Ico & Shadow of the Colossus Classics HD par ngc111
Les remake ont le vent en poupe depuis quelques années. Il faut dire qu'avec l'arrivée de la HD et de la 3D et globalement l'amélioration de la technologie sur consoles, la tentation pour les éditeurs de remettre sur le marché des jeux déjà développés, ne nécessitant qu'un travail de réactualisation, est grande. Pour les joueurs, la perte de rétro-compatibilité ou la revente de leurs anciennes consoles sont toutes de bonnes raisons de repasser à la caisse afin de découvrir ou redécouvrir des fleurons de l'industrie vidéo-ludique.
C'est ainsi que les retardataires qui n'ont pas eu de PS2 voient d'un bon œil l'arrivée d'une compilation de deux jeux mythiques de l'ancienne machine de Sony, deux trésors unanimement appréciés (si tant est que l'unanimité existe) et qui profitent d'une mise à jour graphique pour nous éblouir un peu plus. Ico et Shadow of the Colossus sont les deux jeux que l'on cite lorsque l'on aborde la question du jeu vidéo en tant qu'art. Que ce soit à juste titre ou non, et nous n'aborderons pas cette épineuse question ici, il faut reconnaître que ce sont bien deux jeux à part que nous avons là. Deux joyaux polis mais qui n'ont rien perdu de leur éclat.
Commençons par Ico ! Que dire si ce n'est que le jeu a parfaitement rempli son dessein. En nous collant une jeune fille incapable de se défendre, ne disposant pas d'une palette de mouvements aussi étendue que la nôtre (elle ne peut pas grimper aux chaînes par exemple) et que l'on doit constamment tenir par la main, les créateurs prenaient le risque de nous infliger un personnage "boulet", que l'on aurait détesté une grande partie du jeu, gâchant toutes les qualités du titre. Mais Ueda et son équipe ont brillamment passés l'examen ; la relation crée entre les deux personnages est d'une tendresse, d'un naturel constamment perceptible, il faut voir la démarche des deux personnages reliés en permanence par ces deux mains tendues, symbole fusionnel d'une relation qui vient pourtant tout juste de naître. Attachant... comme l'est ce personnage, ce petit garçon bien jeune mais mis de côté à cause de sa différence, qui n'a rien du héros type de jeu vidéo, qui s'éloigne d'ailleurs du personnage de Shadow of the Colossus ; en effet le jeune homme n'est pas un soldat, ni un guerrier, il n'est qu'un petit être maladroit, à la démarche chaloupée, aux mouvements brusques et incertains. Même lorsqu'il combat il semble chétif et incohérent dans ses gestes. Mais il a du courage à revendre... et une jeune fille (toutefois plus grande que lui) à protéger.
Cette fille, Yorda, ne parle pas la même langue que lui, et même si l'on apprend qu'elle est la fille de la sorcière, maître des lieux, son cas reste entouré de mystère. Et le joueur d'apprendre à la découvrir... en l'observant ! Point de cinématiques à rallonge dans Ico : on joue et on observe afin d'assimiler les mécanismes du jeu. Yorda fera "non" de la tête si elle ne peut vous rejoindre, et il vous faudra essayer, tenter des choses pour connaître vos possibilités. Et ainsi pouvoir escorter la belle en dehors de ce diabolique château fondé sur une île.
Un endroit tout aussi important pour le jeu que le sont les deux personnages. Le décor est magnifique, pas aussi immense que ce qu'il pourrait laisser penser mais brille par la magie et le charme qu'il dégage, ainsi que par l'efficacité de son level-design.
Tiens "level-design", un des premiers termes techniques qui apparaît dans cet éloge à Ico. Il faut dire que l'aspect technique et mécanique du jeu disparaît derrière l'enchantement, la sobriété douce et poétique du scénario et de la mise en scène. Mais puisque Ico est avant tout un jeu vidéo, il faut bien parler des graphismes encore très jolis, cohérents et appréciables en HD même si un léger effet de dédoublement s'invite à chaque mouvement de caméra. Dommageable mais pas dramatique. Les bruitages sont par contre d'une qualité étonnante et les musiques bien que rares, sont mémorables et parfaitement dans le ton.
Mais la vraie surprise vient des animations bluffantes, retranscrivant le lien entre Yorda et le garçon à la perfection. Là encore tout n'est pas parfait et l'on notera quelques animations saccadées (lors des balancements sur les chaînes notamment) mais pour un jeu de l'ère précédente, il y a de quoi être impressionné.
La durée de vie atteint quant à elle les 7h lors de la première partie mais cela correspond finalement bien au rythme du jeu. On avance bien la plupart du temps mais l'absence d'indications pourra entraîner trois ou quatre blocages pour le joueur.
Et puis une fois fini, on repense à cette dernière séquence, le pont qui s'écroule, notre saut désespéré pour rejoindre Yorda, nous privant de la possibilité de s'enfuir, puis notre chute vers l'abîme. Et alors le jeune homme maladroit devient héros, il commence une longue ascension vers le château, vers la salle du trône où Yorda demeure à l'état de statue ; en chemin il trouve une épée de lumière, achevant sa maturation en sauveur et se présente devant la reine armé de son courage et empli d'une volonté sublime de mettre fin au destin tragique de la jeune fille. L'orage gronde, la lumière vient à bout de la sorcière, tout s'écroule (plus de lieu), la demoiselle se voit recouverte d'ombre (plus de "princesse" à sauver) et le héros inconscient quitte l'île porté sur les flots par une petite embarcation.
