J’imagine combien ça doit être difficile à croire pour certains, mais la série King’s Field m’a toujours fait envie. Vraiment envie. Pas juste une petite curiosité comme ça, mais vraiment la certitude que cette série était faite pour moi. La première fois que j’ai vu une image de King’s Field (c’était avec le 3 je crois), j’ai su de suite que c’était un jeu que je ferais un jour (un coup de foudre quoi). Tout m’attirait : la musique, l’atmosphère, la lenteur, l’aspect un peu sale de la PS1, et évidemment l’idée de me perdre dans un donjon dédaléen et mystérieux.
Petite parenthèse : en fait je découvre aujourd’hui que ce qui m’attire, ce sont les labyrinthes. Peu importe le genre dans lequel ils s’inscrivent : doom-like, zelda-like, survival, metroidvania, rpg, action-aventure, point and click. Balancez-moi dans un labyrinthe et je serai heureux. J’y trouve aujourd’hui plus de plaisir d’exploration que dans les mondes ouverts. Peut être parce que le labyrinthe, par définition, c’est de l’exploration. J’entends par là : c’est de l’exploration avant tout, avant tout le reste. On s’y perd, on y cherche des clefs, on s’enfonce dans le danger, on s’y retrouve piégé. Le labyrinthe c’est de l’aventure concise, là où le monde ouvert représente souvent de l’aventure diluée, qui doit trouver d’autres formes de gameplay pour contenter le joueur.
Et ça y est, grâce à l’émulation (Retroarch) j’ai pu me plonger dans ce King’s Field 2 (deuxième opus au japon, mais premier à sortir en occident) et jouer à une version française. Et tout ce que je fantasmais s’est confirmé, et même au-delà de mes espérances.
King’s Field est vraiment l’ancêtre de Dark Souls sur beaucoup de points. On est lâché sur l’île de Melanat. On débute échoué sur une plage, et rien ne nous est dit. À nous d’explorer. On croisera des personnages déprimés aux répliques laconiques qui nous révéleront que l’île est maudite. On se retrouvera face à des portes fermées, des ennemis trop forts pour nous, on ramassera des objets mystérieux, sans aucune description sur leur utilité. Et tout ce qu’on visitera ne sera que vestiges : d’anciens villages abandonnés, des bases militaires décrépites où les soldats sont devenus fous, ou bien morts-vivants, des cimetières reculés, des sanctuaires d’elfes dont les habitants ont été décimés, et même un château abandonné appartenant à un roi déchu. From Software oblige, l’histoire de l’île se devine à travers ces lieux de solitude. La mort et la poussière en sont les seuls témoins.
Ce qu’on constate très vite alors, c’est combien le level design est magistral. Et je pèse mes mots. Bien sûr, tout est un peu gris et sombre. Le jeu doit se démerder avec 4 ou 5 textures à tout casser. Mais malgré ça, il parvient à mettre en place un labyrinthe ingénieux avec des raccourcis, des interconnexions aussi intelligentes que celles de dark souls 1, et des zones qu’on parvient à mémoriser, auxquelles on prête une identité (la musique y participe fortement). La grosse différence avec les Souls alors - niveau exploration j’entends – c’est que le jeu nous laisse totale liberté. Notamment la liberté de gérer nos items (qu’on peut consommer ou revendre), nos clefs (qu’on peut utiliser, réutiliser ailleurs, revendre, et même dupliquer), et notre exploration (qu’on peut pousser très loin si la curiosité nous prend).
Théoriquement, il est possible de skipper plein de trucs, et d’arriver face au boss final avec peu de pouvoirs, peu de fioles, et quasiment pas d’armes. C’est possible. Suicidaire, mais possible. Et ça, c’est typiquement dans l’esprit dungeon crawler, et c’est une chose qui n’existe presque plus dans les jeux actuels. Laisser le joueur libre d’avancer comme il l’entend, au risque qu’il tourne en rond, ou pire encore, qu’il fasse une connerie foutant en l’air sa partie. C’est précisément ce qui m’est arrivé après 5h de jeu. Ayant mal géré certaines clefs – les clefs de Rhombus – mais aussi mal géré mes sauvegardes, je me suis retrouvé coincé dans une zone sans pouvoir en sortir. J’étais niqué et je n’ai plus eu qu’à recommencer une partie.
Cette latitude donnée au joueur, en repoussera certains, en attirera d’autres. Il faut aimer être perdu et livré à soi-même. Pour moi c’est tout le plaisir du genre, c’est sa force et aussi son plus grand défi. Moi je savais dans quoi je me lançais. J’avais déjà fait d’autres jeux avant lui qui m’avaient appris la leçon (coucou Arx Fatalis). Si bien que dès le début de ma partie, j’ai pris du papier et un crayon et j’ai tracé ma propre carte, mais j’ai également tout noté. Tout ! La moindre information de PNJ, le moindre objet suspect dans les pièces, le moindre symbole croisé sur un mur ou sur un item. Et j’ai bien fait, car je me suis retrouvé confronté à des énigmes qui exigeaient de moi d’avoir bien observé l’île. Ce qui n’est en réalité pas bien dur, car les pièces sont tellement vides, que le moindre élément se remarque immédiatement.
En ce sens, King’s Field est un vrai jeu de piste. On navigue dans l’inconnu pendant une dizaine d’heures, on ramasse des objets dont on ne comprend pas la fonction, et on finit par faire le lien entre les choses.
