Source tarie
J’ai en ce jour une révélation à vous faire : mon tout premier jeu vidéo fut Les Chevaliers de Baphomet III : Le Manuscrit de Voynich. Cris, fracas, déception, sanglots et incompréhension : non je...
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le 26 mai 2016
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J’ai en ce jour une révélation à vous faire : mon tout premier jeu vidéo fut Les Chevaliers de Baphomet III : Le Manuscrit de Voynich. Cris, fracas, déception, sanglots et incompréhension : non je n’ai point grandi avec Zelda et Mario. Je découvrais le jeu vidéo en 2004, dans un état de l’art assez avancé. Inconnue, donc, la nostalgie de ces titres mythiques pour tant de joueurs, nul, de même, mon attrait pour le rétro-gaming et les tas de pixels en vue isométrique. Qu’y puis-je ? Mon premier jeu avait des ombres dynamiques.
Forte de mon inculture, c’est donc un lien tout particulier qui me lie à la série des Chevaliers de Baphomet. Cette sorte de nostalgie douloureuse qui nous rappelle à nos premiers émois. Mon rétro-gaming à moi, en quelque sorte. Pour autant, je n’ai jamais pris l’initiative de faire tourner l’horloge à l’envers, et de faire face aux deux premiers opus qui avaient précédé ma possession d’un ordinateur. C'est sans doute ce manque d'intérêt pour l'archéologie vidéoludique qui me laisse aujourd'hui dubitative face à ce cinquième - et a priori dernier - chapitre des aventures de Georges Stobbart et de Nico Collard. En effet, celui-ci est marqué d'une volonté bien palpable de retour aux sources, sources qui sont pour moi eaux inconnues.
Cette démarche (que l'on devine aussi budgétaire, le titre ayant dû faire appel au financement participatif pour voir le jour) est sans doute honorable, née de la sensation que le titre a voulu aller au-delà de son potentiel et s'est ainsi dénaturé, pour laisser place à des décors en 3D plus pauvres et une atmosphère globalement plus sombre. Ce cinquième opus nous offre un retour à l'aspect cartoonesque et aux environnements regorgeant de détails savoureux. C'est aussi l'opportunité de retrouver aux détours d'une aventure haute en couleurs une foultitude de personnages ayant habité les premiers opus, et qu'un destin invraisemblable aura replacé sur notre chemin. Je peux donc facilement m'imaginer comment le nostalgique y trouvera son compte, et esquissera un sourire en coin en renouvelant ces rencontres vieilles de peut-être 20 ans. Seulement, pour moi qui ai rejoint le cortège en cours de route, la confusion est totale.
En effet, si le clin d'œil créé une complicité avec le joueur, sa sur-utilisation - comme c'est à mes yeux le cas ici - est contre-productive, car elle génère une indéniable lourdeur. On comprend la volonté d'adresser un dernier au revoir à ces personnages dans un titre qui est supposé représenter les adieux de la série, mais était-il nécessaire de les parsemer partout, au risque de distancier le joueur qui, comme moi, n'a pas joué aux deux premiers chapitres ? Car s'il est un choix que je regrette tout particulièrement, c'est celui d'une amnésie délibérée vis-à-vis des troisième et quatrième opus, comme si l'on cherchait à les renier - je ne me souviens en effet y avoir vu la moindre référence, au milieu de ce cortège de clins d'œil bien trop appuyés.
Pourtant, aussi loin qu'ils puissent être de l'esprit initial de la série, j'avais pourtant apprécié ces jeux, qui embrassaient la nouvelle génération de jeux d'aventure, et offraient des challenges variés : combinaisons improbables d'objets, mais aussi énigmes à bases de déplacements de caisses (facilement irritantes j'en conviens), de rondes de gardes ou de phases chronométrées. Ce n’était certes pas le Graal du gameplay, mais cela permettait au moins de varier le rythme du jeu. Retourné au point'n click pur et dur, La Malédiction du Serpent retrouve par définition toute la platitude des tableaux interactifs, et en ce sens souffre énormément de la comparaison avec la série des Runaway.
