Kikokugai The Cyber Slayer est le troisième visual novel produit par Nitroplus et écrit par Gen Urobuchi, sorti en 2002 et véritable claque dans ma gueule quand je l’ai lu il y a deux bonnes semaines de cela.
Et je n’exagère pas ! Je pense bien ne jamais avoir été autant secoué par un VN auparavant, et les œuvres issues d’autres médiums à m’avoir ainsi marqué ne courent pas les rues non plus.
Ouaip, on est en face de bonne came.
Initialement, c’est l’univers cyberpunk qui m’a attiré. Comme beaucoup je suppose, j’ai un faible pour l’esthétique Blade-Runner-esque, et les décors contrastés du Shanghai futuriste ou se déroule l'action n’ont pas eu de mal à me séduire. Entre la démesure d’un centre-ville tout en verticalité, éclairé de jour comme de nuit par des néons aveuglants, et les quartiers pourrissants de la banlieue condamnée à la ruine, victime collatérale d’une expansion brutale.
Les individus ne sont pas en reste. Outre un chara-design très classe, les augmentations cybernétiques sont devenues monnaie courante, tout particulièrement au sein de la pègre qui profite du manque de régulation sur ce marché pour augmenter leurs membres bien au-delà de la raison (et je c’est sans parler des cas les plus extrêmes, qui vire carrément au grotesque dans le bon sens).
Et visuellement, tout cela rend particulièrement bien. Comme dans Phantom of Inferno, les décors sont modélisés en 3D, mais contrairement à ce dernier ou le résultat laissait franchement à désirer, il est clair ici qu’en deux ans le studio a su peaufiner sa technique.
Aucun doute que la représentation d’un univers cyberpunk aide grandement à la pertinence du choix, mais le rendu est également bien plus fin et s’intègre harmonieusement avec les personnages 2D.
Mais assez bavé sur les visuels, qu’est-ce que raconte Kikokugai ?
Rapidement, le récit se présente au début de la lecture comme un revenge plot classique. Le protagoniste, Kong Taluo est un ex de la pègre shanghaienne trahit lors d’une mission à l’étranger par Lyuu Hojun, son supérieur et meilleur amis.
Mais c’est surtout la découverte du viol et meurtre de sa sœur, pourtant fiancée à Lyuu qui va lui donner la motivation de mettre en place sa vengeance à son retour à Shanghai.
Et c’est là que le scénario que prend une tournure originale. Ruili, la sœur de Kong n’a pas simplement été tuée, son âme a été extraite de son corps par un procédé illégal provoquant la destruction du cerveau du patient. Divisée en 5 fragments, elle a été placée dans des poupées cybernétiques appartenant à Lyuu et ses 4 lieutenants.
La suite coule de source, Kong va tenté de d’assassiner ces 5 personnes l’ayant trahit tout en collectant à chaque fois un fragment de la conscience de sa défunte sœur dans une poupée spécialement conçue pour les accueillir, avec l’espoir vraisemblablement vain que cela puisse la ramenée à la vie.
Je m’arrêterais là. Je sais que ce synopsis a déjà du en interpeller plus d’un, et pas forcément de la meilleure façon qui soit. Néanmoins, c’est là qu’intervient l’élément central de la réussite éclatante de Kikokugai : son écriture.
Franchement je commence à me dire que Gen Urobuchi aurait peut-être mieux fait de rester dans la production de VN. Pas que je lui souhaite d’un autre côté, le marché se réduit d’année en année au japon, mais je suis étonné de découvrir dans sa prose des qualités que je n’aurais jamais soupçonnées si j’en était resté à ça production en tant que scénariste d’animes (et pourtant j’en apprécie la majorité).
La prose utilisée dans Kikokugai est tout bonnement excellente. Urobuchi parvient à l’aide de descriptions minutieuses - que ce soit pour les décors futuristes, les batailles endiablées que livre Kong ou encore le torrent d’émotions qui parcourt sans cesse les principaux personnages – à vendre au lecteur un postulat de base relativement simple, pour ne pas dire simpliste. On est véritablement aspiré dans cette histoire à la conclusion ne pouvant être que funeste, et en total empathie avec ses protagonistes.