Du coup, peu importe que les combats soient clunkys, que les textures soient moribondes, les décors vides, et la distance d’affichage ridicule. Peu importe la technique datée. Je pense qu’à l’époque déjà, From Software mesurait très bien tout cela, et plutôt que d’améliorer ça, ils décidaient de jouer avec, d’en faire le jeu. La preuve c’est que dans tous les jeux suivants – les King’s Field, mais aussi Shadow Tower ou Eternal Ring, on restera toujours lent. Car oui, dans King’s Field on est très lent, et surtout, SURTOUT : on doit composer avec une maniabilité volontairement étrange. On navigue et on bouge la tête avec les touches directionnelles et les gâchettes latérales. Très bizarre au début, certains trouveraient ça immédiatement injouable. En réalité on s’y fait. Non seulement on s’y fait, mais en plus on finit par comprendre que notre lenteur et notre difficulté à se mouvoir sont le premier des dangers. Les ennemis eux aussi sont lents, et lorsqu’on meurt, c’est souvent de n’avoir pas surveiller ses arrières et d’avoir mal anticiper notre leeeente rotation pour voir si rien n’arrivait derrière notre dos. En ce sens, la lenteur de King’s Field fait partie de l’expérience. Si par exemple un jour, quelqu’un décidait de modder le jeu et de le rendre plus souple, ou simplement jouable à la souris (en freelook), cela casserait le gameplay.
On doit alors composer avec cette lenteur et accepter les combats tels qu’ils sont. Et comme dirait Benzaie, on peut même totalement maroufler le jeu. Pour battre Nécron par exemple, j’ai d’abord tenté de l’affronter à la loyale. Me mettre face à lui, esquiver ses coups, et envoyer ma meilleure magie. Sans succès. Avant de comprendre que la meilleure méthode était la plus fourbe : me coller à son cul, frapper, boule de feu, frapper, boule de feu, frapper,….sans jamais le laisser respirer, ni lui laisser aucun temps pour répliquer. Voilà d’ailleurs une autre particularité de King’s Field qui peut paraitre chiante au possible pour les joueurs. Les combats consistent souvent à frapper-reculer en profitant de l’animation des ennemis. Avec une arme rapide (lol) on peut littéralement bolosser un ennemi en ne le laissant jamais terminer son animation. Le temps nécessaire pour redonner un autre coup étant plus court que celui que l’ennemi a pour répliquer. Combat chiant au possible ? Oui. Mais c’est la seule manière de s’en sortir. Ça, et se mettre au dos de l’ennemi comme un chien en rut. Je vous jure que ça donne des situations très gay-friendly. Pendant 30h j’ai eu l’impression de chercher à enculer tout ce qui bougeait. Je crois même que ça a réveillé quelque chose en moi, ma femme se pose des questions.
Maintenant, on peut s’interroger sur pourquoi la série King’s Field s’est si peu vendue.
Pourquoi pendant des années elle a été si mal vue, si critiquée, considérée comme des mauvais jeux, alors que moi j’ai trouvé ça vraiment génial et qu’il y a une communauté pour la défendre ? (des gens cultivés assurément)
On me dira : parce que c’est laid pardi ! t’as vu la gueule du jeu ? On n’aura pas vraiment tort.
Mais je pense que la réponse est un poil plus complexe. Je pense en fait qu’au moment où King’s Field sort, le genre dungeon crawler appartient au passé. Le dungeon crawler c’est Wizardry, Dungeon Master, Bard’s Tale, Lands of Lore, Ultima Underworld ou encore Eye of the Beholder (pour citer les plus connus, car croyez-moi, il y en a eu une chiée). Un genre foisonnant oui….mais dans les années 80, et qui plus est, sur Micro PC. Un autre monde, un autre public. L’idée de faire ressurgir le genre sur PS1, c’était archi risqué. Et puis comme From Software sont une bande de têtus, ils décident en plus d’en faire un dungeon crawler différent des autres : déprimant, sombre, taiseux, sans objectif défini. From Software quoi. Les mecs s’en battent les couilles.
Et avant qu’on m’attaque sur la question. Oui il y a eu d’autres dungeon crawler sur ps1 et ps2. Pas seulement les King’s Field. From Soft n’étaient pas les seuls. Mais ça ne change rien à l’affaire, car aucun d’eux ne se vendaient. Qui se souvient des Wizardy sur PS2 ? Qui achetait ça ?
Pour finir, un mot sur la vidéo d’Edward
https://www.youtube.com/watch?v=T5hhZS14pIk
Probablement la meilleure vidéo française sur le jeu. Elle a d’ailleurs été un succès pour lui, et je vous conseille de la regarder, mais pas en entier, car elle spoile !
C’est précisément ce que j’ai fait moi. J’ai terminé la vidéo après avoir terminé le jeu. Et donc je voulais relever plusieurs choses.
Si la vidéo retranscrit parfaitement la philosophie du jeu, elle laisse croire certains trucs pour des besoins évidents de rythme et d’efficacité. Par exemple, elle insiste trop peu à mon goût sur la place immense que prend le backtracking. On revient beaucoup sur ses pas dans le jeu. Énormément même. La vidéo n’insiste pas non plus sur les passages secrets, alors que c’est une composante essentielle du jeu. Car oui, dans King’s Field, en plus de se coller au cul des ennemis, on se frotte aussi aux murs pour trouver des passages secrets. Imaginez donc l’aventurier qui colle son nez sur chaque mur d’une pièce et se frotte dessus. Quel gros gogol hein ? Bein ce gogol ce sera vous.
Enfin, Edward explique en fin de vidéo qu’il a dû farmer longuement et péniblement pour battre le boss final. Alors ça, c’est une énorme connerie. C’est juste lui qui était nul. Si on explore bien, on a normalement tous les items et toute la magie nécessaire pour ne pas avoir à level up. Et face au boss final, on trouve facilement des astuces pour rendre le combat facile. King’s Field récompense l’exploration.
Voilà voilà, c’est tout ce que j’avais à dire.