Premier jeu de sa saga et de son créateur légendaire qu’est Hideo Kojima, Metal Gear débarque en 1987 sur MSX 2. Si le Joueur du Grenier en a taillé la réputation en s’attaquant au plus faible, la version NES bâclée mais aussi la plus connue, ce premier épisode a de sérieuses qualités à faire valoir si je devais en croire un autre vidéo maker, voyons ce qu’il en est. Pour information, j’ai fait le jeu sur la version inclus dans Metal Gear Solid 3 Subsistence, fidèle à la version MSX 2, certainement pas à la piteuse version NES. La critique étant longue, je vous propose l’écoute de l’emblématique Theme of Tara.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★☆☆☆
Le principe d’infiltration plutôt que d’action pure, très original pour l’époque, provient en réalité d’une limite technique qui empêchait beaucoup de mouvements à l’écran, mais le jeu a tellement été repensé autour de cela que le mélange infiltration / action prendra très bien dès ce premier épisode. La vue de dessus permet une excellente lisibilité de l’action combinée à la possibilité très astucieuse de voir avec les jumelles les tableaux d’à côté pour ne jamais se faire surprendre bêtement. Les points de spawn sont assez intelligemment placés et peuvent varier selon où on apparaît pour ne jamais être piégeux injustement.
Il y a un certain dynamisme des mouvements ennemis avec des soldats qui peuvent apparaître à l’un des bords de l’écran ou en ressortir d’eux-mêmes, leur IA alors qu’ils ne nous ont pas repéré fait qu’ils peuvent s’endormir, abandonner leur poste à force d’attendre la relève… L’aspect labyrinthique du jeu est assez bien pensé et logique la plupart du temps enchaînant les conseils que l’on peut lire, l’emplacement des items que l’on peut récupérer… pour nous guider subtilement et efficacement sur la marche à suivre à l’exception de quelques faux pas à mon sens, mention spéciale à l’unique stratégie viable contre le Metal Gear vraiment perchée et mal indiquée.
On retrouve beaucoup de situations de jeu originales avec des pièces remplies de gaz toxique dans lesquelles il faut s’équiper d’un masque, des sols électrifiés dont la centrale doit être dégommée par un missile contrôlé à distance, des caméras de surveillance qui peuvent être dupées en se tenant immobile dans un carton, des faisceaux lasers de détection mis en évidence sous la fumée ou avec un filtre visuel… et oui toutes ces idées si emblématiques de la saga étaient toutes présentes dès ce premier épisode tout en étant très cohérentes, en dehors peut-être des choix d’explosifs un peu arbitraires pour détruire les machines.
Un petit aspect addictif se retrouve dans l’augmentation de notre classe au fur et à mesure des otages libérés, nous octroyant plus de points de vie et plus de capacité de charge. Causer la mort accidentelle d’un otage est très punitif pour ce système mais à part pour une situation spécifique vers la fin, il faut vraiment le faire exprès et de toute façon la quantité astronomique de checkpoints permet de facilement rattraper le coup. Quelques astuces à la limite du bug viennent un peu déséquilibrer le jeu, comme les items consommables qui respawn indéfiniment à certains endroits où on peut les collecter, mais à nous de choisir d’en abuser ou non.
La grosse limite au potentiel ludique du titre c’est l’ergonomie qui est très mise à mal par la restriction d’équiper un item pour l’utiliser et jamais plus d’un en même temps. Déjà, tous ces passages dans le menu ralentissent le rythme du jeu, mais ça encore pourquoi pas ? L’exemple que prenait le JDG pour démontrer comment ça s’avère catastrophique dans la pratique c’est qu’on doive enlever un masque à gaz dans une pièce toxique pour sortir les cartes une par une pour les essayer sur la porte de sortie parce qu’en plus les n° de carte associés aux portes ne sont pas explicites, ni même logiques. C’est une erreur stupide !
Comme c’est un problème qui peut être compensé par un peu de vigilance et un bon stock de rations dans les zones dangereuses, ce n’est pas si dramatique en réalité. Mais c’est vrai qu’il aurait simplement fallu faire en sorte que les cartes permettent d’accéder aux portes automatiquement une fois obtenues, ça serait un confort génial sans apporter aucun soucis d’équilibrage par rapport à la version originale, aucune limitation technique ne peut le justifier. L’autre soucis, c’est que ça ne dure que 3 heures, mais en même temps c’est tellement bien rythmé et bourré d’ambitions que je n’ai pas trop envie de descendre le jeu pour ça. Et puis quand on en redemande c’est toujours bon signe, et je n’en ai pas fini sur les compliments.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
S’inscrivant dans les normes techniques de son époque et de son support, le niveau de détails visuels est très honnête et surtout complété par des ambitions et une maîtrise auxquels je ne m’attendais pas nécessairement. La réalisation de Metal Gear est d’ailleurs assez soignée avec des fumées de deux tailles de sprite s’alternant pour représenter un air empoisonné, un clignotement de texture pour représenter l’électricité… c’est tout un ensemble d’astuces visuelles qui sont déployées pour assurer toute la lisibilité de l’action et des situations de jeu sans fausse note.
Un certain sens de la mise en scène se retrouve dans les situations de jeu avec saut en parachute, combat contre un hélicoptère, traversée sous un bombardement… c’est bien sûr assez sobre, fait avec les moyens du bord j’ai presque envie de dire, mais honnêtement ça marche plutôt bien à mon sens. Je m’attendais vraiment à une série de pièces carrées avec une succession de soldats patrouillant entre des caisses, c’est beaucoup plus ambitieux que ça et peu de jeux de l’époque l’égalait dans ce même registre.
