Tout est là.

Minecraft. Même du temps où il comptait déjà quelques millions de joueurs, je faisais de la résistance. Plutôt de l'indifférence disons , principalement parceque je trouvais ça moche ces gros pixels. Sôt que j'étais : certaines de mes plus belles émotions esthétiques vidéo-ludiques se sont passés sur une barque minuscule, sur un océan de pixels au soleil couchant.
J'ai fini par l'installer, pour voir...et comme des millions avant moi j'ai commencé à creuser, à crafter des trucs, puis j'ai voulu faire un peu mieux que ma grotte en terre de 4X4X4 alors j'ai coupé du bois, puis j'ai voulu mettre des fenêtres. Si vous avez un jour mis vos mains sur ce phénomène, vous connaissez la suite. Des centaines d'heures de jeux abbatues sans cligner des yeux. Une course en avant pour tout transformer, tout terra former, adapter à mon envie le moindre coin que je croise, parceque mettre un arbre là ce serait bien choli à l'entrée de ma maison, et parcequ'en haut de cette montagne je vais me faire un petit chalet avec une vue à t'en tirer une larme, bien au chaud pendant que je roupille hors de portée des creepers.
Et puis, comme je suis plutôt du genre Sims à me faire un petit nid sans forcément chercher à level up, et que je ne suis pas du genre à passer des heures à farmer dans le nether, je me retrouve face à mes compétences somme toute assez limitées, et je finis par m'éloigner petit à petit de mon petit monde où je me sens malgré tout un peu seul.

Et puis, quelques mois plus tard, un message : quelques vieux potes de Bruxelles ont un serveur et m'invitent à les rejoindre. Le temps de me trouver un skin de mineur Colombien et me voilà citoyen d'une ville d'une 10aine de potes qui s'activent comme des dingues à construire à toute heure du jour et de la nuit. Quelle cité mes amis ! Château de ouf avec un vitrail démentiel à l'effigie du proprio, fermes immenses avec système de récolte automatisé en libre accès, amateurs d'art brutal qui installent des villas digne du Corbusier au fond de l'océan, bref y'a du gros niveau et j'arrive comme un aspirant noob au milieu de ce beau monde tel le hobbit qui met les pieds pour la première fois à Minas Tirith.

À ma première connection, une fois n'est pas coutume , il n'y a pas grand monde. Seulement Marco qui bosse tel le facteur cheval sur son château surdimensionné. Je découvre une mine à ciel ouvert, parfaitement cubique, ultra profonde, avec même un système d'ascenseur pour y descendre. Je ne résiste pas à l'envie d'y faire un tour et...10 minutes après je me retrouve comme le dernier des nazes bloqué entre 2 blocs d'obsidienne. Impossible de sortir. Après quelques pitoyables petits sauts, je me décide à appeler Marco sur le chat pour me sortir de là. Il arrive tout de suite et.. Il me balance quelques morceaux de viande et prend une photo qui finira 10 minutes plus tard sur la page Facebook privée du groupe. Humiliation totale. Le ton est donné : si je veux faire mes preuves au milieu de cette team d'acharnés qui se pavanent en cheval armure de cristal, va falloir m'y mettre sérieusement.

Un peu snob, un peu bobo, un peu hippie, je m'installe à quelques pas de la métropole trop bruyante pour commencer mon super projet de ferme/chalet suisse/arbre géant à la Totoro. Quelques dizaines d'heures plus tard, j'ai un truc qui tient la route, un accès privé à l'océan, un ascenseur pour monter en haut de la montagne la plus proche, et même une petite toilette pour se soulager au dessus du vide dans les neiges éternelles.
À chacun de mes passages en ville, je constate que tout se construit plus vite qu'un stade cathari avant la coupe du monde de foot. On se lance bientôt dans une grande campagne d'extension pour rammener via voie ferrée des villageois dans notre ville. "Chantier de bonhomme" dit Marco. Mais on s'y met tous, traversant toundra, désert et montagnes avec ce sentiments génial d'être des vrais colons à la conquête d'un monde infini. Chaque matin je me connecte pour voir qu'un des potes vient de se taper une nuit blanche à placer des rails," je vous ai fait une petite auberge en chemin au sud Est". Le top.

Et puis, quelques dizaines d'heures plus tard encore je décide de tout envoyer ballader, de monter dans ma barque et de filer plein nord sans jamais m'arrêter. Je rame de jour comme de nuit, passant devant des îles volcan dont la lave éclaire mon frêle esquif et évitant les flèches des squelettes qui a la nuit tombée m'allument à l'arc des que je m'approche un peu trop de la côte.
Je tiens un journal de bord sur notre page Facebook où je partage mes photos de moments comme celui où je réussi à capturer un ocelot et essaye de l'apprivoiser à coup de poissons péchés un peu plus bas dans la jungle.

Fin en apothéose, car oui, il faut bien une fin et revenir dans le monde réel.pas facile. Surtout que j'ai jamais eu autant de boulot IRL et que mon fils va arriver sur terre dans quelques semaines. Je joue avec le feu, après le boulot je décide de me lancer dans un ultime projet avant de tirer ma révérence à la communauté des copains.
Je choisis la plus haute montagne et j'y ajoute quelques milliers de blocs pour aller encore plus haut, dans les nuages. Quand ça me semble suffisamment céleste et grandiose, je pave le tout d'un marbre du plus bel effet, j'ajoute quelques colones romane, un autel. Après quelques nuits blanches à me glisser au lit au petit matin, mon temple de la natalité est enfin prêt.
J'y place un coffre pour chacun des potes que je remplis de cadeaux, armures, armes, or. Je plante un arbre sur lequel j'inscris la date de naissance annoncée de mon fils dans quelques jours. Puis je pars après avoir dit à tous que je reviendrai un jour et qu'une surprise les attendait en haut de la montagne.

Quand je reviens quelques jours plus tard avec mon fils dans son cosy, connection rapide : les coffres sont bourrés de cadeau de naissance et une forêt de panneaux souhaitent la bienvenue à Léonard et nous félicitent. Je suis ému, et les potes aussi sont émus.
Un vrai trip geek en somme, mais aussi une vraie preuve que les jeux vidéos et la vie ne font qu'un et créent des moments magiques.

Je ne joue plus depuis, mais le jeu est toujours installé. Peut être un jour quand mon fils partira à la fac. On ne sait jamais.