Jusant
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Jusant

Jeu de Don't Nod Entertainment et Guillaume Ferran (2023PlayStation 5)

Tout commence par des images inspirées dotées d'une direction artistique minimaliste et riche à la fois et par un thème musical entêtant créé par un certain Guillaume Ferran, dont j'ignorais tout, que j'écoute en boucle pendant des jours. Jusant aurait pu se perdre dans l'océan de jeux originaux, pour moi, surtout avec un concept concentré sur une pratique monomaniaque de l'alpinisme ; discipline qui, dans l'absolu, ne me passionne pas tout particulièrement. Pourtant, au fil des écoutes, de la bande originale donc, je me suis dis que, progressivement, ce jeu, j'avais vraiment envie de le faire. Ou plutôt de le vivre car c'est souvent comme ça avec les jeux concepts : ça se vit plus qu'autre chose, aussi court soit le voyage, et ce dernier est effectivement fugace. Ça, oui. Mais marquant, assurément.

Jusant est un terme maritime désignant le reflux de l'eau lors d'une marée. Centrer la thématique globale du jeu sur ce terme fait rapidement comprendre que le monde dans lequel nous évoluons est figé et que, tout naturellement, cela a eu de fâcheuses conséquences. Un jeune garçon, accompagné de son petit familier aux allures de tartigrade passé sous le pinceau d'un certain studio aux grandes oreilles, qui aura bien heureusement un rôle autre qu'une simple potiche kawaii, traverse un désert forcément désolé et aride. Là, s'érige subitement une colonne montagneuse intimidante dont on ne voit pas le sommet. C'est l'objectif affiché du protagoniste et il commence d'emblée son ascension.

Petit, agile, léger, le garçonnet semble parfaitement équipé pour escalader. Il semble également avoir une expérience solide dans le domaine. Les premiers pas sont un peu désarçonnant et l'on comprend toute l'originalité dès les premières secondes du gameplay puisque les gâchettes gauche et droite permettent de s'agripper avec la main concernée sur différents échelons, corniches ou ce qui s'y apparente. Sécurisé par une corde d'une longueur fixe et d'exactement trois pitons à poser selon les besoins, le garçon doit aussi veiller à ne pas s'essouffler outre mesure. Tout cela crée tout l'enjeu et la tension du titre.

Du début à la fin, il faudra chercher à monter jusqu'au sommet où semble se trouver la réponse ultime au problème environnemental qui a rendu invivable ce lieu, d'apparence hostile, où, pourtant, semblaient vivre et s'épanouir de nombreuses personnes. Mais lors de votre passage, il n'y a plus âme qui vive. Seules perdurent des vestiges de vie qui seront l'unique aliment narratif explicite du jeu. Plusieurs lettres, en effet, sont disséminées ici et là. Par leur biais, l'on découvre le quotidien des habitants, mais surtout leurs problèmes, leurs inquiétudes et, in fine, le désespoir. Jusqu'à mener, pour la plupart, à la décision déchirante de quitter les lieux. Des marins sans eau ou des agriculteurs confrontés à la sécheresse, les lieux ont gardé l'héritage d'un gros traumatisme donnant au joueur la justification de se donner, a priori, autant de mal pour grimper, quel que soit l'impossibilité de la tâche.

L'alpinisme, donc, n'est pas forcément ma tasse de thé. J'ai le vertige, et, bien évidemment, ça coupe court à toute possibilité de pratiquer la chose. C'est donc avec beaucoup d'appréhension, teintée de curiosité, que je me suis adonné à la chose. Car la proposition de Jusant a beau être plutôt marginale et moins audacieuse que certains projets, le titre est sacrément joli et crédible. Des environnements détaillés et variés à la physique du jeu qui fait tout son intérêt ludique. Certaines séquences, accompagnées de la musicalité contextuelle de ce cher Guillaume Ferran, m'ont fortement marquées, et en bien. L'impossibilité d'une ascension nous rend forcément fier d'arriver en terrain sécurisé et l'on s'amuse, à la fois, à regarder d'en bas pour se demander comment on va arriver à grimper, et, également, une fois arriver en haut, on prend une petite seconde pour tordre la caméra pour se dire enfin : "Ah oui, j'ai grimpé tout ça. Je suis bon quand même !". Et surtout, on se demande comment faire si l'on était amené à devoir tout redescendre.

Comme dans tout jeu vidéo digne de ce nom, la difficulté monte crescendo, sans paraître insurmontable, car je ne suis plus un joueur très patient, mais crée toute la tension nécessaire à une expérience digne de ce nom. Mention spéciale à une phase particulièrement venteuse, point culminant de l'expérience. Jusant se laisse ainsi arpenté pendant ses quelques heures, laissant cette sensation qui me rappelle pourquoi je joue aux jeux vidéos depuis plus de trente ans. J'apprécie les pas de côté, voire les paris risqués, de certains éditeurs tels que *Don't Nod *pour qui j'ai d'ailleurs pas mal d'affection. J'étais un peu inquiet sur la monopratique de l'alpinisme mais de fait, comme le jeu est plutôt bref, rien ne s'essoufle et l'on découvre même quelques surprises de gameplay plutôt bienvenues. Outre l'apport musical qui m'aura, vous l'aurez compris, transporté (je l'écoute d'ailleurs pour la millième fois en ce moment), je crois que la filiation, assumée ou non, du projet aux géniaux titres du Japonais Fumito Ueda (Ico, Shadow of Colossus et The Last Guardian), avec leur narration minimaliste volontaire, ses personnages d'apparence banale et faible et un soin particulier porté à l'ambiance, avec ou sans musique, et, surtout beaucoup de poésie, n'y est donc pas pour rien. Je dirais pour clore le sujet que la rejouabilité est plutôt légère, puisque les quelques "collectibles" (des fresques à activer avec son familier, des cairns à alimenter ou encore des coquillages permettant de se remémorer l'ambiance d'antan...) sont davantage l'occasion de découvrir des zones cachées que d'apporter du *gameplay *supplémentaire.

Gaeru83
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le 5 mai 2024

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Gaël Barzin

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