Une suite qui menace de s’engouffrer à chaque instant, comme tant d’autres avant elle, dans une surenchère boulimique de contenu qui tend à diluer son authenticité qu’il s’agisse de son Traversal survitaminé, ses combats simplifiés ou son scénario éparpillé.


L’AirSuit permet certes de traverser aisément les étendues aquatiques qui séparent les différents quartiers de New York mais elle donne plus souvent l’impression d’incarner Batman (voir carrément Superman) en s’éloignant bien trop de la fantaisie des acrobaties aériennes des tisseurs de toile.


Les nouvelles capacités octroyées aux Araignées sont plaisantes à utiliser mais elles facilitent bien trop les affrontements, déjà pas forcément exigeants à la base, en vous permettant d’user et d’abuser des secondes d’invulnérabilité associées à ses spectaculaires animations (un défaut de plus en plus récurent depuis que tous les AAA essayent de singer les Attaques Runiques de God Of War).


Enfin, la promesse du scénario était alléchante de mettre en scène deux protagonistes intrépides sur un pied d’égalité, la mise en scène tire d’ailleurs pleinement parti de cette entraide avec une réelle virtuosité durant de nombreuses séquences impressionnantes ; malheureusement, sur le long terme, l’intrigue véhicule clairement le sentiment de deux intrigues séparées et davantage qu’une complémentarité entre ses hommes araignées, le joueur est plutôt en présence d’une vraie disparité dans l’expérience proposée avec une cassure régulière dans son immersion en vous obligeant de switcher de l’un à l’autre dans les missions proposées, y compris durant l’exploration de l’Open World ; GTA V proposait une alternance bien plus harmonieuse entre ses trois protagonistes, dix ans auparavant, et en dépit de l’excellence de certaines pirouettes périlleuses durant les cinématiques, Spider-Man 2 est bien en peine de concrétiser cette association super-héroïque dans le quotidien du joueur, à tel point qu’il serait possible de remettre l’absence d’un mode coopératif comme une question pertinente vis-à-vis du propos du titre.


Et puis, il faut également parler de l’éléphant au milieu de la pièce ; l’élément discordant qui va attirer à lui tous les débats stériles des années 2020 mais il m’est difficile de ne pas le mentionner à nouveau tant son omniprésence devient finalement plus une entrave gênante à la progression de l’intrigue qu’une réelle addition bienvenue au casting de ce New York fantasmé.


Cet intrus indésirable, c’est nul autre que Miles Morales. Alors oui Miles n’est pas un mauvais bougre mais il y a juste un seul problème : les scénaristes n’ont rien d’intéressant à raconter à son sujet et il ne faut pas gratter bien longtemps pour prendre conscience du manque de consistance de ce personnage, dès lors que la question de la diversité raciale a été écartée. Passe encore que le personnage soit caractérisé par des tourments adolescents assez simplistes d’entrée de jeu (une lettre à écrire pour une université, un manque de confiance pour aller draguer la fille qui lui fait pourtant clairement les yeux doux à chaque cinématique), l’intrigue se tire immédiatement une balle dans le pied en dédaignant maladroitement le fardeau de la double identité pour ce super-héros : tout son entourage est déjà au courant de ses acrobaties invraisemblables et il n’a ainsi jamais le besoin de se justifier, plus que nécessaire, pour aller secourir la veuve et l’orphelin. Et histoire de rappeler que c’est un garçon serviable et toujours à l’écoute de sa communauté, son intrigue associée met encore en scène un nombrilisme culturel assez effarant autour de Harlem alors que Spider-Man est censé venir en aide à tous sans distinction (et sans discrimination, j’aurais envie de dire ^^). Pire, Spider-Man 2 néglige même son propre récit en daignant poursuivre les péripéties amorcées dans l’extension Miles Morales ; l’intrigue ne mentionne ainsi que très peu les évènements dramatiques de cette extension, déjà pas très folichonne en son temps mais qui avait au moins le mérite d’endurcir son personnage face à l’adversité. Bref, il m’a été difficile de prendre ce personnage en affection d’autant que même ses pouvoirs semblent lui être servis sur un plateau d’argent ; je n’irais pas jusqu’à l’appeler un Mary Sue mais alors que l’intrigue parvenait à un moment à illustrer une entraide touchante entre les deux super-héros, Spider-Man 2 amorce finalement un passage de flambeau extrêmement forcé et quelque peu incohérent avec la thématique de ses super-héros (à mille lieues des excellents films SpiderVerse dont la comparaison avec ce Miles Morales Made By Insomniac lui est clairement défavorable). Une fois encore, l’immersion s’en trouve malmenée.


