Cinq. C'est le nombre de mois qu'il m'aura presque fallu pour atteindre la fin du Metal Gear Solid du même chiffre. Cinq longs mois, tour à tour et aussi bien habités par un amour profond que par une déception toujours croissante. Mais avant tout cela, il y avait déjà eu l'attente. L'attente du jeu qui avait tout pour être le meilleur de la série, et un des meilleurs jeux de tous les temps. Le final showdown de MGS, le chant du cygne Kojima, l'ultime œuvre d'un Konami tombé en décrépitude. Tout les signaux concordaient. Et pourtant, jamais, et ça me fend le cœur de l'écrire, jamais MGS5 ne respecte ses promesses.


Je ne m'attarderai pas sur le gameplay du jeu, fantastique à bien des égards, ni sur sa réalisation, impeccable à tous les niveaux. Ce qui me tracasse en premier lieu concerne plutôt son intrigue, ainsi que sa place soit disant canonique au sein d'une série de légende. MGS5 se découpe en effet en deux chapitres et, au vu de l'inutilité flagrante du second, c'est la structure même du titre qui est bancale. Les rares missions de la deuxième partie auraient pu être inclues dans la première sans l'ombre d'un doute. Probable que Kojima avait à la base d'autres ambitions pour ce chapitre, à l'image de cette mission 51 portée disparue de manière tout aussi inexplicable qu'intolérable. En l'état, le jeu est donc découpé ainsi :
- Un premier chapitre, composé d'un prologue, d'une cinquantaine d'heures de jeu sans presque aucune intrigue (qu'on passe à refaire les mêmes missions en boucle), puis une dernière dizaine d'heures maîtrisée et palpitante, mais qui s'achève bien trop vite.
- Un second chapitre d'une vingtaine d'heures qui, s'il faillit à illustrer la théorique descente de Big Boss aux enfers (malgré une mission magistrale), réussit parfaitement à illustrer celle de Kojima dans les tréfonds intestinaux du joueur. Cette ultime partie ne termine d'ailleurs pas grand chose, si ce ne sont les intrigues centrées autour de Quiet et Huey. Dans MGS5, la fin est d'autant plus longue à atteindre qu'elle n'existe pas vraiment en soi.


En un mot comme en cent, le jeu est donc beaucoup, beaucoup trop long pour ce qu'il a à proposer. Et beaucoup trop répétitif. Si le gameplay - qui n'est pas loin d'être parfait - s'allie à un level design souvent remarquable pour nous faire aimer les différentes missions, le manque d'enjeux de la quête principale frappe à chaque instant. Kojima est sûrement la première personne à encadrer un vide scénaristique total ( = chaque mission lambda) par deux génériques, et ce plusieurs fois à la suite. La gestion du rythme est selon moi le problème majeur de l'aventure de ce MGS5 lorsqu'on la vit. On passe son temps à attendre que l'intrigue évolue et, pendant de longues heures, celle-ci n'évoluera que du côté de Quiet. Je me demande d'ailleurs souvent qu'elle a du être la souffrance des joueurs l'ayant abattue, condamnés qu'ils étaient à ne pas avoir de cinématique avant la cinquantaine d'heures de jeu révolue.


Et pourtant, lorsqu'il s'y met, Metal Gear Solid 5 est un incroyable chef d'œuvre (je vous avais prévenu que cette critique serait schizophrénique). À partir de l'arrivée de Code Talker, le chapitre 1 subit une envolée lyrique magistrale et quasiment parfaite. Skull Face est fascinant, bien qu'on le voit trop peu, et la thématique linguistique qui constitue l'essentiel du scénario de ce MGS5 est juste gé-niale. Et je pèse mes mots. Cette intrigue, si bancalement déroulée soit-elle, est passionnante. Elle est parfaitement mixée aux thèmes usuels de la saga que sont la guerre, la menace nucléaire, la maîtrise et la domination des peuples ou encore la génétique. Ce mélange inter-linguistique appliqué à la guerre froide m'a complètement fasciné. Cette fois ça y est, on la tient la thématique parfaite de ce Metal Gear. Le langage.


