La vie est toujours étrange. Et toujours âpre

Life is Strange n’est plus à présenter. Alternative au studio Telltale, les petits français de chez Dontnod ont réalisé un bijou du jeu narratif, au travers d’un duo devenu culte, menant une enquête aux moult rebondissements : c’était une expérience unique, émotive, déchirante, et l’une de mes aventures vidéoludiques favorites. Les critiques ne se sont point fourvoyées, c’est pourquoi après un tel succès, outre un spin-off auquel je n’ai pas (encore ?) joué, une suite était en chantier.
Une des grandes qualités de ce deuxième opus est de s’éloigner de son prédécesseur. Souvent une suite tente de capitaliser sur le succès du premier et l’imite copieusement, or ici seul le gameplay « point and click » demeure, avec un style similaire malgré quelques « features » amputées pour des raisons scénaristiques. Il ne s’agit pas seulement d’une histoire différente, elle est aussi racontée de manière très distincte. Si l’introduction nous plonge dans un milieu familier, avec un personnage de Lyla sous-exploitée (dommage car des amitiés hommes/femmes sans ambiguïté sont encore trop rares dans la fiction, surtout que cette fille sous-exploitée), le voyage débute. Chaque épisode nous emmène dans une région différente de l’Amérique profonde, ensemble d’arcs narratifs liés par un objectif final. Un tel choix constitue une prise de risque mais prouve une évolution et une adaptation en fonction de la situation. Il faut s’habituer au fait que, hormis le duo principal, des personnages différents seront impliqués dans chaque épisode. On s’en attache d’autant plus aux épreuves que subissent Sean et Daniel, mais certaines figures auraient gagné à avoir un plus grand temps d’apparition…
L’autre prise de risque concerne « l’inversion des rôles ». Dans le premier jeu, c’est Max qu’on incarne, celle qui a les pouvoirs, avec lesquels nous devons protéger notre partenaire Chloé. Ici nous incarnons Sean et nous devons protéger Daniel, trop jeune pour maîtriser correctement ses pouvoirs. Une telle approche modifie drastiquement le gameplay, puisque le contrôle de cette « indicible force » ne se réalise que de façon indirecte. L’immersion n’en demeure pas moins très poussée.
C’est peut-être davantage le ton et le rythme que l’approche qui impute un peu l’histoire. Life is Strange fut une telle expérience que la reproduire était presque impossible. Aussi le jeu patine par moments, aussi accuse-t-il quelques baisses de régime. Il m’a fallu jouer à l’épisode 3 avec sa fin dantesque pour y accrocher totalement. Bien sûr qu’il y a des moments poignants, des choix cornéliens, des passages intenses, toutefois ils sont plus dispersés et souffrent inévitablement de quelque comparaison.
Cela dit, je me demande si ce n’est pas volontaire. Le parcours de Sean et Daniel est déjà jalonné de maints obstacles. Dans leur voyage du nord au sud, des mois durant, d’une âpreté toute ostensible, peut-être méritaient-ils aussi des instants de repos, de réflexion, et surtout de contemplation. Que Sean, notre héros, soit un dessinateur en herbe n’est pas anodin : Dontnod semble avoir un faible pour les artistes, sculpteurs de notre réalité, pourtant rejetés dans notre société actuelle pour j’ignore quelle raison. Et sa passion se prête à merveille au style graphique « aquarelle » du jeu, cette fois-ci mieux exploité, notamment au travers des bois et déserts dispersés le long de l’ouest américain.
Ce Life is Strange 2 s’avère aussi plus riches en messages. Une histoire par épisode aide dès lors à en transmettre des distincts. Bien sûr, sans grande surprise, le néo-conservatisme qui gangrène les actuels États-Unis constitue la toile de fond de cet opus. Sean et Daniel, eux jeunes américains d’origine mexicaine, subiront inévitablement le racisme de quelques individus dangereux et peu scrupuleux, dans leur cheminement inverse qu’à l’accoutumée. Manichéisme n’est cependant pas de vigueur car pour chaque mauvaise rencontre, ils croiseront quelqu’un de meilleur sur leur route. Ainsi se dévoilent le véritable visage de l’humanité : teintée de gris, peuplée de personnes naturellement généreuses et empathiques, mais aussi remplie d’indésirables bouffis de haine. L’entraide familiale, la confiance aux autres, le fanatisme religieux, l’intolérance et l’exploitation se trouvent au centre du récit, à un moment ou à un autre. En outre, les décision liées à ces thématiques possèdent un impact bien plus significatif sur le choix final en lui-même :

Je pense avoir eu la meilleure fin possible. Lorsque je me retrouve à la frontière, j’ai demandé à Daniel d’utiliser ses pouvoirs pour forcer le barrage. Il a accepté et les deux frères coulent désormais des jours paisibles au Mexique. Que se serait-il passé si je n’avais pas fait confiance à Sean ? Sûrement pire…


Loin d’égaler le premier jeu, Life is Strange n’en demeure pas moins excellent, truffé de bonnes idées de gameplay et de mise en scène. Une histoire complète qui exploite à fond le concept narratif et qui montre que ce genre populaire de cette décennie peut continuer de perdurer.
Saidor
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le 23 déc. 2019

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Saidor

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