Harry, un ami qui ne vous voulait pas du bien

Il y a pourtant bien quelque chose de très positif à mentionner à l’égard de ce second volet et il se résume en ces deux mots : Peter Symbiote. La tenue noire emblématique de Spider-Man fait une entrée fracassante dans le récit mais fort heureusement, elle n’était pas seulement un enrobage marketing pour attirer le plus grand nombre de fans ; l’intrigue embrasse pleinement la thématique du symbiote en l’associant, comme il se doit, avec l’addiction d’un drogué. Pas d’Emo Peter à l’horizon ; mais une tenue qui exalte son porteur, tout comme elle ravive sa colère et ses pensées refoulées ; Peter revient exténué chez lui en accusant le contre-coup de la drogue et s’écroule comme une merde sur son lit tandis qu’il s’énerve immédiatement dès que ses proches essaient de le sensibiliser sur son addiction alors qu’il persiste à se complaire dans le déni ; un refus qui ne fera qu’accroître sa culpabilité lorsqu’il sera enfin sevré : bref, ce n’est là qu’un tiers du récit global de ce Spider-Man 2 mais c’est clairement sa plus belle réussite avec un Peter toujours aussi touchant dans ses doutes, sa difficulté de concilier sa vie personnelle et ses responsabilités super-héroïques (pas vrai, Miles ? ^^) et sa relation toujours prudente avec MJ alors qu’il ne lui reste que quelques pas à franchir pour consolider leur vie de couple. Bref, les scénaristes ne souhaitaient certainement pas nous rappeler que Spider-Man c’était Peter Parker à la base mais par le fossé qu’ils ont eux-mêmes crées entre ces deux protagonistes, le débat sera loin d’être enterré d’ici la venue d’un troisième, et inévitable, opus.


Spider-Man 2 est pourtant un jeu indéniablement généreux mais par la profusion de son contenu, il devient une expérience en dents de scie à l’image du Spider-Man 3 de Sam Raimi où les fulgurances créatives côtoyaient d'évidentes facilités scénaristiques.


Trop d’antagonistes à mettre en scène, là où le premier opus illustrait une déchéance progressive d’Octavius (un drame suggéré d’entrée de jeu mais dont on redoutait pourtant la concrétisation), le basculement d’Harry Osborn lorgne lui vers le côté obscur de l’écriture expéditive avec une scène tellement forcée qu’elle prête à sourire tandis que Kraven demeure désespérément unilatéral jusqu’à ce qu’il daigne enfin dégager du devant de la scène.


Trop de mini-jeux indigestes que le jeu veut absolument intégrer à chacune de ses missions principales ou secondaires alors qu’elles n’impliquent pas émotionnellement le joueur et qu’elles sont souvent risibles dans l’interactivité proposée.


Et à côté de cette surenchère en cache misère créatif, le jeu persiste pourtant à réitérer les mêmes défauts que son prédécesseur, ceux là mêmes qui auraient dû être son angle d’attaque principal pour améliorer cette suite.


Les séquences avec MJ avaient saoulé tout le monde dans le premier opus ? Rebelote et c’est encore pire cette fois ci avec des ennemis qui en sont indirectement tournés en ridicule.


L’infiltration était déjà rudimentaire ? Tenez, voilà un gadget cheaté qui va complètement les simplifier et les rendre encore plus optionnelles.


L’exploration de l’Open World ne sortait jamais vraiment des sentiers battus ? Pourquoi changer son fusil d’épaule ? Avec les mêmes activités criminelles recyclées depuis le premier volet…


Il y a beaucoup à redire donc et c’est bien dommage car il y a aussi beaucoup de belles choses à valoriser qu’il s’agisse du sentiment toujours grisant d’arpenter New York sans nécessité des voyages rapides, d’une mise en scène virevoltante qui n’a pas à rougir face à l’inventivité des derniers films d’animation, d’une emphase bienvenue sur l’aide aux civils avec un soutien (vraiment RolePlay pour le coup) des victimes à emmener à l’hôpital, des punchlines toujours bienvenues de J.Jonah Jameson qui évite pourtant habilement la caricature (vous pouvez zapper directement dans les options l’autre intervenante par radio, à nouveau issue de Miles Morales, qui semble considérer Twitter comme sa bible existentielle), des blagues toujours hilarantes de Spidey (mais pas de Miles à nouveau mais il faut peut être davantage remercier Donald Reignoux pour les prises de liberté de la version française), de certains combats de boss réussis ou même encore une surprenante quête secondaire qui parvient à faire venir la petite larme par un choix de musique approprié et une touchante sobriété, là où ses semblables s’apparentent trop souvent à une liste de courses à accomplir.


