Dans un contexte d’une légère baisse des ventes de jeux sur NES, liberté est donnée aux développeurs de Nintendo de trouver de nouvelles idées à mettre en œuvre rapidement pour relancer la jeune machine et parmi eux Saturu Okada mènera celle qui aboutira à l’une des franchises les plus acclamées de Nintendo : Metroid. Un vaste environnement labyrinthique en 2D est ainsi proposé au joueur qui va devoir l’explorer en toute liberté en profitant de compétences et d’améliorations à débloquer au fil de son aventure spatiale, notre personnage se retrouvant sans aucun PNJ amical face à une faune hostile.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆
A la manière d’un Super Mario Bros faisant preuve d’une didactique subtile et efficace dès ses premiers instants, le premier écran de jeu de Metroid nous fait comprendre instinctivement qu’on peut aller dans deux directions différentes et que certains chemins ne servent qu’à débloquer des compétences alors que d’autres nécessiteront ces compétences pour se débloquer. C’est assez brillant de sa part pour accompagner le joueur subtilement et efficacement dans cette façon de jouer innovante, un vrai petit cas d’école en la matière. Et dès notre première mort, un système de mot de passe très exhaustif pour la NES, ou un système de sauvegarde pour la Famicom, nous permet de sauvegarder quasiment tous les éléments de notre progression pour nous encourager à persévérer dans notre recherche de capacités à débloquer.
Ce sentiment de puissance accrue au fur et à mesure de notre progression dans le jeu est réel avec des attaques supplémentaires, une portée accrue et une plus grande liberté de mouvement. Et une mécanique de jeu très originale pour l’époque apparait avec notamment l’une de ces capacités, le pouvoir de transformer un ennemi en plate-forme. Il n’y en a pas beaucoup d’autres malheureusement, mais c’est déjà très bien et cet aspect-là de la formule Metroid est réussi dès ce premier épisode. En revanche, si nous donner 2 tirs basiques possibles selon la situation en face était une bonne idée, l’impossibilité de switcher sans retourner à l’endroit où on les débloque est pénible pour rien.
L’exploration ambitieuse et innovante profite de belles qualités mais souffre malgré tout de quelques sérieux défauts avec trop de passages secrets introuvables sans solution, car sans le moindre indice visuel, et pourtant indispensables à la progression, des salles qui se ressemblent beaucoup trop et qui n’aident pas à s’y repérer en l’absence de carte en jeu ou facile à reproduire à la main (la carte dans le manuel étant beaucoup trop schématique), des zones de jeu avec une seule entrée/sortie plutôt que d’être interconnectées avec les autres, des couloirs avec plein d’ennemis qui débouchent sur des impasses sans récompense… Dans l’ensemble, c’est plutôt réussi mais ce n’est clairement pas encore maîtrisée.
Les combats contre les ennemis communs peuvent-être assez frustrants mais sont généralement réussis. Les ennemis rencontrés se renouvellent régulièrement avec des comportements bien différents en fonction de leur catégorie, les nouvelles attaques débloquées viennent souvent renouveler le combat contre eux quand la monotonie commençait à apparaître… Mais c’est vrai que le moteur de collision peut amplifier exagérément des situations d’échecs, que les baisses de framerate vont toujours venir au moment les plus délicats et que le jeu invite trop de moments longs à farmer les ennemis et que la courbe de difficulté de ces combats est très variable avec des pics abrupts.
Les combats de boss présentent tous des problèmes différents mais ont pour point commun d’être ratés. Un se résume à se positionner juste devant lui et spammer le tir jusqu’à sa défaite, un autre c’est la même chose mais là tu dois prendre beaucoup de dégâts et donc avoir pris du temps de jeu inintéressant à farmer ta vie avant le combat, un dernier est une situation de jeu extrêmement frustrante, combinant les problèmes de collision et les saccades du jeu, qui est répétée sans arrêt jusqu’à ce que tu acquiers la patience d’un moine tibétain. On a donc un boss sans intérêt, un boss brouillon et un boss trop frustrant. Et évidemment respawn avec seulement 30 points d’énergie sur les 700 points maximaux sans aucune possibilité de les restaurer sauf en farmant comme un porc est un problème qui se passe de commentaire.
