Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
Little Nightmares, premier du nom, était un bon petit jeu inspiré du chef d’œuvre Inside, avec son mix de plateforme, d’énigme et d’infiltration pas inédit, certes, mais tout de même stimulant par sa forme et son esprit de conte horrifique. Notre personnage miniature s’y voyait poursuivi par d’affreux ogres recouverts de la peau tannée de leurs victimes, conviant un arrière-monde morbide pétri de nos peurs enfantines (peurs des monstres, peur qu’ils nous dévorent).
Reprenant cette formule tout en étendant son imaginaire, Little Nightmares 2 a les atours de la suite « classique » : ses environnements sont plus grands, plus variés, plus joliment décorés, cochant la case « plus de plus » d’une licence qui a profité de son succès pour monter en puissance. Mais son plus net progrès tient selon nous à ses idées ludiques plus claires : chacun des cinq chapitres qui composent l’aventure se concentre sur une ou deux situations maximum. L’excellent chapitre 2, par exemple, décline un inoubliable « Un, deux, trois, soleil » avec dans le rôle de la meneuse une institutrice de cauchemar capable d’étirer son cou pour nous chercher, quand le chapitre 3 reprend ce jeu en inversant les rôles, faisant de nous la proie de mannequins dégingandés fonçant sur nous dès qu’on ne les éclaire plus de notre lampe-torche. Ici comme ailleurs, cette structure en « un chapitre = une idée » marque fortement la mémoire : on se souvient d’autant mieux du voyage que les situations qui le composent sont mieux structurées.
Une autre qualité de cette suite tient à son level-design, qui exploite une nouvelle fois notre petite taille pour nous faire passer de trous de souris en étagères, de dessous de tables en conduites d’aérations, et nous faire circuler de façon stimulante dans le décor. À ce titre, le chapitre 4 est le plus astucieux avec son système de télé-portails à allumer de la bonne façon pour progresser dans un chaos d’appartements croulant les uns sur les autres, l’occasion d’une plateforme-énigme classique mais distrayante, sur fond d’arrière-plans magnifiquement sinistres.
Sur le plan visuel, Little Nightmare 2 impressionne par ses animations artisanales, notamment lors des chasses de fin de chapitre où le boss du moment déboule sur nos talons pour une ultime charge, à la vitesse parfaitement calée sur celle notre sprint. Spectaculaire dans ces fins de chapitre, l’animation fascine aussi dans les temps les plus calmes, où nos Némésis vaquent encore à leur occupations avant de nous avoir repéré, nous laissant le « loisir » de les observer de loin. C’est alors tout un art de la mise en scène qui émerge des détails (visuels, sonores), auxquels on se retrouve suspendu comme à autant de signaux d’un danger imminent. La scène qui l’illustre le mieux est celle de la « Maîtresse », découverte de dos et de loin en train de lacérer son tableau de violents coups de craies, le corps penché de côté sous le poids d’une énorme tête. À peine entame-t-on la traversée de la pièce qu’elle cesse brutalement d’écrire, pose son bâtonnet et se retourne pour changer lentement la page de son manuel, son visage encore dans l’ombre.
À cet instant à couper le souffle, comme à plusieurs autres (la découverte du Tanneur, celles des mannequins de l’hôpital, la traque du Thin Man…), le jeu excelle à créer l’angoisse en activant toutes ses ficelles en même temps : l’animation saccadée de ses ogres, leur apparence horrible et morbide, ou encore cette bande-son d’une grande netteté, toute en grincements de parquet, en pas qui claquent et en cuirs qui crissent, perçant le silence ambiant comme autant d’échos d’une présence menaçante. Ce qui restera de la série « Little Nightmares », c’est cela, ces quelques grands moments superbement mis en scènes, tissés de perceptions visuelles et sonores très précises, où les monstres jouent pour nous un spectacle à l’équilibre précaire, voué à être rompu, qu’il nous faut risquer de troubler pour les fuir telle une souris tentant de se faufiler derrière un chat au sommeil fragile.
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