Bref, de nombreuses réussites qui émaillent une expérience hélas perfectible dans ses fondations ; un titre qu’on a autant envie de célébrer pour sa générosité décomplexée que réprimander pour son égarement créatif, de plus en plus prononcé au fur et à mesure que l’histoire se rapproche de sa conclusion, bien trop timorée au demeurant.

Le dénouement de l’intrigue accumule même des grossièretés assez étonnantes entre une relance archi forcée des enjeux pour l’inévitable troisième opus et la mise en retrait de Peter avec une complaisance qui trahit purement et simplement le dévouement du personnage envers sa responsabilité de super-héros. Mais on a bien compris qu’il faut faire le ménage pour la nouvelle génération, même s’il est permis de douter de la véritable motivation d’une telle décision créative. ^^


Quant à la gestion du symbiote, il est franchement regrettable que le jeu use d'une pirouette narrative aussi grossière pour octroyer à Peter les pouvoirs de sa tenue sans la contrepartie associée; non seulement, cela réduit à néant l'évolution du personnage de s'émanciper de ce dopant addictif mais elle va également à l'encontre du message principal du jeu qui voudrait que l'association des deux héros est bien supérieure aux prouesses individuelles de Peter. Une approche que la mise en scène s'efforcera de rappeler lors du combat final mais qui aurait gagné à être bien plus concrétisé dans le gameplay à partir de ce stade; c'est un peu à ce genre de signes qu'on voit ou non la marque des grands jeux.

Un mot pour finir sur la technique du titre ; point sur lequel je ne m’attarde habituellement jamais dans mes critiques ; j’avoue néanmoins avoir été quelque peu déçu de la composante graphique de cette suite dans la mesure où il s’agissait véritablement d’une exclusivité Playstation 5, sans la contrainte et l’entrave de devoir également proposer une version convaincante sur la console précédente comme Ragnarok ou Forbidden West. Le jeu est certes d’une fluidité exemplaire et nous balance volontiers les effets de particules dont la console semble imposer l’inclusion abondante dans tous ses titres emblématiques mais il est étonnant de constater à quel point New York ne diffère pas grandement de la version Playstation 4, particulièrement dans sa version nocturne parfois assez grossière dans ses éclairages. L’absence d’un véritable cycle temporel et/ou météorologique pourrait également être questionnée à ce stade ; l’atmosphère de la journée étant toujours déterminée selon les nécessités narratives et la tonalité souhaitée pour une scène. Enfin, certains visages tirent franchement la gueule avec un relooking assez foireux de Peter / Tom Holland et de MJ / Uncanny Valley tandis que plusieurs bugs s’avèrent assez surprenants dans le cadre d’une exclusivité Sony et son polish généralement imparable en la matière (les habitants fantômes sont également présents dans les rues de New York, semble-il). Bref, pas de quoi pinailler outre mesure mais j’avoue que l’écart entre les générations de console demeure quand même à être encore observé vu le prix autrefois astronomique de la petite dernière de Sony, au-delà de la sacro-sainte fluidité, fort appropriée pour les aventures de l’Araignée Humaine au demeurant.


Je voulais pas que tu t'inquiètes...

Interrogé dans le cadre de la MasterClass Jeux Vidéos au Parc de la Villette, le Directeur Artistique David Hego résumait la réussite de la trilogie des Arkham par la patience de RockSteady d’avoir progressivement étendu son terrain de jeu des couloirs tortueux de l’Asile d’Arkham jusqu’aux rues imposantes de Gotham City en prenant le temps de grandir et de gagner progressivement en maturité créative ; c’est exactement l’humilité qui fait ici défaut à Insomniac qui donne l’impression de vouloir concrétiser Spider-Man 2 et Spider-man 3 en même temps tout en incluant aussi Miles Morales 2 tant qu’à faire et garder la porte ouverte pour les inévitables suites à venir. Spider-Man premier du nom était un jeu centré sur le RolePlay de son personnage et en dépit de son classicisme certain, il avait parfaitement compris le tiraillement de son héros maladroit, malmené entre ses difficultés personnelles et ses obligations envers la ville de New York jusqu’à un final bien plus chargé en contradictions que ce Spider-Man 2 qui voudrait nous faire croire qu’il est possible de contenter tout le monde, à tous les niveaux, sans jamais en payer le prix.


Malheureusement, ce n’est pas comme ça que ça marche la vie et au-delà d’une indigestion d’acrobaties héroïques, c’est peut-être bien votre suspension d’incrédulité qui sera la plus malmenée en définitive.


Dommage car je pense honnêtement que le plus dur avait déjà été fait dans le cadre du premier volet mais à trop vouloir surcharger les enjeux gravitant autour de ses deux personnages, la toile finit inévitablement par céder.

Leon9000

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