L’invitation au speedrun par l’écran de fin différent selon le temps pris pour terminer le jeu est quasiment une première dans l’histoire du jeu vidéo. Cette philosophie découle d’ailleurs du temps de développement très court qui pressait les développeurs et qu’ils ont retranscrit dans leur game-design, c’est tout à fait remarquable. Néanmoins, le jeu ne s’y prête pas suffisamment de manière accessible pour constituer une qualité, éliminer les temps de farming pour restaurer sa vie et proposer davantage de raccourcis à débloquer étaient pour moi indispensables pour cela.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆
Inspiré d’œuvres de science-fiction horrifiques, l’un des boss emblématiques est d’ailleurs intitulé d’après le prénom du réalisateur d’Alien, la direction artistique n’hésitera pas à être glauque et oppressante avec des décors organiques très bien travaillés sur des arrière-plans aussi noirs que vides, profitant de la justification offerte par le contexte spatial, et sur lesquels l’interface est intelligemment minimaliste. Ces environnements auront chacun une identité visuelle forte avec un excellent choix des couleurs et des formes pour évoquer une chaleur étouffante, une végétalisation bien faible… même si le temps de développement court explique leur faible nombre. Et des éléments de décor comme ces statues mystérieuses posent les bases d’un univers libre d’interprétation et qui sera développé davantage par la suite de la saga.
Le bestiaire est assez généreux avec pas mal d’ennemis différents déclinés en plusieurs versions de manière un minimum travaillée mais ce n’est malheureusement pas le cas pour 2 des 3 boss qui, s’ils ont le mérite de ne pas être de simples agrandissements d’ennemis communs, sont de petite taille, peu animés et franchement oubliables, contrairement à leur représentation statique à l’entrée de leur repaire ou au design mi-organique mi-mécanique du boss final. Une petite fausse note est aussi à noter dans le manuel avec plusieurs illustrations mignonnes qui n’ont rien à faire-là, mais comme c’est hors du jeu disons que ça ne compte pas.
Le vrai problème artistique est malheureusement un point central, la tenue de Samus qui n’est franchement pas très réussie (proportions douteuses, peu de détails, animation basique...), aussi bien dans sa version de base que dans sa version albinos. La grande originalité du chara-design c’est bien sûr la révélation finale bien connue désormais, le protagoniste est en réalité une femme, une héroïne badass et indépendante dans une époque qui n’en connaissait quasiment aucune autre, certainement pas de cet acabit, et qui est un formidable clin d’œil au personnage de Ripley des films Alien qui ont inspiré le jeu. Même si le titre du jeu met à l’honneur un type d’ennemi plutôt que la protagoniste, tout ça est très inspiré.
Réalisé en début de vie de la NES, le bilan technique est très contrasté. Les limitations techniques peuvent être très intelligemment contournées, comme la boule morphing de Samus qui est une animation peu coûteuse et peu gourmande en ressources et fera partie intégrante de l’identité visuelle de la saga. Même s’il faudra que quelqu’un m’apporte un jour l’explication scientifique selon laquelle le corps à l’intérieur de l’armure peut autant se contorsionner pour se mettre en boule également. Le niveau de détails sur certains décors ou ennemis peut être franchement impressionnant.
Mais de violentes saccades peuvent survenir assez souvent, la version américaine souffrant même de quelques ralentissements supplémentaires. C’est le problème technique n°1 et plusieurs passages, y compris importants comme l’affrontement contre le boss final, sont gâchés en grande partie par ce problème. De plus, il aurait été intéressant de travailler un petit peu la mise en scène autour des boss qui apparaissent sans aucun effort particulier pour rendre le moment mémorable, même sur NES et à cette époque, on pouvait faire mieux, surtout quand on a que 3 boss.
L’OST a été composée pour être oppressante au possible tout du long, avec plein de bruitages parasites venant toujours se confondre avec des bruitages annonciateurs de danger, même dans les environnements de repos, jusqu’à un final plutôt joyeux pour souligner la délivrance vécue par Samus. De plus, l’identité sonore de la saga se construit dès cet épisode avec des mélodies pour la plupart passées à la postérité ou encore le jingle iconique lors de l’acquisition d’un power up. A part le thème du repaire de Ridley qui est franchement raté car trop désagréable, c’est donc un bilan sonore très solide qui vient précéder une conclusion dans laquelle je vais m’obliger à être un peu plus nuancé.
CONCLUSION : ★★★★★★☆☆☆☆
Avec un gameplay innovant et ambitieux malgré un temps de développement court et une ambiance originale et réussie, on aurait envie d’oublier ses sérieux problèmes techniques et surtout son gameplay manquant profondément de maîtrise, mais personnellement je ne peux que voir dans cet épisode fondateur un brouillon très méritant mais trop limité pour s’imposer comme un jeu réussi. Malgré cela et une forte concurrence à sa sortie, il sera un assez bon succès et restera pendant plus de 20 ans l’opus le plus vendu de sa saga, notamment grâce à son succès en dehors du Japon.