Découvertal Gear : 3/11
Après s'être détourné quelques années de sa série-phare, le temps de produire Policenauts (jeu strictement inconnu au bataillon mais qui a droit à une référence dans ce MGS), Kojima revient à sa série fétiche à partir de 1995 et développe en trois ans ce nouvel épisode pour la Playstation de Sony, une console bien plus répandue que le MSX. Ce sera la première vraie rencontre entre Snake et le grand public, ce qui fait que certains pensent encore qu'il s'agit du premier épisode de la série.
Trois ans, c'est énorme pour un jeu vidéo de l'époque. Rappelons que la même année est sorti Resident Evil 2, dont le développement qui s'est déroulé sur deux années était considéré comme un naufrage par Capcom. Dans le cas de MGS, cette durée est justifiée par la nécessité de repenser la série en trois dimensions (d'où le Solid du titre, d'ailleurs) et au besoin de se familiariser avec la PS1.
Solid Snake, à la retraite depuis les événements de MG2 (car il vit dans un monde où l'âge de départ est de 30 ans, que fait le MEDEF ?), est appelé en renfort pour infiltrer un groupe terroriste qui s'est emparé d'un centre d'essais nucléaires. Il va devoir abattre les six lieutenants de ce groupe, découvrir ses origines et écouter un monologue sur les animés japonais. Il sortira en un seul morceau de la base ennemie avec une bonasse sous le bras qui va pouvoir tâter de son solide serpent, pendant qu'une voix off nous explique que l'ADN ne détermine pas notre vie et que c'est par nos actions qu'on existe (littéralement le monologue de Mewtwo à la fin du premier film Pokémon). Un scénario dans la lignée des précédents épisodes donc.
Mais pas que. Kojima décide en effet de passer à la vitesse supérieure en termes de narration et accouche d'un script beaucoup plus épais que ceux des deux premiers jeux. La décision est également prise de doubler CHAQUE LIGNE de ce script, à ma connaissance c'est du jamais-vu pour un scénario de cette ampleur en 1998. Je n'ose imaginer le temps que les sessions d'enregistrement ont pris, surtout quand on considère les 6 langues disponibles, mais force est de reconnaître qu'en termes de doublage, MGS est probablement le jeu le plus convaincant de la PS1 (ce qui n'est pas une performance en soi, quand les concurrents sont du niveau de Resident Evil ou Tomb Raider) et reste tout à fait écoutable en 2023. Les acteurs sont vraiment bons, presque trop au vu du scénario qui flirte parfois dangereusement avec le nanard (idée de jeu à boire : prendre un shot à chaque fois que Liquid Snake dit le mot "gene"), et ils insufflent beaucoup de vie à leurs modèles 3D qui n'ont pourtant ni yeux ni bouches.
Modèles 3D qui sont par ailleurs très bien animés dans les cinématiques, qui proposent des chorégraphies un peu exorbitantes par moment (sauter d'un Metal Gear en faisant un salto avant, youpi !) mais qui témoignent d'une réelle ambition en termes de narration. La caméra n'est d'ailleurs pas en reste dans ces sections, sachant se placer intelligemment pour véhiculer des émotions proches de celles qu'on ressent devant un bon film (hors-champ, zoom, contre-plongée…). Même lors des phases de gameplay, la caméra se place intelligemment pour nous communiquer des informations sur l'environnement.
Kojima voulait être metteur en scène avant de devenir développeur de jeux, il est clair qu'il a très bien digéré la narration du médium et qu'il a su la retranscrire dans cette industrie vidéoludique en pleine mutation. Pas étonnant que son travail, parfois entrecoupé d'images d'archives de notre monde, ait marqué les joueurs de l'année 1998, la présentation est quasiment un sans-faute.
Mais, vous l'aurez compris au vu de la note, il y a beaucoup d'autres choses qui me chiffonnent dans ce jeu.
On va rester sur la présentation. Si je la qualifie de "quasiment sans-faute", c'est à cause de l'OST. J'ai eu l'impression d'écouter les trois mêmes musiques tout au long du jeu (là où MG2 variait mieux ses compositions musicales), et surtout je n'en pouvais plus des cinématiques où le thème de la tristesse est utilisé. C'est cliché et insupportable, dès qu'un personnage est abattu et nous sert son monologue pré-mortem, ou dès qu'on a 30 secondes d'introspection, on a droit à la même musique avec des choeurs et des violons, c'est juste barbant. S'ils avaient donné un thème différent à chaque personnage je n'aurais rien remarqué, mais là je finissais par soupirer chaque fois que j'entendais la chanson commencer.
C'est pas forcément aidé par le fait qu'à peu près tous les personnages ont la même backstory ("J'ai été élevé dans un pays en guerre, je ne sais que tuer."), donc poser la manette 10 minutes pour entendre à chaque fois la même histoire et la même musique, c'est pas un programme qui me plaise beaucoup, vous vous en doutez.
