I-Ninja
6.9
I-Ninja

Jeu de Argonaut Games, Namco et Zoo Digital (2004PlayStation 2)

Argonaut Games (le premier Star Fox ou les Croc) a fermé ses portes en octobre 2004, et l’article sur Malice présentait les dernières années (difficiles) de la compagnie. Parmi ses derniers jeux sortis, beaucoup n’ont que peu d’intérêt. Néanmoins, un titre émerge des autres, et il s’agit de I-Ninja. Tout comme Malice, son développement a connu quelques difficultés, Namco, son éditeur, a imposé de nombreuses modifications, tandis qu’un accord de distribution exclusif signé avec Sony ne lui a pas permis de bien se faire remarquer. Il est temps d’en apprendre un peu plus sur le développement de I-Ninja, de revenir encore sur Argonaut Games et, bien sur, de faire un mieux connaître ce jeu.

Namco dévoile le 5 novembre 2002 un partenariat d’édition pour deux jeux, I-Ninja, prévu pour sortir l’année suivante, et Orchid, un jeu d’action-aventure d’allure plus réaliste, prévu à la même date mais qui sera annulé. Le jeu présenté est quasiment identique à la version qui sortira un an plus tard, un jeu d’action où les personnages sont des ninjas représentés façon Super-Deformed.

Et pourtant, en coulisses, le jeu avait déjà subi un important lifting graphique par rapport aux ambitions initiales des développeurs. I-Ninja devait être coloré, dans un style assez particulier, proche de The Legend of Zelda: The Wind Waker, en développement à ce moment là. Mais Namco craint que ce style graphique fasse trop enfantin et demande quelque chose d’un peu plus sombre.

Le même sort arrivera d’ailleurs pour Orchid, qui devait présenter un rendu de dessin animé. Bien que présenté sous cette forme par Namco en novembre 2002, ce dernier obligera le studio anglais à refaire le jeu avec un aspect plus réaliste, et, franchement, bien trop conventionnel, avant d'annuler le développement peu de temps après.

L’histoire de I-Ninja a aussi été profondément changée. La trame finale a été considérablement épurée, Namco voulant privilégier l’action au scénario. En croisant ce qui est raconté dans la notice et dans le jeu, on apprend que le clan ninja, protecteur de la terre, a été décimé par les forces maléfiques de l’Empereur O-Dor. Il ne reste du clan qu’un vieux maître ninja, appelé Sensei, et un jeune et impétueux disciple, appelé Ninja, qui, bien décidés à venger leur clan, ont besoin des pouvoirs enfermés dans les furie-pierres. Malheureusement, suite à un accident avec la première, Ninja tue son maître. Heureusement, peu rancunier, celui-ci aidera l’apprenti dans sa quête sous forme de fantôme. A charge pour le joueur d’acquérir les trois autres furie-pierres et de défaire le Mal.

La notice révèle d’ailleurs les nombreuses modifications du scénario, puisque selon ce qui est écrit, Sensei n’a pas été tué mais fait prisonnier. Visiblement, le choix de le tuer a permis d’inclure un petit twist lors de la fin du jeu plus sympathique que seulement le libérer. Initialement, le jeu devait proposer plus de personnages secondaires. On en trouve encore quelques uns dans le jeu, qui sont les gardiens des mondes que l’on traverse et des furie-pierres qu’ils contiennent, mais leur rôle est très limité.

Conformément à la mode de l’époque qui voulait que les héros de jeux de plate-forme aient un side-kick (Jack and Daxter, Ratchet & Clank et même, dans une moindre mesure, Super Mario Sunshine avec J.E.T.), Ninja devait avoir le sien. U-Robot devait être le pendant comique et naïf de Ninja, plus sérieux. Plusieurs version furent imaginées avant que le personnage soit abandonné. Argonaut avait aussi imaginé une romance, mais tout ceci a aussi été supprimé pour ne laisser qu’une trame finalement très secondaire. Même le design des gardiens et des boss connaîtra de grands changements.

Parmi d’autres modifications effectuées entre-temps, signalons que l’on peut voir sur une vidéo Ninja gouverner un bateau assez proche de celui de The Legend of Zelda: The Wind Waker, ce qui laisse supposer que le jeu devait accorder une plus grande place à l’exploration. Une preview d’IGN annonce aussi comme armes des sarbacanes, que l’on ne retrouve pas dans la version finale.

