Videogame From Hell
Dans la « jeuvidéographie » du game designer foufou Suda51, au commencement, il y aurait eu Killer 7 puis No More Heroes serait né. Il est temps de lever le voile et de repousser...
le 17 oct. 2010
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Jeu de Akira Ueda, Goichi Suda, Grasshopper Manufacture et Spike (2005 • PlayStation 2)
Dans la « jeuvidéographie » du game designer foufou Suda51, au commencement, il y aurait eu Killer 7 puis No More Heroes serait né. Il est temps de lever le voile et de repousser toujours plus loin l‘horizon des connaissances : avant le commencement, il y eut le néant, il y eut Michigan : Report from Hell. Ce jeu d’aventure horrifique est sorti en 2004 au Japon et en 2005 en Europe. Le jeu n’est pas sorti aux États-Unis parce qu’ils n’ont pas été assez sages.
Michigan repose sur des bases particulièrement intéressantes : le joueur incarne un cameraman et tout le jeu est vu à travers l’objectif de la caméra. Une équipe technique l’accompagne afin de découvrir les origines d’un mystérieux brouillard s’étant abattu sur la ville de Michigan et l’existence de créatures s’y réfugiant. Le joueur n’est jamais l’acteur du jeu ainsi pour faire progresser l’aventure il faudra montrer à la reportrice les éléments clés pour qu’elle interagisse avec. Michigan est un survival-horror assez particulier où le joueur est plus spectateur qu‘acteur. Le nerf de la guerre, c’est de filmer. Quelques mécanismes développent cette idée de départ.
Comme toute bonne équipe de télévision, celle de Zaka TV cherche le sensationnel. En haut de l’écran est matérialisé une jauge partagée entre l’érotisme et le suspense. Celle-ci s’orientera dans un sens ou vers l’autre selon les évènements filmés ou certains éléments du décor. L’idée est bonne mais révèle un certain nombre d’errements.
La plus importante étant le déséquilibre permanent entre ses deux aspects. L’érotisme est constamment sous représenté dans le jeu. Le petit joueur vicieux a beau tenter de faire certains cadrages bien pervers des parties les plus charnues des reportrices, cela n’engrangera pas le moindre point d’érotisme. Seuls quelques affiches et quelques rares événements particuliers permettent de faire quelques points. Par contre, le jeu est beaucoup plus généreux en points de suspense. Il n’y a donc pas de véritable choix, puisque ce sera quasiment toujours la jauge de suspense qui viendra faire gonfler l’audimat.
À ce mécanisme inégal s’en ajoute un autre, il est possible d’engranger des points d’immoralité. Cela arrive lors de certains passages qui nous demandent d’agir de façon compatissante ou pour l’audimat, par exemple en préférant filmer la mort de quelqu’un plutôt que l’aider. Certaines des mises au point sur des objets du décor sensés êtres « immoraux » ajoutent aussi de ces points. Il y a trois fins différentes, qui dépendront de ce qui a été filmé selon ces jauges.
Le jeu va chercher à questionner la moralité du joueur. Ne rien faire c’est continuez de filmer, c’est faire son travail. Êtes-vous un bon cameraman plein de bons sentiments ou enregistrer un scoop est-il votre seul intérêt, peu importe les conséquences morales ? Malheureusement, si l’idée est bonne, elle est sous-exploitée. Ces scènes sont trop rares et ne s’appliquent pas à toutes les scènes cinématiques. Confronté aux aléas du scénario le joueur pourra sauver un quidam sorti d’on ne sait où mais devra faire avec la mort de la reportrice qu’il suivait depuis plusieurs heures (et on s’y attacherait presque). De plus, on pourrait s’étonner de constater que Brisco, le preneur de son, éternellement derrière vous ne se borgne jamais à lever le petit pouce dans ces occasions là avant de se lamenter après-coup, le pauvre petit.
Ce choix d’agir ou de laisser la tragédie arriver est ponctuel, hélas. Mais il révèle bien les implications morales de votre façon de filmer, ce qui est le fil rouge du jeu. Pendant les phases de jeu, la seule chose que vous pouvez faire c’est filmer. Je pense que vous l’aurez compris. Mais tout dépend quoi.
Malheureusement, le jeu est opaque sur ce que filmer rapporte. Cela n’a pas souvent de raison évidente que filmer tel évènement augmentera la jauge de suspense ou celle d’immoralité. Certains objets comme une anodine tasse de café froid ou une caisse à outils feront monter une jauge sans que l’on ne sache trop pourquoi.
Le joueur n’est qu’un cameraman. Le héros de chaque journal télévisé c’est le reporter. De ce constat, les développeurs attribuent au joueur un rôle hybride, entre action (faire avancer le jeu) et inaction (subir le jeu). Pour faire avancer le jeu le joueur doit faire des mises au point sur les objets/éléments du décor nécessaires. La reportrice ne trouvera jamais la clé si vous ne faites pas un plan focal dessus. Ce qui est très maladroit car cela bloque le rythme du jeu. Par exemple à un niveau vous devez trouver une clé, celle-ci se trouve sur une armoire, vous faites donc un plan focal pour que la reportrice s’approche. Manque de chance, cette clé est trop haute mais un escabeau juste à proximité est là pour ça. Si vous ne faites pas de plan focal dessus, la reportrice n’aura jamais l’idée de grimper dessus. Autre exemple, si vous ne filmez pas les ennemis, jamais la reportrice ne songera à tirer dessus. Elle se fera tuer donc bêtement. La crédibilité est fortement entamée, le jeu est plein de non-sens. Comment la journaliste peut-elle savoir ce que le caméraman voit dans sa caméra, pourquoi ne peut-elle pas réagir ?
