Layers of Fear
6.7
Layers of Fear

Jeu de Bloober Team et Aspyr Media (2016PlayStation 4)

Survival-Ikea, menuisage-horror, mais qu'est-ce que c'est ?

(critique écrite courant 2017)

Ce jeu ne mettra pas tout le monde d'accord. A commencer par la nature même du sujet : pour beaucoup, ce jeu n'est pas un jeu. Je suis plutôt de cet avis, le considérant davantage comme un concept. Car contrairement aux toiles qui hantent les interminables couloirs qu'il vous demandera de traverser, Layers of fear est abstrait et inachevé.

Dans la pratique brute, il s'agit d'un walking simulator agrémenté d'un système d'ouverture de portes et de tiroirs (sachant que si vous souhaitez ramasser tout les collectibles et connaitre l'histoire dans son entièreté, vous ferez autant l'un que l'autre). Et en théorie, il s'agit d'un expérience narrative anxiogène et, sur cet aspect, c'est assez réussi bien qu'inégal. Comprenons nous bien, ce jeu ne met pas en état d'alerte absolue, vous ne courrez pas pour sauver votre vie virtuelle et la notion de peur est relative, dépendante de votre sensibilité et donc de votre subjectivité. Layers of fear n'est pas un survival horror, vous ne compterez pas vos munitions, vous n'aurez d'ailleurs pas à vous défendre physiquement et d'une manière plus générale, vous n'aurez pas à survivre. C'est d'ailleurs un des points qui lui est couramment reproché : on ne meurt pas. Il est possible, à de rares moments, de se faire attaquer et de sombrer dans une autre strate de votre inconscience mais jamais cela ne se traduit par un game-over. Pour certains, ce simple fait, supprime toute possibilité de ressentir de la peur. Je ne suis absolument pas d'accord. En effet, vous ne ressentirez probablement pas la peur de mourir, mais dans ce contexte, ce n'est pas le but recherché. Je dirais même qu'en ce lieu clos imprégné d'affliction et de solitude infinie, la mort est une échappatoire, nous en priver, c'est nous ôter l'espoir. Reste alors une peur autre, celle de demeurer dans ce cloaque où le temps et l'espace sont affranchis des contraintes de notre monde.

Cependant, distiller la peur n'est pas une mince affaire, et les développeurs cèdent à la facilité, en balançant brusquement sous nos yeux endormis... des pommes ! Et en malmenant par la même occasion nos oreilles. Une surabondance de jump-scare, que d'aucuns oseront qualifier de putassiers, va en effet avoir un impact concret sur la régularité de votre rythme cardiaque, mais, messieurs les développeurs, c'est de la surprise que nous ressentons et non pas de la peur, sinon celle de sombrer dans un inconfort plus grand encore. Leur fréquence est par moment telle que la pression n'a pas le temps de retomber. Ajoutez à cela que les apparitions ne représentent aucune menace et seuls vos tympans vous supplieront de les sortir vite de là. Subsistent tout de même des éléments de mise en scène franchement réussis. Notamment lorsque les changements de décors se produisent hors champ, profitant de mouvement de caméra dont vous êtes à l'origine. Un cadreur ignorant tout du script endurant les élans de folie créative d'un réalisateur dément. Le résultat est étourdissant et, si vous êtes un tant soit peu masochiste, réjouissant. Ces passages synthétisent la stratégie mise en place pour vous rendre vulnérable et donc apeuré : la privation de vos repères dans l'espace. Vous êtes au cœur de cette machine de torture psychologique et la seule option qui vous est proposée si vous désirez en savoir davantage sur l'histoire est d'avancer dans ce dédale vivant, en mutation constante, et de subir.