Malgré toutes ces modifications que l’éditeur impose, Namco croit au potentiel commercial du jeu. Initialement prévu sur PS2 et NGC, il est finalement aussi annoncé pour la Xbox. Aux États-Unis, la version PS2 de Soul Calibur II, futur carton (près d‘un million de ventes pour cette version), inclut un DVD de démos et vidéos Namco où le petit Ninja est jouable. Le 17 novembre, soit un jour avant la sortie du jeu aux États-Unis sur PS2, un petit jeu sur le site officiel (aujourd’hui disparu) permet même de gagner un bon d’achat de 500$ à valoir auprès de l'enseigne Gamestop. .

Le jeu sort donc à la fin de l’année 2003 chez nos voisins américains sur PS2, NGC et Xbox. Et nous ? Le jeu ne sortira que sur PS2, début février 2004. Sony Europe, visiblement confiant dans les capacités du ninja a ainsi mis la main à la poche pour que le titre soit une exclusivité PS2. Un autre jeu édité et développé par Namco fut aussi concerné par l’accord et devint une exclusivité console PS2 en Europe, le Third Person Shooter kill.switch, avec son système de couverture qui sera repris plus tard chez tous ses petits camarades.

Rétrospectivement, il est difficile de se convaincre que cela fut un bon choix. Alors que le jeu d’Argonaut pouvait se démarquer dans la ludothèque de la NGC et de la Xbox, dans celle de la PS2, il se noya dans la masse d‘autres jeux du même genre. Ce fut le même problème pour kill.switch, alors que le jeu est tout de même une des inspirations revendiquées de Gears of War pour son système de couverture. Les deux jeux passèrent donc inaperçus en Europe malgré leurs qualités. Je renvoie à l’article de Grospixels pour kill.switch.

Il est difficile de catégoriser I-Ninja tellement le jeu brasse d’influences et se permet d’apporter quelques touches d’originalités. S’il ressemble à un jeu de plate-forme de part sa structure (différents mondes qui permettent d’accéder à plusieurs niveaux) et le level-design de la plupart de ses niveaux, il fait aussi penser à un beat’em all, un jeu d’action-aventure, un jeu d’infiltration ou à un action-RPG tandis son système de points fait penser aux vieux jeux dix ans auparavant. Le jeu brasse large, très large.

Sa palette de coups n’a rien à envier à certains représentants de la castagne, puisque le ninja peut donner des coups d’épées simples, faire une attaque toupie comme Link, réaliser des uppercuts ou des plongeons katana en main et même lancer des shurikens et des fléchettes explosives. Mais la possibilité de courir ou rebondir sur les murs fait penser au récent Prince of Persia d’Ubisoft, tandis que la possibilité de s’agripper grâce à une chaîne évoque Metroid Prime ou les Zelda de l’époque.

Le jeu propose même un double système d’expérience. Les dans (les items à récupérer à la fin de chaque niveau, comme les étoiles des Super Mario 3D) permettent de changer de grade (ce qui se matérialise par une ceinture et un bandeau d’une nouvelle couleur) et d’avoir accès à de nouveaux niveaux. Tandis que tuer des ennemis remplit la banque Ranx : une fois le nombre d’ennemis morts demandés, Ninja obtient un nouveau katana plus puissant. Au fil des niveaux, on obtient aussi des pièces qui permettent d’acheter des défis bonus.

Le jeu propose aussi différentes phases, qui peuvent être du shoot derrière un lance-missile, ou bien le joueur contrôle une balle et doit la diriger jusqu‘à la sortie, un peu comme dans Marble Madness, des phases récurrentes du jeu, et même un passage qui rappelle fortement la série Legend of the Mystical Ninja/Gambare Goemon puisque l’on incarne un robot géant. A plusieurs moments, le jeu demande (un peu) de discrétion au joueur, faisant ainsi penser aux jeux d’infiltration qui avaient beaucoup de succès à l’époque. I-Ninja se permet aussi quelques originalités, comme ces fréquentes séquences où il faut diriger le ninja sur un circuit et utiliser sa chaîne à chaque virage.

Bref, I-Ninja propose non seulement une palette de mouvements extrêmement riche mais aussi de nombreuses et différentes phases afin de ne jamais lasser le joueur. C’est plutôt réussi, même si la linéarité de la plupart des niveaux ne permet pas d’exploiter les différentes possibilités du ninja. Il faut faire ce qui faut faire, point. Mais, heureusement, la maniabilité de notre héros à grosse tête est impeccable, malgré les nombreux mouvements, malgré les différentes séquences. Un élément primordial, peut-être le plus important pour le genre, ce que Argonaut a bien compris puisque ses différents jeux de plateforme ne le néglige jamais (les deux Croc ainsi que Malice).