Et alors que le joueur cherche à interpréter tous les silences et les non-dits du scénario, une dernière scène nous procure la joie de voir Yorda étendue sur la plage. Cette fois plus d'orage, plus d'éboulements, plus d'ombre ; un lieu baigné de soleil, un horizon saturé de lumière et une amitié qui pourra se prolonger...
Shadow of the Colossus prend une autre tournure. Ici on dirige un jeune homme aguerri au combat (à l'épée comme au tir à l'arc), bon cavalier et qui se veut héros dés le début du jeu. Il voyage dans des contrées lointaines, transportant sur le dos de sa monture une jeune fille qui a besoin d'être sauvé. Elle est en effet profondément endormie, inconsciente en tout cas et jusqu'à la toute fin du jeu son rôle est totalement éloigné de celui de Yorda. Il n'est pas vraiment question de lien, d'affinité voir même d'empathie envers la belle au bois dormant, l'implication du joueur dans son sort n'étant que très peu provoquée.
Un mauvais point ? Oui et non... car ce sont finalement les colosses (ou du moins certains d'entre eux) qui remplissent ce rôle et l'on se rend vite compte que chaque combat est, sinon un déchirement, un froissement au cœur du joueur. Il faut voir la démarche lente, le regard intense de ces géants de pierre et de poils, leur relative inoffensivité (au fond la barre de vie n'est pas si importante dans SOTC), les geysers de sang (?) noirs jaillissant brutalement après un coup d'épée, pour ressentir immédiatement une forme de culpabilité à détruire cette forme de vie esseulée. Le lien se crée donc non pas avec la demoiselle en détresse mais avec ceux que l'on doit éliminer pour pouvoir la sauver.
L'autre réussite de SOTC est ce personnage principal qui s'altère progressivement. On le voit de plus en plus fatigué après chaque combat, pénétré régulièrement par l'âme, la substance de chaque géant terrassé. Dernier point relationnel à souligner, le lien unissant le cavalier à sa monture, finalement discret et mesuré, peu mis en avant hormis la fameuse scène de la chute. Peut-être y avait-il de meilleures choses à en tirer.
Et entre tous ces personnages ? Rien ! Un désert de verdure, de sable, de roche, des cités fantômes aux pierres usées et ébréchées, des lacs asséchés ou placides, quelques arbres fruitiers et de rares formes de vie (lézards bien sûr mais aussi tortues, poissons et oiseaux). Un espace inhabité, vaste, comme pour mieux souligner l'isolement de colosses, leur existence vide sens, géants inutiles, gardiens de lieux abandonnés, âmes maudites condamnées à errer. Finalement on aurait presque une pointe d'honneur à mettre un terme à leur existence tant elle semble empreinte de vacuité.
Alors on monte son cheval, on brandit son épée, on se dirige vers l'endroit que pointe le faisceau et l'on découvre ce qui nous attend. Monstre immense, lent, à escalader comme une montagne ? "Petite" boule de nerfs à calmer avant de pouvoir la transpercer ? Chacun nécessite en tout cas une approche originale, nécessitant de découvrir et de pouvoir approcher son point faible. Une varie réussite ludique que rehausse une mécanique musicale extraordinaire avec en point d'orgue une mélodie épique lors des "cavalcades". On appréciera différemment chacun de ces 16 affrontements mais certains procurent de vraies sensations d'extase ; on pense notamment à l'oiseau (le 5e colosse) et cette sensation grisante une fois sur ses ailes.
De manière plus pragmatique pourtant, Shadow of the Colossus n'est pas dénué de défauts et laisse une impression légèrement moins mémorable que celle donnée par Ico. Plus répétitif de par son principe, jusque dans la répétition des scènes, un peu inégal quant à la qualité et la variété des combats, pas toujours irréprochable dans la maniabilité (à cheval), SOTC s'enferme un peu trop dans son concept. Mais il a le mérite de respecter cet esprit de pure poésie, de proposer une vraie expérience sensationnelle qui ne s'attache pas qu'à la force d'un gameplay éprouvé mais va plus loin en faisant ressentir au joueur une implication bienvenue et originale. Là où Ico transporte le relationnel dans le jeu vidéo, Shadow of the Colossus retranscrit une sensation pure à travers l'escalade de corps auxquels on s'agrippe désespérément, sur lesquels on crapahute afin de mieux les faire choir.
Et arrivé au bout du compte, las, fatigué, au bout du rouleau, au bout de cette quête ingrate et culpabilisante, on assiste à la contrepartie tant attendue, le dû que l'on s'attendait à payer comme un homme ayant vendu son âme au diable. Cette fois l'ombre ne recouvre pas la jeune fille, le héros devient l'ombre. Cette fois la lumière ne vient pas inonder les retrouvailles mais la séparation.
Et alors le personnage féminin jusque ici discret, quasi absent de l'expérience que vient de vivre le joueur, prend toute la place. En une scène elle montre un lien aussi fort avec Agro (le cheval) que celui exploré pendant tout un jeu avec l'épéiste déchu. Elle recueille ce dernier sous forme de nouveau né, et le clin d'œil à Ico vient nous surprendre et nous confondre quelque peu. SOTC est-il genèse brillante d'un chef-d'œuvre précédent ? Pas le temps d'approfondir nos réflexions que l'on s'émerveille devant le jardin d'Eden que rejoignent la petite troupe... sous une lumière omniprésente... la boucle est bouclée !