Bien des hommes vous le diront, se sentir pousser des cornes, cela n'a rien de très réjouissant. Déjà on a bien l'air d'un con, ne serait ce que pour mettre un bonnet. Mais quand la destinée se décide à bien vous en faire baver jusqu'au bout, vous vous retrouvez dans la situation d'Ico, un jeune garçon cornu de naissance. Pour lui apprendre à vouloir se différencier des autres, les sympathiques "sages" de sa contrée le font mettre en geôle dans une forteresse désertée en des terres isolées de tous et de tout. C'est ainsi que débute l'aventure d'Ico, dans la joie de vivre et la tolérance.


PRISON BREAK


Le but du jeu est alors on peut plus simple : s'échapper de la forteresse en venant à bout de toutes les énigmes, puzzles et vils geôliers qui se mettront en travers de votre route. Pour réussir dans votre quête vous ne serez cependant pas seul très longtemps. Vous vous allierez en effet à une autre captive : Yorda, jeune fille diaphane à l'allure saturnienne dont vous briserez les chaines en fracassant la cage dans laquelle celle-ci poireautait depuis sans doute des plombes. Yorda ne parle pas le même langage que vous, mais qu'importe ! Quelquefois la compréhension s'affranchit de mots pour rapprocher deux êtres que tout accable. C'est le début d'une indéfectible amitié et d'un long et magnifique voyage vers la lumière pour nos deux fugitifs. Et pour vous également.


Un premier gros nuage viendra cependant rapidement obscurcir votre horizon. Ce serait trop facile autrement. Des chimères enténébrées tenteront en effet de s'emparer de la frêle créature dés qu'ils en auront l'occasion afin de la ramener avec eux au royaume des ombres. Pourquoi ? Dettes d'argent, dégradation de matériel... on en sait foutre rien, c'est le grand mystère. Yorda refusant par ailleurs tout début d'explication sur le sujet. Et de toutes façons on comprend rien de qu'elle bave la pauvre chérie, comme je l'ai précisé précédemment, alors suivez un peu bande de cancres.


Une chose est néanmoins sûre et l'on s'en rend rapidement compte au début de l'aventure, quoique la donzelle ait pu tramé dans son passé pour en arriver à être foutue dans une cage sans ménagement, celle-ci constituera votre indispensable sésame pour quitter cet endroit qui ne ressemble pas plus à la Louisiane qu'à l'Italie. Car Yorda dispose de son côté d'un atout maître : la capacité d'ouvrir toutes les portes se dressant sur votre passage grâce à un pouvoir surnaturel, mieux même que Passe-Partout de Fort Boyard. Et ça c'est pas de la gnognotte.


ET DIEU CRÉA LE BÂTON DE BOIS


Dés lors, il vous faudra guider cet ange spectral en lui tenant la main le plus souvent possible, et surtout en la protégeant par tous les moyens possibles des ombres qui la convoite. Dans Ico, "tous les moyens possibles" consiste précisément en une seule arme, redoutable entre toutes, à la puissance de feu dévastatrice et semant chaos et désolation sur son passage depuis des millénaires : j'ai nommé le saint bâton de bois. Un ustensile prodigieux qui vous servira non seulement à pourfendre les maléfiques démons ailés, mais qui pourra également faire office de torche le cas échéant, lorsqu'il s'agira d'enflammer barils ou bombes lors de votre progression.


De torches vous trouverez d'ailleurs que Yorda en aurait quelquefois bien besoin, mais plutôt par le travers de la gueule, tant cette dernière vous mettra les nerfs en pelote par instants. Car au contraire d'Ico, vous pourrez constater que notre petite Yorda n'est pas des plus dégourdies. Disons le sans ambage, Yorda est un peu conne sur les bords, et vous passerez beaucoup de temps à lui crier dessus, soit parce qu'elle ne prend même pas la peine de fuir les motherfuckers de l'ombre, soit parce qu'elle refuse de monter sur une (putain de) caisse (de merde), soit parce qu'elle ne daigne pas prendre la main que vous lui tendez afin d'accomplir une besogne. Bref, pour tout un tas de petites choses, l'envie vous viendra peut être de lui massacrer la tronche à grands coups de batte à la pâle Yorda, en tout bien tout honneur. Et voila bien l'un des défauts les plus embêtants du jeu, (ne pas disposer d'une batte de base ball ? non, et puis ta gueule c'est moi qui raconte) : une IA capricieuse qui vous sortira par moments de la magie et de l’envoûtement que constitue Ico. Le tout combiné à une maniabilité et des mouvements de caméra pas toujours heureux, et qui pourront en agacer certains, ou pour le moins les surprendre.


DON'T LET ME DOWN


Mais bon an mal an, malgré ces défauts loin d'être négligeables, vous vous lierez pourtant à cette petite cruche, jusqu'à stresser à mort à chaque fois que vous vous dessaisirez de sa petite menotte. Sans elle vous vous sentirez rapidement nu et vulnérable, tout simplement. Vous vous surprendrez à la chercher fiévreusement dés que celle-ci sortira de l'écran ou se bloquera quelque part. Et c'est en cela que réside une grande partie de la magie du jeu : réussir à faire appel au sentiment d'empathie ancré en chacun de nous. Réussir à ne plus avoir envie de bousiller la petite gueule de Yorda, même quand elle tombe comme une conne, même quand elle ne vient pas lorsque vous l'appelez. De l'humanité bordel ! Ce puissant sentiment qui fera passer peu à peu Yorda du statut de boulet à celui de compagne à vos yeux. Une compagne de galère qu'il vous faudra protéger coûte que coûte. Contre vents et marées. Au péril de tous les dangers.


Cela fait exactement onze années que je n'ai pas rejoué à Ico (cinq selon la police), mais je n'ai rien oublié ni de sa beauté ni de son époustouflante direction artistique, ni de sa poésie. Cette fable onirique m'a touché comme rarement un jeu vidéo l'a fait. L’impression d'immensité et de solitude qui s'en dégage m'ont marqué durablement au point de se poser comme un jalon indéboulonnable dans mon parcours vidéo-ludique. Depuis, Ico a fait son petit bonhomme de chemin également. Il est devenu encore plus grand qu'il ne l'était déjà. Il est devenu culte dans son petit coin, au point de devenir l'un des plus solides arguments pour la reconnaissance du jeu vidéo en tant qu'art à part entière, aux côtés de "Shadow of the Colossus" et "Okami" notamment. Et je suis convaincu que dans cinquante ans l'on se souviendra encore de ce petit jeu vidéo, de cette petite histoire de tolérance et d'entraide entre ces deux marginaux, entre ces jeunes cœurs faisant l'expérience de la solitude à deux, comme deux amoureux hors du monde.


Et je suis content d'y avoir joué.


Merci Fumito Ueda.

Saint-John
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le 3 mars 2014

Modifiée

le 5 mars 2014

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Saint-John®

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