut plus me priver de revanche quand un ennemi dans un ordinateur t'a fait du mal, je ne peux plus supplier mon ami de me laisser y jouer, pour ne pas laisser ces 5 pauvres hères qui supplient pour qu'on les achève.
I have no mouth and I must scream a de nombreux défauts fonctionnels, mais son écriture, son propos, sa direction artistique, tout semble sorti d'un cauchemar, il est plus atroce que tous les Amnesia du monde et même si les métaphores sont parfois un peu grotesques, le sentiment est sublimé par la personnalité de l'adversaire demiurge: AM. AM, l'oncle abusif de GlaDos, joué par un Harlan Ellison, un rien cabotin, mais d'autant plus effrayant.
Fuyez ce jeu, il est mauvais pour l'âme.