Alors, deux ans après sa sortie, que faut-il savoir et retenir du "Skyrim sans dragons" ?
D'abord qu'il est désormais parfaitement jouable et largement débuggé. Il ne reste plus que quelques couacs ici et là, mais pas plus qu'une caisse qui vole dans un Witcher 3. En revanche, l'optimisation est à la traîne : le 60 fps est atteint... sauf quand des PNJ et leur gestion (chacun a un agenda quotidien !) viennent rendre visite au pauvre CPU qui n'en peut mais, même s'il est récent. Et là, la souffrance est réelle.
Les 30 à 40 premières heures de jeu sont fantastiques, dans la découverte de l'environnement du jeu, son système et ses features. Warhorse a voulu faire une simulation immersive autant qu'un vrai pur RPG. C'est ainsi qu'on va admirer un petit carré de Bohême de 6x6 km à une quarantaine de kilomètres de Prague, admirablement modélisé en couleurs naturelles et respect de la géographie (si, si, allez voir Google Maps). La fidélité à la réalité tchèque de 1403 s'est voulue la plus grande archéologiquement possible, qu'il s'agît des architectures, des costumes, des coutumes, des ateliers, des intérieurs, etc, etc, etc... Vous saurez tout du contexte historique que vous n'avez pas appris à l'école française, du règne de l'empereur Venceslas IV et de la controverse hussite pré-Réforme.
Vous allez préparer des potions sur un atelier d'alchimie, aiguiser vous-même vos épées sur une meule, apprendre à lire, chasser le lapin, découvrir un système de combat à la fois simple et pointu... Tous les systèmes de jeu sont ambitieux. L'histoire - et sa mise en scène ambitieuse - vous emmène dans une aventure, sur le fond, guerrière, mais les quêtes principales vont suivre en réalité davantage les codes du récit policier à coups d'interrogatoires, tandis que les quêtes secondaires vous feront découvrir tous les contours de la vie médiévale, ce qui permet de multiplier les bonnes idées (comme cette quête de début de jeu qui vous demande de repérer des chants d'oiseaux pour les capturer !). De quoi aller, dans un premier temps, d'émerveillement en émerveillement, le tout au rythme d'un Codex très riche et aisé à lire. Votre passage, infiltré dans
un monastère bénédictin
, est un grand moment de jeu vidéo.
Les combats se font à l'arc mais sans réticule, ce qui vous demandera le minimum de skill qu'on ne vous a jamais demandé jusqu'ici; ou bien à l'épée, à la hache ou à la masse, avec ou sans bouclier, avec gestion de l'orientation de l'arme et de combos façon BTA. Le combat est conçu pour le 1 vs 1 car tout adversaire supplémentaire a vite fait de vous frapper dans le dos, ce qui est logique d'une certaine manière. Lors des mêlées, les choses sont beaucoup plus simples puisque c'est vous qui allez taper dans le dos d'adversaires qui vous dédaignent. Dans un premier temps vous ferez donc tout pour ne pas vous mettre à dos plus d'un ennemi à la fois. Et ensuite vous privilégierez la masse car vos ennemis seront en armure...
Pour celles et ceux qui s'inquiétaient du propos politique d'un jeu dont le développeur en chef se revendique d'extrême-droite, eh bien, Kingdom Come est indéniablement un jeu conservateur. Difficile de dire dans quelle mesure les auteurs admirent voire fantasment l'ère féodale (la petite noblesse de province est présentée sous un jour hyper favorable). En tout cas, si les critères d'appréciation les plus modernes posent des questions en terme de représentation (des femmes surtout), d'écriture, de personnages, le jeu ne m'a jamais semblé scandaleux genre manifeste pro-Poutine ou autre. Les auteurs se sont-ils retenus, ou bien Deep Silver est-il intervenu pour maintenir le jeu dans un spectre consensuel ? Toujours est-il que s'il était sorti avant 2005, il se serait trouvé peu de monde pour le critiquer ouvertement.
