MZM : Ludwig, Marcel et Ridley sont sur un bateau...
Ludwig, Marcel et Ridley sont sur un bateau. Les trois génies tombent à l'eau. Que reste-t-il ? Rien. Ou presque. Car Metroid, ce « classique » à nous, s'est offert sur GBA un sublime coup d'éclat sur portable. Mesdames et messieurs, on va parler de nostalgie, on va parler de sexe, on va parler de joie.
Je me souviens d'un temps où j'aimais, des jeux, leur couverture, leur aura, leur habit. Qu'importe qu'ils fussent bons ou mauvais, m'identifier l'espace de quelques heures à l'un de mes héros fétiches me contentait largement. J'appréciais Picsou, j'achetai Duck Tales ; j'admirais Son Goku, j'acquérrai Dragon Ball. Il m'en fallait peu, ou plutôt mon exigence simple était difficile à tromper, puisque déjà le titre du jeu disait tout de ce que j'y trouverais ou non ; entendu que je ne cherchais pas, alors, à découvrir une œuvre innovante, ingénieuse et léchée, mais à me fantasmer dans la peau de modèles familiers.
Un homme qui dort...
C'aurait pu durer longtemps. Mais vint Alien 3 – film que je venais de découvrir, et que la jaquette alléchante m'offrait à revivre. Mes hormones naissantes m'interdirent toutefois, et ce fut une première, d'investir dans ce titre dont tous les aspects semblaient n'attendre que moi. Tous, sauf un – l'avatar qui m'était proposé, Ripley – une fille. Soudain l'objet de mon fantasme, ce film angoissant qui défiait ma confiance et me fascinait, entrait en collision avec ce que j'acceptais, ou non, de m'imaginer. Moi Picsou, ok ; moi Son Goku, d'accord ; mais moi en fille, ça, jamais !
10 ou 15 ans passèrent, lorsque, par un beau matin d'avril, un de ces matins doux, humides et rosés, où la fraîche brise se lève en caressant les branches de cerisiers graciles, ça fit *TUUUUUUUUUUUUUUUT*. C'était Marcel le facteur : il m'apportait mon exemplaire de Metroid Zero Mission. Installé à la terrasse d'un café parisien, d'où j'humais la rosée, halo d'air couvant les jardins ensommeillés de Montmartre, je fis *TILT*. C'était ma Game Boy Advance, qu'un doigt fébrile allumait. Alors, tandis que d'une main nonchalante je trempais ma madeleine dans le café, l'écran refléta, mare improbable, l'image trouble, chaude et jaunie du plus beau des hommages qu'Alien n'avait jamais recueilli : le premier, l'unique, le fondateur Metroid.
1985, Japon. Nintendo vient de sortir le Famicom Disk System (un lecteur de disquette pour la NES japonaise), et pour l'honorer, c'est au studio Nintendo Research & Development 1, du regretté Gumpei Yokoi (Donkey Kong, Kid Icarus, puis plus tard la GameBoy), que l'on confie la lourde tâche de le doter d'un jeu marquant. Or depuis 1979, voguant sur le renouveau du space opera, Alien s'est imposé comme une référence cinématographique majeure. Entre le film de Ridley Scott (dont le prénom servit même de nominatif au diabolique ptérodactyle !), et l'œuvre labyrinthique de Nintendo, la filiation sera donc directe. Au même titre que Sigourney Weaver/Helen Ripley a été la premier personnage féminin aussi marquant d'un film fantastique, Samus Aran sera la première femme majeure dans les jeux vidéo. La planète Zebès servira de pendant à la lune LV426, tandis que la sympathique lignée des Alien – Face Hugger, Chest Burster, Alien Warrior et Queen Alien – se fera seconder par la non moins sympathique famille des Metroid – larve, Alpha, Gamma, Zeta, Omega et Queen Metroid, dont certains n'apparurent d'ailleurs que plus tard. L'héroïne, la planète angoissante, et enfin la créature parasitaire, servirent de points d'achoppement à cette adaptation clandestine.
Dans l'espace, personne ne vous entendra jouir.
C'était un sot hommage. Car tandis que les concepteurs réunirent les trois éléments clés d'Alien, jamais ils ne parvinrent à en voir l'unique horizon, ce thème obscur et voilé qui sous-tend le film, et donne à ce thriller quelconque sa force de subjugation : l'enfantement. La gracile créature de H.G.Gigger n'est pas qu'une simple bête de proie : car il ne tue pas, cet être efféminé qu'un appendice phallique surplombe, mais fait bien pire : il donne la vie. De cette mâchoire saillante qui est une pénétration, de ce parasite arachnéen dont l'emprise est un viol, de ce monstrueux fœtus jaillissant qui est un accouchement, enfin de cet « étranger » qu'est littéralement l'Alien, Metroid ne dira jamais rien, et pourtant cette viscérale fascination pour le corps, la sexualité, et l'angoissante figure maternelle de l'Autre en son propre for, sont le sol à partir duquel les délires cosmo-goth de la tétralogie prennent réellement sens, saisissent et font peur.
C'était un sot hommage, mais quel géniale erreur ! Par quel miracle cette plate révérence filmique, édulcorée de sa portée concrète, sale, fascinante, devint le jeu culte que l'on sait ? Il n'y a que des hypothèses, heureusement seul le mystère est beau. Par l'entremise d'un esprit fantasque ou lumineux, les interminables boyaux de l'immense Nostromo devinrent les sadiques longueurs d'un dédale jouissivement inhumain. L'acharnée Ripley, que le Huitième Passager voit peu à peu s'affirmer, se métamorphosa quant à elle en une femme bionique upgradable. Enfin la musique glaciale de Jerry Goldsmith laissa place à l'immense composition, languissante, organique ou tribale, de Hirokazu Tanaka. Ainsi naquit Zebès, cet organisme dont la perfection n'a d'égale que son hostilité...