I-Ninja se laisse jouer donc sans difficultés, et c’est tant mieux car le jeu propose une expérience qui occupe le joueur pendant de nombreuses heures. Il y a généralement trois dans dans chaque niveau, à obtenir l’un après l’autre à condition d’avoir le grade nécessaire. Les deux derniers sont des variations parmi trois types de missions différents, à savoir défaire tel nombre d’ennemis, récupérer le dan avant la fin d’un chrono ou bien trouver huit pièces rouges (comme dans Super Mario 64). Il est dommage qu’il n’y ait pas plus de variations, par exemple une demandant tel nombre de pièces ou une autre exigeant tel nombre de points. Le système de scoring ne sert d’ailleurs que pour les vies (une tous les 10 000 points), alors qu’il n’est pas trop mal implanté, puisqu’il demande de tuer les ennemis ou d’esquiver certaines attaques avec un peu de panache pour débloquer des multiplicateurs de points.

Malheureusement, alors que le cœur du jeu est de qualité, il faut bien avouer que la forme pêche un peu. Si l’aspect graphique du jeu est simple mais propre et un peu colorée, comme un jeu Nintendo, la bande son pique les oreilles. C’est assez insipide, mais heureusement suffisamment pour que, au bout d’un moment, on n’y fasse plus du tout attention. Et de toute façon, il est toujours possible de couper le volume du son dans les options.

Mais le plus grave est certainement le manque de personnalité du jeu. Si Ninja ainsi que les quelques personnages secondaires ont leurs charmes, ceux-ci sont sous-exploités (moins de scénario, plus d’action, comme le voulait Namco) tandis que les ennemis sont trop peu nombreux et trop peu différents.

Les niveaux traversés sont d’un commun, et pourraient tout aussi bien être le cadre d’une centaine d’autres jeux. La plupart des niveaux traversés font dans l’esthétique technologique en plus light, légèrement colorée, alors que les premiers screens du jeu promettaient un style très particulier. Le contexte de ninjas est complètement sous-exploité esthétiquement, mis à part certains niveaux dans le monde de la jungle qui font (parfois !) penser à des forêts japonaises. C’est d’autant plus regrettable que dans une vieille vidéo on peut voir notre ami ninja dans un temple japonais très intéressant, mais qui aura disparu de la version finale. Ce recadrage esthétique vers quelque chose de plus générique (et donc fade) mais susceptible de mieux se vendre (hélas) que des aventures trop colorées ou trop inspirées du folklore japonais, est dû à Namco, très (trop) frileux.

I-Ninja est un bon jeu d‘action-plateforme, et même un très bon jeu si vous passez outre un univers trop générique. Il emprunte à des dizaines d’autres jeux (Super Mario 64, Prince of Persia Les Sables du Temps, Gambare Goemon, Marble Madness, The Legend of Zelda, etc.) mais ne se prive pas d’aller vers des approches plus originales. Mais il est difficile de ne pas regretter les précédentes versions du jeu, plus colorées, plus innovantes graphiquement et qui rapprochaient le jeu plus d’un Zelda (scénario poussé, exploration mise en avant, interface proche). Est-ce que ce recadrage voulu par Namco nous a-t-il privé d’un jeu qui aurait pu être meilleur ? On ne le saura peut-être jamais…

Même si Namco voulait faire d’I-Ninja une nouvelle licence, sa relative discrétion lors de sa sortie l’a empêché de s’imposer. Mais en mai 2004, Namco annonce une série de conversions de ses jeux sur GBA, à savoir Dead to Rights, Smashing Drive, kill.switch, Pac-Man World, Ms Pac-Man : Maze Madness et bien sûr I-Ninja. Malheureusement, ce dernier sera le seul dont le développement ne sera pas achevé, peut-être à cause de la fermeture d’Argonaut Games. A noter que le jeu est sorti aussi sur PC, cette fois-ci édité par Zoo Digital Publishing mais début 2005, soit après l’arrêt d’Argonaut. Il s’agit donc du dernier jeu de cette compagnie paru.

Cette fermeture stoppa le développement de I-Ninja 2. Argonaut voulait faire une suite à son jeu mais il n’existe que des concept-arts du projet. Visiblement, l’univers du jeu aurait été encore plus marqué par la technologie, et, plus intéressant, une des images montre un alter-ego de Ninja mais en jaune. Y’aurait-il eu un mode coop, le jeu aurait-il conservé la même structure que son prédécesseur ? Difficile de le savoir maintenant, I-Ninja 2 fait dorénavant partie de la (trop grande) liste de jeux Argonaut Games jamais sortis.

SimplySmackkk
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le 18 sept. 2019

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