Le jeu de couleur dominante dans certaines pièces insuffle aussi bien l’identité visuelle appréciable que le repère pour bien s’orienter entre les zones, rien à redire. On a même la possibilité de les changer avec certains items, encore une fois le soucis du détail est réel. Les décors ont d’ailleurs plein de petits éléments bien reconnaissables en complément de ce jeu de couleurs, les motifs différents sur les dalles du sol, les fissures plus ou moins marquées sur les murs, la disposition asymétrique de véhicules stationnés…
Le design de Snake, inspiré du protagoniste du film Escape from New York, fait assez badass et ça colle assez bien à l’ambiance de ce Metal Gear même si les modèles en jeu restent peu détaillés, le portrait de Snake dans le codec est assez bien fichu avec ses cheveux en bataille, ses yeux bleus… mais c’est surtout le design des boss qui se démarque avec déjà l’idée de tenues ou de posture marquant leur excentricité et / ou leur démesure, c’est aussi ça qui les rend mémorables et fait l’ADN de la saga, encore une fois on en avait les prémices dès ce premier épisode.
Sur le plan sonore, l’OST composée, entres autres, par Motoaki Furukawa, qui signera à la même époque les BO de Snatcher et de Sunset Riders pour Konami, comprend des thèmes à la mélodie assez mémorable et avec des phases bien distinctes, collant très bien avec les situations de jeu auxquelles ils s’adaptent. Il n’y a que quelques mélodies un peu courtes et trop répétées, et encore c’est vraiment pour reprocher quelque-chose. On retrouve aussi un ensemble de bruitages devenus cultes comme lorsque l’on se fait repérer, simple mais mythique. Jusqu’ici le titre est très réussi, mais il y a bien un domaine dans lequel ça périclite un peu.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆
Le scénario démarre immédiatement sur l’objectif de notre mission pour une entrée dans l’action, ou plutôt dans l’infiltration, de plein pied, mais le scénario prend tout de même la forme d’une petite quantité de dialogues à déclencher par le codec, soit par radio. Il y a donc quand même matière à juger et pas toujours en bien malheureusement. On a plusieurs personnages qui ne se démarquent quasiment en rien, des dialogues un peu inutiles pour justifier que le personnage ne peut pas aider… Il aurait presque fallu plus se concentrer sur deux personnages au codec, Big Boss et Schneider par exemple, afin de mieux les développer et de marquer leur différence.
Il y a tout de même des choses positives à en ressortir bien entendu : les messages de didacticiel sont justifiés scénaristiquement, le quatrième mur est brisé dès ce premier épisode avec Big Boss nous ordonnant d’éteindre notre console… mais ce n’est pas l’essentiel pour moi. Hideo Kojima en est bien le scénariste mais il avait vraiment plus d’ambitions sur les dimensions ludiques, techniques et esthétiques du titre plutôt que sur ces questions narratives et scénaristiques que je trouve à la fois simplistes et assez moyennes.
Nous récompensant explicitement que pour libérer des otages et tuer des antagonistes clairement identifiés, les actions en jeu traduisent déjà un état d’esprit bien différent de l’ode à la guerre mais le propos n’est pas encore très appuyé. Je n’ai pas trop adhéré au manque de personnalité de Snake qui n’est pourtant pas tout à fait muet au point d’en faire une sorte d’avatar parfaitement neutre, une démarche narrative qui se tiendrait. Les quelques fois où il s’exprimera, ça sera plus pour montrer une espèce d’insouciance presque immature, pas du tout en phase avec ce qui sera fait du personnage.
Le twist final offre un second niveau de lecture intéressant mais n’est peut-être pas si bien élaboré que ça :
Si l’idée que notre supérieur nous aidant depuis le début s’avère être le grand antagoniste de l’histoire est tout à fait intéressante, ses motivations restent très floues si on se contente des informations apportées par cet épisode. Quel intérêt pouvait-il avoir à nous aider toute une partie de l’aventure ? On ne lui permet pas d’apprendre l’identité d’un traître dans ses rangs, on n’abat aucun de ses ennemis… il nous dit juste qu’il contait nous utiliser pour berner le reste du monde, je trouve ça un peu titré par les cheveux. J’ai presque le sentiment que cette idée est venue en toute fin de développement sans que ça n’ait beaucoup de sens.
En plus, le twist post-générique fait vraiment très série B pour le coup et il aurait vraiment fallu assurer un second degré pleinement assumé tout du long pour que ça marche, ce qui n’est pas le cas ici, coincé entre le nanard et le scénario d’espionnage, sans jamais bien s’inscrire dans un genre ou dans l’autre, contrairement à la suite de la saga. On est bien loin du ratage complet et si on regarde ce qui se faisait à la même époque et sur le même support, il y a un minimum d’effort fourni mais on est encore pour moi à un stade brouillon, contrairement aux autres aspects du titre.
CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆
Metal Gear n’est pas encore tout à fait maîtrisé, manque d’intérêt scénaristique réel, peut un peu frustrer le néophyte impatient, mais pour un premier épisode d’une aussi grande saga, j’ai été impressionné par toutes ses bonnes idées, ses mécaniques innovantes, sa réalisation ambitieuse, ses graphismes soignés, son rythme effréné… Il est très intéressant à faire pour tout fan de la saga voulant en découvrir les prémices comme moi.