Et c’est tant mieux car le final joue énormément sur la connexion que le lecteur a pu former avec Kong, Riuli et - aussi étonnant que cela puisse paraître - Lyuu. Je suis quelque peu mal à l’aise à l’idée d’aborder la conclusion, tant je pense qu’elle est centrale à l’impacte que ce VN a eu sur moi. Je m’en voudrais considérablement si je la ruinais en révélant ne serait-ce qu’un détail de trop. Sachez juste que la brutalité avec laquelle l'auteur brise l’image des persos que le lecteur avait construit au fil du récit est tout simplement brillante.
Apparaît alors la véritable nature de l’histoire, celle d’individus poussés à la folie par leurs passions. Folie qui elle-même les pousse inexorablement vers l’autodestruction, dans un maelström de tristesse et de rage.
J’évoquais rapidement le cas de Lyuu au dessus. D’habitude je déteste les récits qui tentent de dépendre leur antagoniste comme une figure tragique de façon à s’attirer l’empathie de l’audience, mais je dois reconnaître que Kikokugai y arrive magistralement. J’étais honnêtement ému par ce personnage, à la réalisation de ce qui avait pu le pousser à commettre des actes aussi ignobles.
La manière dont le thème de l’inceste est ici abordé mérite également l’admiration. J’avais lu il y a quelques mois une citation de l'auteur où il s’exprimait sur l’usage de cet élément à des fins fantasmées, et arguait que c’était justement la dimension transgressive de ce fantasme qui en faisait tout son intérêt thématique. Et dieu qu’il n’a pas manqué à sa parole.
Le traitement est ici horrifique, tant dans la manière dont il est amené que de ce qu’il implique. Il est également appréciable que cette relation n’est jamais consumée durant l’histoire, pas même de manière chaste.
Je conclurais enfin cette partie en louant l’excellence de la traduction anglaise. Produite par le même traducteur que pour Jouka no Monshou, elle restitue avec brio toute la beauté sordide de la prose de Urobuchi.
Et comme il semblerait que je suis incapable d’ordonner mes pensées quand j’écris sur quelques choses, c’est maintenant, à la toute fin de ce post que je vais enfin parler des deux points qui pourraient se révéler fâcheux pour certains.
Déjà Kikokugai est un eroge, comprenez par là qu’il s’agit d’un visual novel proposant du contenu pornographique. Pas une énorme quantité – à peine 3 scènes sur tout le jeu – mais difficilement négligeable aussi. Le VN s’ouvre quant même sur une scène de viol particulièrement crue. Personnellement la dernière séquence de ce type est la seule à m’avoir un peu dérangé, je la trouve sortie un peu de nulle part, là où les précédentes s'insèrent au contraire plutôt bien dans le scénario.
Heureusement pour ceux qui souhaiteraient découvrir l’histoire sans avoir à subir le contenu érotique de la version de base, sachez qu’un remake tout public (enfin +15 selon le système de notation japonais) a été produit en 2010. Les visuels ont également été retravaillés pour un résultat encore plus fin, et un doublage avec un excellent casting AAA a également été enregistré. Seul bémol, le patch de traduction anglais n’est toujours pas sortit, néanmoins les progrès dessus sont extrêmement rapides, et il devrait déjà sortir dans les semaines à venir.
EDIT : Le patch est sorti.
L’autre point sensible enfin est que Kikokugai est un Kinetic Novel, soit un VN ne disposant d’aucun choix modifiant l’aventure.
Personnellement ça ne me pose pas de problème, bon nombre de mes titres préférés (Le sanglot des cigales/Higurashi en est sans doute l’exemple le plus connu) optant pour cette approche plus passive. Néanmoins, je sais que certains ne sont pas de cet avis. Il est intéressant de noter que Gen Urobuchi a lui-même commenté sur ce choix, invoquant que le côté fataliste nécessaire à ce type d’histoire aurait été diminué si le lecteur c’était vu accordé des options modifiant celle-ci.
Je ne suis pas doué pour les conclusions, je me contenterais donc de vous inciter plus que chaudement à vous procurer et à lire Kikokugai dans les plus bref délais si vous ne portez ne serait-ce qu’un peu d’intérêt pour les œuvre de fictions bis proposant un contenu d’une réelle sensibilité.
En ce qui me concerne, l’expérience m’aura profondément marqué.