Univers graphiques similaires, ambiances proches, Les Chevaliers de Baphomet affichent peut-être un visage légèrement plus mature, mais le second degré inhérent aux Runaway vient vite balayer cet argument et prendre la main dans la compétition. Du second degré, La Malédiction du Serpent n'en est pourtant pas dépourvu, et on retrouve un certain nombre de traces de cet humour "méta", consistant à ironiser sur la fiction. Seulement, quand un autre titre s'est déjà distingué dans ce domaine, il est difficile de se vendre avec. Là où le troisième et le quatrième opus s'étaient clairement distingués de leur concurrence (l'humour, d'ailleurs, s'y épanouissait d'autant mieux qu'il contrastait avec une atmosphère plus lourde), le cinquième revient se mouler si parfaitement dans le carcan qu'il perd toute aspérité susceptible de vraiment accrocher l'intérêt.
C'est d'ailleurs essentiellement la première partie du jeu qui souffre de cette platitude, car on y retrouve surtout Paris, terrain de jeu déjà confirmé de Georges et Nico - l'ambiance paraît ainsi répétitive. La deuxième partie, qui nous emmène dans des paysages plus lointains et moins explorés par la série, présente au moins quelque attrait pour l'œil, et des relents de véritable aventure et plus seulement d'enquête à petit budget. Cela permet, dans une certaine mesure, de redresser la barre et de rappeler l'intérêt de la série, qui réside en bonne partie dans la découverte de contrées exotiques.
Cependant les enjeux scénaristiques, aussi grandiloquents qu'ils soient (sauver le monde de la destruction & cie, bref, the usual), ne font ni chaud ni froid tant leur modèle est usé jusqu'à la corde, et si on appréciera la petite leçon d'histoire sur les Cathares et les Gnostiques au passage, l'emballage fantastique qui l'entoure rend difficile d'en tirer des leçons. La trame scénaristique est ainsi tout à fait attendue, et ce ne sont pas les personnages monomaniaques, définis par un trait unique poussé à l'absurde, qui vont redonner de la profondeur à l'ensemble. Je comprends bien que cela participe à la personnalité et à l'humour de la franchise, mais je pense que le potentiel initial était depuis longtemps épuisé.
Ajoutons à cela quelques cinématiques ouvertement ridicules, qui m'auraient sans doute fait rire si j'avais su rentrer dans l'ambiance, mais qui m'ont simplement procuré un sentiment de gêne indélébile, et l'arrière-goût qu'il me reste est définitivement celui d'une déception. Une fois encore, j'ai bien conscience que ma non-connaissance des deux premiers opus est certainement critique dans mon ressenti vis-à-vis du jeu. Je regrette simplement que la nécessité d'être passé par un jeu de dix-huit ans l'aîné de celui-ci pour pleinement l'apprécier se fasse sentir avec tant de netteté. Les troisième et quatrième chapitres ne m'avaient absolument pas procuré la sensation de devoir avoir joué à leurs prédécesseurs pour les savourer, et comme ils sont ici parfaitement ignorés, j'ai tout bonnement l'impression qu'ils appartiennent à une franchise différente. Et, à la réflexion, cela aurait peut-être été plus juste, en effet, d'en faire des jeux à part.
En somme, La Malédiction du Serpent n'est pas un mauvais jeu ; juste très classique. Non seulement il n'apporte rien au genre, mais il défait tout ce que la série avait réussi à apporter (encore une fois, je peux comprendre cette démarche, mais de là à faire comme si cela n'avait jamais existé...). C'est d'ailleurs ce dernier point qui me laisse penser qu'il y a une volonté sincère de la part du créateur au-delà de la problématique financière, et me permet donc d'émettre quelques plaintes. N'y avait-il donc vraiment plus rien à creuser dans l'univers du point'n click ?
Retourner aux sources, pourquoi pas, mais c’est de peu d’intérêt si la source est tarie. C’est une eau stagnante et éventée qui nous est servie ici, et si elle désaltère bel et bien, sa saveur laisse à désirer. On eut voulu un peu plus de fraîcheur, plutôt qu’une simple exhumation.
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le 26 mai 2016
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