Mais à d’autres reprises le joueur sera surtout spectateur. Inutile de vouloir ouvrir une porte, c’est la reportrice qui s’en occupe et ce seulement après avoir fait un plan focal sur la poignée de porte, évidemment. Le jeu est extrêmement balisé. Et il est inutile de vouloir aller plus vite que la musique. Même si le joueur sait quelle porte est la bonne, il faut attendre que la reportrice ait fini de faire son petit tour. Le jeu raffole de ce genre de passages qui n’entraînent aucune tension, juste une énorme frustration.
D’autant plus que le jeu est très bavard. Il faudra parfois attendre que les conversations se terminent Les personnages possèdent des tonnes de lignes de dialogue pour (tenter de) les rendre plus consistants. Le jeu a tendance à s’éterniser dans des palabres inutiles, à tout moment. Il est toujours possible de les zapper mais il faut savoir que filmer les échanges dialogués entre les personnages rapporte des points de suspense. Peu importe d’ailleurs si le contenu n’a rien d’effrayant. Le jeu n’est plus à une incohérence près.
De plus, si le doublage n’est pas trop mauvais il est mal implanté : il est haché. C’est-à-dire? Si dans la plupart des autres jeux c’est le sous-titre qui doit suivre les dialogues, ici c’est l’inverse. La phrase prononcée par un personnage sera coupée en deux le temps que le joueur passe le sous-titrage en dessous. C’est complètement ridicule, surtout si les sous-titres sont désactivés .
Quant au déroulement de l’histoire, allumons un cierge en sa mémoire. Si les niveaux sont assez variés, le lien scénaristique qui les relie est très lâche, servant plus de prétexte qu’autre chose. Le scénario est d’ailleurs très faible, le jeu est très mystérieux. Quelques pistes sont abordés au fil de l’aventure mais une fois le jeu fini, son scénario restera très nébuleux.
Peut-être que la localisation française n’aide pas non plus. Il faut hélas décerner un gigantesque carton rouge à 505 Gamestreet qui signe une des plus calamiteuses adaptations de jeu que j‘ai pu voir, la compagnie ayant réussi à remplir les trois conditions d’une localisation catastrophique, à savoir :
- Une traduction catastrophique. Citons un « Are you all right? » traduit en « Vous avez raison » au lieu de « Vous allez bien? » ou un « Shoot it » transformé en « Filme! » au lieu de « Tire! ». L’équipe chargée de traduire les textes ont certainement seulement extrait eux-ci du programme sans vérifier le contexte dans lequel ils étaient prononcés. Le texte n’est même pas bon, il est rempli de problèmes de syntaxes et de coquilles.
- Des bugs inédits. Il est ainsi impossible pour le possesseur européen de revoir les cinématiques, si l’envie lui en prenait. Ce point et le précédent prouvent à quel point la localisation a été bâclée. Il aurait suffit de faire le jeu pour constater les aberrations de la traduction et les bugs crées, mais cela n’a visiblement pas été fait.
-Du contenu passé à la trappe. C’est non seulement une reportrice qui passe à la trappe mais tout le déroulement du jeu qui allait avec. Censuré, tout simplement. Difficile dès lors de ne pas se demander si le contenu des textes n’a pas été aussi censuré, ce qui expliquerait un des problèmes du jeu, à savoir des objets filmés avec une description française anodine mais qui font monter la jauge de suspense/érotisme/immoralité.
505 Gamestreet réussit donc l’exploit d’aggraver la qualité médiocre du jeu, voire -peut-être- de gâcher un jeu qui ne le méritait pas. Mais pour en être sûr, il faudrait jouer à la version originale, celle japonaise.
Un peu plus de temps, d’argent et d’idées et Michigan aurait pu être une alternative honnête au survival-horror. Le joueur face à cet échec ne peut que prendre du recul et essayer d’en comprendre les raisons. Le jeu regorge de bonnes idées qui amènent à réfléchir sur les implications morales de la télévision, ou sur le rapport des jeux vidéo entre action et voyeurisme, ou la confusion entre point de vue du joueur et de celle du personnage incarné. Mais ces thématiques sont sous-exploitées et n’arrivent pas à contrer des erreurs de conception monumentales qui rendent l’expérience très difficile à supporter. Un gâchis aggravé par la localisation-sabotage de 505 Gamestreet.
Contrairement à d’autres premiers jeux du studio Grasshopper Manufacture de Suda51, tels que The Silver Case ou Flower, Sun, and Rain, Michigan n’a jamais été porté ou remaké sur d’autres consoles, le travail de dépoussiérage et de correction des défauts étant certainement trop imposant.
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le 17 oct. 2010
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