Viagra mission
De la sexualité à l'impuissance, peut-être n'y avait-il qu'un pas. Toujours est-il que rater la profondeur d'Alien fut peut-être ce qui arriva de mieux aux concepteurs de Metroid, qui, plutôt que de se focaliser sur la charge symbolique de la créature, s'échinèrent à polir l'ambiance, l'architecture, et le rythme de leur œuvre. Il en résulta un titre abouti, à la courbe de progression limpide, à la cadence constante, et à la beauté géométrique. Il suffit en effet de deux points, suffisamment distants dans le temps, pour que s'exprime l'essence de Metroid : d'abord l'oppressante impression d'une impuissance manifeste, faiblesse évidente face à un environnement vaste, hostile et inconnu ; puis tout à la fin, l'orgasmique présence au monde d'une héroïne accomplie, devenue maître implacable d'un univers connu, parcouru, et épreint jusque dans ses moindres coins d'ombre. Il suffit de ces deux points, et de la mémoire du joueur, pour que cette puissance soudain démesurée prenne la saveur d'un savoir-faire chèrement acquis, et que revenant sur ses pas, la Samus déchaînée prenne la mesure du fossé qui la sépare, maintenant, de ses premiers pas effrayés. Metroid n'est donc pas un jeu d'action, mais de sentiment de progressive montée en puissance – ce souffle lyrique, d'abord incertain, subtil, et qui peu à peu perce, s'affirme et explose en un déchaînement extatique ! De l'impuissance à la sexualité, peut-être n'y avait-il que ça.
Le soleil aux reflets de cassonade s'écoule désormais lentement, dans cet horizon mielleux, formol, où les plus mièvres souvenirs apparaissent puis s'envolent. La tasse vide je repense, sans émoi, à ce jeu que j'avais raté, Alien 3. Récemment j'y ai goûté – c'est une trahison. Ce plat jeu d'action restitue bien mal évidemment, la lourde charge fantasmatique qui sous-tend la tétralogie. Et à force d'éliminer des Aliens, abstrayant ceux-ci de leur angoissant rôle de donneur de vie, on perd, de l'œuvre cinématographique, et le principe, et la saveur, et l'esprit . Ce que Metroid avait raté du film, le jeu, platement bourrin, le vendangea carrément. Alien, 0, Metroid, 1.(1)
L'odieuse entorse
Heureusement, il y a donc Metroid Zero Mission, qui n'est ni une préquelle, ni une simple réédition. Il s'agit juste, en toute modestie, de la sublimation de l'original mythique, en même temps que sa vive et insolente condensation. D'abord, la difficulté, désormais humaine, met enfin l'orgasme ludique à portée de toutes les mains. Trois petites heures de pérégrinations bondissantes, au rythme d'une aventure devenue considérablement plus souple et plus nerveuse, suffisent à éclabousser Mother Brain, le boss légendaire, de la surpuissance finale de Samus accomplie. Puis vient l'entorse géniale, odieuse et jouissive, que se permet
MZM : alors que l'aventure originale touche déjà à sa fin, et que le joueur se sent tout sale d'avoir déjà tant joui, l'action, sans coup férir, se permet d'improbables développements – et voilà Samus, victime d'une mauvaise chute spatiale, soudain démunie de sa combinaison, de son bras bionique, et de toute sa surpuissance si chèrement acquise. S'ensuit une insupportable séquence d'infiltration, insupportable de culot, insupportable de qualité : la belle chasseuse de prime, vulnérable – c'est un scandale ! – survit à ses persécuteurs en se cachant, mais avec la même pureté, et la même économie de mouvements qui l'avaient menées jusqu'ici.
Freude Schöner, Götterfunken
La suite n'est plus affaire de jeu, mais de musique. La suite, c'est Samus qui retrouve le peuple Chozo, son allié, et récupère instantanément, au prix d'un combat initiatique contre elle-même, l'intégralité de son armure, et même plus – la voilà überboostée. Arrêt sur image. Il faut maintenant se réécouter le quatrième mouvement de la neuvième de Beethov', pour s'imaginer l'entrain orgasmique qui regagne le joueur, implosant en lui comme un tonnerre de foi, de rayonnement et de force (« Joie énorme, joie terrible/ Du sacrifice total/ Toi qui domptes l'impossible,/ Et maîtrises le fatal »), et le voir pourchasser et radier ces mêmes créatures qui quelques secondes avant le traquaient (« Joie sauvage, âpre et farouche/ Cavalière de la mort,/ Nous soufflons à pleine bouche/ Dans l'ivoire de ton cor ».), et inversant le cours de la situation, le sens du jeu, le fil de l'univers (« Joie qui monte et déborde,/ Tu veux nos cœurs ? les voilà./Et nos âmes sont les cordes,/ Où ton archet passera, »), exulte ! On touche ainsi, au plus profond de cette insolente séquence de discrétion, l'essence même de Metroid, condensée en un infime instant : la conquête d'une puissance fusionnelle, folle symbiose entre une héroïne arrachée à toute loi, et un level design enfin soumis à ses gestes. Et tout cela en quelques mouvements épurés, ceux d'un gameplay lumineux, à la maîtrise du rythme inégalée..
Je ne vous mentirai pas sur mon sentiment : Metroid Zero Mission est juste l'œuvre la plus intense, la plus aboutie, la plus orgasmique de tous les temps. Mais vous avez ma sympathie.
« Que ton rythme nous emporte/ Aux splendeurs de l'Eternel/ Comme un vol de feuilles mortes,/ Que l'orage entraîne au ciel. »
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