Free the world, not by taking men's lives, but by taking their tongues


Couplons à tout cela une palanquée d'acteurs parfaits (Huey est complètement génial, avec son ambiguïté constante, mais perso c'est Stefanie Joosten for life hein, vous m'en voudrez pas) ainsi qu'un set de cassettes complètement dingues, et on obtient un des plus grands backgrounds de toute l'histoire du jeu vidéo, si ce n'est le plus grand. À vrai dire, je ne sais comment on peut atteindre un tel niveau de perfectionnisme dans son univers. MGS5 est le premier MGS où tout est crédible : les événements de ce MGS auraient tout à fait pu exister. Non pas qu'ils s'imposent comme étant crédibles, bien au contraire, mais le background étayé par les enregistrements est si puissant, si détaillé, qu'on ne peut qu'y croire. Et, avec le temps, on se rend compte que MGS5 n'est finalement pas tant une intrigue qu'un univers. Un univers incroyable.


Le seul vrai problème que les cassettes me posent, c'est qu'elles rompent l'identification à Big Boss (on passe des dizaines d'heures avec lui, et le mec trouve quand même le temps d'aller flirter ailleurs sans qu'on le voit ?) et peuvent briser l'immersion au sein de l'intrigue, lorsque des évènements extrêmement importants ne sont dévoilés que sur lesdits enregistrements. Autant ceux-ci sont parfois parfaitement adaptés, autant ils semblent parfois remplacer des cinématiques qui auraient du exister.


Voilà pour les éloges. Maintenant, j'aimerais aborder les deux plus gros foutage de gueule du jeu, dont le second spoile sévèrement.


1- Dans le chapitre 2, alors qu'on sort d'une fin de chapitre 1 dantesque (bien que décevante car elle ne résout rien), et qu'on s'attend à l'apothéose, le jeu nous force à... refaire les mêmes missions ??? Celles-ci se ressemblaient déjà avant, mais il s'agit désormais EXACTEMENT des mêmes. Plus ou moins quelques conditions de jeu. Il faudra donc de nouveau effectuer diverses missions tout à fait inintéressantes pour, peut-être, éventuellement, débloquer la suite de l'histoire et ainsi terminer le jeu. Du pur foutage de gueule, il n'y a pas d'autre mot.


2- La dernière mission. Outre le fait qu'elle est l'antithèse de ce qu'on pouvait attendre d'une dernière mission, puisqu'elle consiste juste à refaire le prologue (ce qui est au combien ironique dans un jeu où on a passé son temps à faire et à refaire la même chose), elle débouche sur une révélation... complètement naze. Un twist d'une facilité déconcertante qui, sous prétexte de quelques subtilités méta, est surtout un viol total et complet du joueur.
Non, sérieusement, depuis que j'ai fini le jeu je me réveille des fois en pleine nuit, en sueur, en priant pour avoir fait un cauchemar. Mais non. Enfin c'est faux, mais ça pourrait. Le réveil en pleine nuit hein. Car le cauchemar, lui, est bien réel.
...
Dans Metal Gear Solid V : A Phantom Pain, le dernier épisode canonique de la saga Metal Gear, la conclusion du segment concernant Big Boss, le meilleur personnage de la saga, et sa descente aux enfers...
...
... ON INCARNE UN PUTAIN DE PEON. Un. Putain. De. Péon.
...
Outre le fait que le twist est particulièrement prévisible pour tout un tas de raisons, et donc pas vraiment surprenant, il viole pour moi complètement tout le jeu. Sous couvert d'essayer de nous faire avaler qu'on est tous des Big Boss potentiels, Kojima ruine complètement l'image et le charisme du soldat parfait Big Boss (il a été cloné pour ça bordel). Le vrai Big Boss, on le voit donc une heure à tout casser dans tout le jeu. Et on ne l'incarne jamais. Quant à ce qu'il prépare de son côté, osef hein, on verra ça dans le prochain Metal Gear. OH WAIT.


Plusieurs jours plus tard, La douleur causée par cette fin est toujours vive, et la plaie toujours ouverte. Dans le fond, qu'est-ce que ça change qu'on incarne un pauvre péon à la place de Big Boss, le jeu est le même, non ? Eh bien non. Je ne saurais fondamentalement dire pourquoi, mais ça change tout. Et ni la superbe OST ni les thématiques sensationnelles ne peuvent atténuer cette trahison.


Chef d'œuvre d'un jour, déception pour toujours. Si le but de Kojima était de nous faire ressentir des pulsions vengeresques, alors je pense que c'est réussi, on est en plein dans le thème. Tout comme l'est la douleur fantôme. Celle causée par ce jeu parfait qu'on nous avait promis, qu'on aurait du avoir et qu'on ne peut s'empêcher de continuer à fantasmer. Alors qu'on ne l'aura jamais.

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le 12 janv. 2016

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