Parlons gameplay. Là-dessus, j'avoue que la plate-forme sur laquelle j'ai fait le jeu joue contre lui, j'y ai joué sur PS1 Mini, donc sans stick analogique. Et putain, autant se déplacer dans seulement 8 directions n'est pas une très grosse contrainte (le level-design est assez cubique), autant se battre dans ces conditions est une abominable punition. Snake manque ses tirs trois fois sur quatre et se prend des dégâts le temps que je le réajuste, pareil pour le corps-à-corps où la petite hitbox de ses coups fait que je tapais toujours à côté, la phase finale où on est sur une tourelle en mouvement est d'un manque de précision effroyable…
Je reconnais que je n'ai pas joué au jeu dans les meilleures conditions, reste que le jeu a été pensé à l'époque pour être jouable avec une manette PS1 de base, et c'est sincèrement à chier.
Parce que si MGS est vendu comme un jeu d'infiltration, seul le premier tiers grouille vraiment de gardes et vous demandera de ne pas vous précipiter. Au-delà de la zone où on affronte Psycho Mantis, les ennemis se font plus rares et le jeu devient beaucoup plus orienté action, et je trouve que ça fonctionne mal avec les contrôles un peu rigides.
D'ailleurs c'est dommage, parce que les gardes sont beaucoup plus délicats à éliminer que sur MSX, ils ne meurent plus en trois coups. Ca rend les phases où ils poursuivent Snake vraiment tendues, donc c'est un peu chiant que cet aspect essentiel de la série soit mis sous le tapis assez tôt. D'ailleurs c'est assez drôle que Liquid Snake m'ait traité d'assassin froid et sanguinaire lors du climax alors que j'ai tout fait pour éviter un maximum de gardes et ne pas provoquer de combat, tellement les affrontements avec eux sont difficiles à gérer.
En parallèle, les gardes sont peut-être encore plus cons que sur MSX, ce qui est assez risible vu que le scénario nous les vend comme des mecs surentraînés et modifiés génétiquement pour avoir une meilleure vue et ouïe que la normale. Au final, leur cône de vision semble plus court que dans MG2 et il y a très peu de lieux où on peut être trahi par le bruit de nos pas.
Mais finalement, je crois que ce qui m'a le plus déçu dans le jeu, c'est que MGS est un remake un peu caché des deux premiers épisodes, MG2 en particulier.
Non seulement on y retrouve plusieurs éléments de la narration (Gray Fox revenu d'entre les morts pour nous affronter mais qui nous file des tuyaux par Codec, un combat à mains nues après avoir détruit le Metal Gear, Campbell qui nous cache des choses tout au long du jeu…) mais aussi des moments cultes réutilisés quasiment tels quels (une embuscade dans un ascenseur, des eaux contaminées qui rendent Snake malade, le personnage féminin qu'on rencontre aux toilettes…). Forcément, pour le grand public de 1998, tout cela était neuf, mais moi j'ai déjà fait toutes ces actions le mois dernier, j'ai un peu l'impression qu'on m'a menti sur la marchandise.
Je sais que c'était assez courant à cette époque de pionniers de la 3D de réutiliser des concepts qui marchaient en 2D (Ocarina of Time est parfois affublé de la casquette "remake d'A Link to the Past"), mais là je trouve que c'est fait sans modération et sans toujours chercher à se réinventer.
Et puis l'héritage du jeu joue aussi contre lui. Ses séquences les plus originales, comme la rencontre avec Psycho Mantis, sont désormais cultes. Même un béotien comme moi connaît la façon de le battre depuis 10 ans. Difficile dans ces conditions de vraiment surprendre le joueur.
Le jeu reprend aussi les phases de backtracking de ses aînés, et c'est toujours aussi chiant. Voire débile dans certains cas, genre quand on doit abandonner notre équipière à la merci d'un sniper pour qu'on aille nous-même récupérer un sniper dans une des premières zones du jeu, alors qu'on aurait très bien pu se battre avec un missile à tête chercheuse. Pas de chance, l'utilisation de cette arme est SANS AUCUNE RAISON impossible dans la pièce où a lieu l'affrontement.
Je crois même qu'on a pour l'instant le pire exemple de backtracking de la série, où juste avant le boss final il faut revenir DEUX FOIS sur ses pas pour aller dans des pièces à température variable pour résoudre une énigme (toute bidon), jouer avec les températures est un concept qui était aussi présent dans MG2 d'ailleurs. Ca n'apporte rien, c'est vraiment là juste pour nous imposer quelques conversations Codec supplémentaires avant la dernière ligne droite. Heureusement que les temps de chargement sont très rapides, au moins on ne se tape pas 20 secondes d'écran noir dès qu'on change de zone.
Ah oui au fait, je déteste toujours autant que la solution d'une énigme, que je consulte sur le Net après 20 minutes à tourner partout, soit juste "Appelle Machin sur le Codec". J'ai pas le réflexe de décrocher le téléphone toutes les 5 minutes, c'est vraiment la mort du fun, j'espère que les prochains jeux vont se calmer sur cet aspect.
Bref, déception pour ce MGS qui a je trouve assez mal vieilli, malgré sa présentation réellement ambitieuse et admirable. Opinion probablement impopulaire, mais je trouve Metal Gear 2 moins frustrant à jouer sur beaucoup d'aspects, et il a pour lui l'originalité de ses situations.
Espérons que cette phase transitoire accouche de jeux plus réussis sur la génération PS2.