Si The Last Guardian m’avait émerveillé par l’organicité de sa créature, Trico, avec laquelle se formait une relation toujours unique dans le médium, dansant habilement sur le frontière ténue entre crédibilité d’une I.A. rebelle et maladresse d’une I.A. aux fraises, le dernier jeu en date de Fumito Ueda m’avait tout de même lassé de par sa maniabilité frustrante, sapant bien souvent tout plaisir de jeu.
Si Shadow of the Colossus, testé brièvement dans sa version PS3 HD puis terminé dans sa version remake sur PS4, m’avait impressionné par le gigantisme de ses affrontements et l’âpreté de son univers, il m’avait lui aussi fortement déplu dans l’approximation qu’il donne au joueur dans ses mouvements.
C’est donc avec cette expérience de la ludographie de Ueda découverte à rebours que j’ai un moment contemplé Ico de loin. Un jeu dont l’atmosphère serait sans doute prenante, et les mécanismes originaux, mais dont la jouabilité finirait par me dégoûter, et dont je terminerais l’aventure en me sentant contraint, et non pas par plaisir. D’autant plus quand on sait que le jeu consiste en une mission d’escorte, la lie de tout joueur ayant roulé sa bosse sur moults titres au gré des années. Mais il fallait bien que je le fasse un jour, ce jeu culte, pionnier de l’auteurisme dans le paysage vidéoludique, et inspirateur d’un certain Hidetaka Miyazaki à se lancer dans le milieu (et grand bien lui en a fait). J’ai donc lancé Ico dans sa version PS3 (et grand bien m’en a fait).
Qu’on se le dise de but en blanc, Ico est sans doute le titre le plus jouable de la Team Ico. Ici pas d’accrocs maladroits à des fourrures, pas d’intelligence artificielle rageante, à peine quelques phases de plate-forme qui nous rappellerons qu’à l’époque (2001) nous étions moins assistés et qu’il fallait faire un minimum attention dans nos acrobaties pour ne pas mordre la poussière. Et ce n’est pas Yorda qui viendra nous embêter, la jeunette nous obéissant au doigt et à l’œil, et ne demandant qu’à être prise par la main pour nous suivre docilement. La crainte que j’avais concernant cette longue mission d’escorte s’est donc vite dissipée, le jeu étant assez lax et donc le game over peu fréquent. On a donc un système assez permissif d’ennemis embarquant notre frêle compagnonne vers des portails, système qui sera repris à l’inverse dans The Last Guardian. Donc pas vraiment de difficulté, et encore moins de frustration.
Le titre est jouable donc, un atout par rapport à ses deux successeurs, mais cela ne suffit pas à en faire l’œuvre incontournable qu’il est aujourd’hui. Car un pan où se sont toujours démarqué les gars de Japan Studio, c’est sur leur capacité à créer une atmosphère palpable, un univers qui ne bruisse que par sa nature, et ne se tait que par son architecture dantesque. Une beauté sépulcrale se dégage de ces couloirs vides et de ces halls abîmés que l’on arpente à la recherche d’une issue. On devine une vie, un univers, hors des cette forteresse qui nous emprisonne. On trouve ci et là les vestiges d’habitants, disparus il y a bien des générations. Ces sentiments d’appartenance à une fresque spatio-temporelle imperceptible à notre échelle est une des forces du travail de Ueda, et nous serons livré à cette même maestria dans les deux jeux suivants.
Enfin, après avoir parcouru le château de long en large, je ne peux que comprendre l’influence énorme qu’il a eu sur la philosophie de game design de Miyazaki, tant tout le level design est ici mis en avant. On n’est pas dans les dimensions démesurément arachnéennes d’un Dark Souls, mais on en a les prémisses, avec toutes ces zones interconnectées, ces raccourcis qui se débloquent et nous ramènent en terres connues. On s’approprie les lieux comme on le fera à Lordran, et réaliser que l’on rentre dans une salle déjà visitée par une entrée jusqu’alors inaccessible aura toujours son petit effet.
C’est sûr que si l’on aborde les trois œuvres de Fumito Ueda par leur concept cœur, alors Ico sera sans doute le moins aguicheur. Celui-ci propose de traîner une demoiselle sans défense à travers diverses salles d’un château. Ca fait petits bras quand on a un Shadow of the Colossus proposant de gravir des monstres millénaires pour les pourfendre ou un The Last Guardian permettant de nouer une relation de confiance avec une créature mythique où nous deviendrons nous même le parti escorté. Les ambitions ne sont pas à la même échelle. Et si les trois jeux se valent dans la poésie de leur univers et dans l’originalité de leur démarche, seul Ico saura proposer une jouabilité sans véritable accroc.