Hélas ! Est-ce la pression pour sortir le jeu sur console ? Le coup de semonce intervient quand vous découvrez votre cheval et son comportement totalement calqué sur Witcher 3 (une des grandes inspirations du jeu, inévitablement) : sifflez et il surgit dans votre dos, et surtout, il ne meurt pas. C'est le premier des compromis qui vont peu à peu affadir l'expérience de jeu, et ce, pour deux raisons principales.
La première est que si le jeu se mesure à Skyrim, il a aussi commis l'erreur cruelle d'en reproduire l'un des plus gros défauts : le levelling sans discrimination. Pour améliorer vos compétences, il faut les exercer, comme chez Beth'. Sauf... qu'aucun malus d'expérience ne s'exerce sur elles, contrairement à Morrowind. Vous pouvez TOUTES les faire monter au même rythme et vous les ferez TOUTES monter, pour finir le jeu en expert omnidisciplinaire, de la parlotte au maniement de la hache en passant par la cueillette de fleurs. Rien ne vous étant interdit, aucun roleplay n'est donc possible outre celui que vous vous imposerez de façon totalement arbitraire. Les quêtes ont certes souvent plusieurs résolutions possibles, mais l'histoire principale étant linéaire, ça ne change pas grand chose... et la gestion de la réputation ? Ben vous apprendrez vite le pas vu, pas pris !
La seconde, c'est un travers commun à la plupart des RPG du genre : la gestion du loot. Au début du jeu, vous démarrez en sans-le-sou, tout coûte cher et vous avez le sentiment que vous ne vous en sortirez jamais ou péniblement. Sentiment faux. En apprenant à vous battre, vous saurez vite vous frotter à la racaille de la région qui vous laissera pagaille de ferraille et haillons à revendre aux marchands du coin dont les poches s'agrandissent à mesure que vous les leur videz. Sans compter votre consommation personnelle. Et vous terminerez le jeu, pour autant que vous soyez un peu maniaque, avec une fortune colossale et impossible à dépenser (j'avais 22 000 groschen en poche et l'équipement le plus luxueux).
Et tout sera un peu comme ça. La gestion de la faim ? Super sur le papier, inutile en réalité : il y a des marmites de bouffe disponibles littéralement tous les 10 mètres. La gestion des sauvegardes ? Il suffit de dormir, de se laver ou... de quitter le jeu. Porter de beaux habits nobles pour en imposer ? Pourquoi faire ? Les meilleures armures présentent le même avantage, et on les gardera en permanence sur le dos. Je n'ai pas dû avoir plus d'une dizaine de morts et game over au total. La courbe de difficulté qui semble abrupte au début laisse en fait place à un sentier plat et dégagé, et je conseille, du coup, de tenter dès le début le mode Hardcore, qui ne vous laissera pas en paix de sitôt.
A propos de la nourriture, la description des aliments suggère qu'un module de cuisine a été envisagé mais pas implémenté par Warhorse, et le jeu souffre aussi un peu de son statut de AA, voulant prendre de l'ampleur tout en étant limité sur plein de points : assez peu d'interactivité sur le monde en dehors des coffres à vider; peu d'animaux; pas de bêtes de trait donc ni charrues ni charrettes; pas d'enfants, etc... Si on ajoute que les quêtes finissent par sentir le syndrôme de l'aller-retour permanent point A-point B-point C, les 40 dernières heures deviennent carrément longuettes et on a limite hâte d'en finir. Quel dommage. Pas au point de jeter à la poubelle tout ce qui a été fait auparavant, mais si la réputation du jeu et son début promettaient le Paradis, apprêtons-nous à redescendre sagement sur Terre...
Signalons, tant qu'on y est, la troisième grande inspiration de Kingdom Come: le RPG Darklands, jeu méconnu de 1992 dont le système de combat a été repiqué par Baldur's Gate, et qui permettait, dans l'Empire germanique médiéval, de prier les saints de l'Eglise pour obtenir des buffs...