Le scénario donc, est approprié à l'expérience malgré la symbolique lourde qui appesantit son propos. Son déroulé en revanche pose problème. Les informations vous sont données au compte-gouttes et si certaines se trouvent immanquablement sur votre route ou sont signalées par un marquage sonore, la majorité est dissimulée derrière les très nombreuses portes de placards et dans leurs innombrables tiroirs. J'ai la forte impression d'avoir observé les trois modèles de meubles représentés dans le jeu sous tous les angles et, avec un petit talent de menuisier Ikea, je vous les fais sur commande les yeux fermés. Voilà, à mon sens, l'une des anomalies majeures du jeu pour qui tenterait l'aventure à la manette, comme ce fut mon cas sur PS4. En soi, dans la pratique, au-delà de l'aspect atrocement répétitif de l'entreprise, son exécution est terriblement laborieuse manette en main dès que plusieurs compartiments se trouvent être voisins. Et le temps qu'il vous faudra parfois accorder à essayer de faire preuve d'une précision extrême et d'une patience sans faille pour aboutir à l'ouverture, en apothéose, d'un tiroir ne se justifie en rien par la maigre trouvaille. Les bribes de souvenirs, courriers et autres correspondances se trouvent, ça et là, éparpillées hasardeusement sans prendre en compte les possibles intentions du joueur, rien n'attirera son regard sur un tiroir plutôt qu'un autre. Dénicher tous les renseignements n'étant pas nécessaires à la compréhension globale de l'œuvre, à moins de courir après les trophées ou d'être atteint par un quelconque autre trouble, vous préférerez continuer votre route pour profiter de la générosité de la mise en scène à défaut de quoi le rythme en pâtira lourdement.

La durée de vie étant déjà courte, certains pourraient être tentés de l'allonger artificiellement par ce biais et admireraient alors un tout autre jeu, rien de moins que la meilleure simulation d'ouverture de meubles, car sans concurrence. Objectivement, il n'y a pas mieux pour se mettre en gaieté. En raccourcissant sa durée de vie nous en faisons grandir sa qualité et préservons par la même occasion "l'unité d'effet" (merci Mr Poe). Il s'agit de vivre l'expérience d'une traite, de s'immerger totalement et de n'en ressortir qu'une fois l'histoire close avec un souvenir dense et complet, jamais corrompu par la réalité.

Vécu de la sorte et dans ses meilleurs moments, Layers of fear est une odyssée cauchemardesque, sensoriellement riche et vertigineuse, dans les enchevêtrements des réminiscences et psychoses d'un esprit égaré. Et c'est beaucoup plus cool que de se réveiller un dimanche dans les rayons d'Ikea en redescente d'acide.

J0N
5
Écrit par

Créée

le 14 août 2023

Critique lue 8 fois

J0N

Écrit par

Critique lue 8 fois

D'autres avis sur Layers of Fear

Layers of Fear
JulieMartinho
2

Horriblement ennuyant !!

J'ai commencé à jouer à ce jeu après avoir vu les critiques qui affirmaient qu'il était formidable et qu'il faisait vraiment très peur. Wait.. WHAT ? Le principe du jeu est le suivant : se balader...

le 2 mars 2017

11 j'aime

Layers of Fear
HudsonSpike
4

Des couches à prévoir ?

J’ouvre les yeux, je me trouve dans un vestibule baigné d’une lumière jaunâtre. Tout est calme, l’armoire à ma droite est belle et faites d’un beau bois, tout comme la banquette à ma droite au...

le 2 mars 2016

8 j'aime

4

Layers of Fear
SimplySmackkk
9

L'Art n'est qu'illusions, le jeu aussi

En mal de frissons, j'avais été déçu par Outlast qui me semblait un jeu d’horreur un peu sommaire, grossier dans ses tentatives de rendre l’angoisse, limité dans ses mécaniques. La proposition...

le 11 avr. 2019

6 j'aime

3

Du même critique

A Plague Tale: Innocence
J0N
4

La pensée de groupe et le chauvinisme doivent y être pour beaucoup…

Je me suis senti bien seul lorsque j'ai cherché des échos à mon expérience. Sans qu'il soit un jeu que j'ai détesté parcourir, j'ai trouvé le gameplay absolument inintéressant et totalement archaïque...

Par

le 23 avr. 2024

Final Fantasy VII: Remake
J0N
2

Mais qu'on m'explique !

S'il vous plait, y aurait-il une âme charitable pour m'expliquer la situation ? Je suis sérieux, je ne comprend absolument pas les critiques élogieuses, ni même les plus mesurées. Pour moi, c'est...

Par

le 23 avr. 2024

Scream VI
J0N
3

Critique de Scream VI par J0N

De divertissement méta de petit malin conscient des dérives d'un cinéma de genre trop codifié, c'est devenu une parodie qui les incarne avec un cynisme absolu et une stupidité sans limites. Je pense...

Par

le 21 avr. 2024