Juin 2015. Lors du bilan du salon de l’E3, je plaçais sans difficulté le nouvel épisode de Mirror’s Edge parmi les titres que je surveillais avec attention. Il était presque évident à mes yeux que ce nouvel épisode serait l’un des bons crus de l’année 2016. Après une bêta relativement positive mais avec quelques réserves sur la partie open world, Mirror’s Edge Catalyst débarque dans nos consoles dans l’indifférence générale vu le peu de communication affiché par Electronic Arts, ce qui conduit à une inquiétude justifiée. Et tandis que l’E3 2016 prend la priorité sur l’actualité, les protagonistes du jeu tentent vainement de poser la question cruciale au sujet de la qualité de ce titre, non sans utiliser un langage approprié : alors, est-ce que ça pulse ?
L’histoire de ce second opus est à la fois un préquel et un reboot de la licence. Faith, l’héroïne, vient de sortir de prison pour une affaire qui a mal tourné et doit de l’argent à Dogen, un ponte de la mafia locale. Elle retourne voir Noah, son mentor et ami, à la tête du groupe des Messagers, chargés d’effectuer des livraisons à des clients qui souhaitent garder l’anonymat. Elle en profite pour tenter de se remettre dans le bain. Sauf qu’elle commence à s’immiscer dans les affaires de KrugerSec, la grosse compagnie du coin, qui évidemment gère aussi toutes les forces de l’ordre de Glass, la ville de cet épisode. On commence donc le jeu à la sortie de prison pour rencontrer Icarus, l’une des dernières recrues des Messagers, qui accompagne Faith jusqu’à leur repaire. C’est l’occasion de débuter une petite phase de tutoriel pour apprendre les quelques nouveautés de gameplay.
Sauts avec appui, glissades, balancements sur barres parallèles, les habitués du premier épisode trouveront immédiatement leur marque. Le wallrun est toujours de la partie, et s’ajoute à la possibilité de tourner rapidement à un coin en saisissant rapidement une poignée fixée là par miracle. On constate vite l’absence de certains mouvements de base, comme la roulade pour amortir une chute trop haute ainsi que le demi-tour. On comprend rapidement la volonté des développeurs de diriger la courbe de progression en douceur avec l’aide d’un arbre de compétences. Un choix curieux pour une licence qui n’en a pas besoin, puisque la courbe de progression reste au choix du joueur, qui doit avoir la possibilité d’emprunter des chemins plus risqués ou non.
Au fur et à mesure que les heures s’écoulent, un constat s’impose bien vite : toute la partie open world ne fonctionne simplement pas, et ce, pour plusieurs raisons. Histoire de faciliter l’avancée des pauvres hères que nous sommes et de ne pas nous paumer comme des moutons, Dice a mis à jour son aide visuelle. Le premier épisode proposait au joueur de marquer en rouge les éléments à emprunter pour atteindre son objectif, ce qu’ils appelaient le « sens urbain » et que l’on pouvait désactiver. Dans Mirror’s Edge Catalyst, les développeurs ont ajouté une sorte de flux de particules qu’il suffit de suivre pour trouver le bon itinéraire. L’option étant désactivable, on préférera revenir comme à l’époque du premier épisode histoire de ne pas se faire polluer l’écran d’un gimmick supplémentaire alors que le premier opus était vierge de toute information. Sauf que dans les faits, ce n’est pas aussi simple.
Car la ville, telle qu’elle a été construite, n’est pas un véritable open world. Au lieu de laisser la possibilité au joueur d’aller vraiment où il veut, Dice a eu la « merveilleuse » idée de segmenter toute la ville en quartiers bien distincts, accessibles uniquement par des passages obligatoires. Pire encore, des blocs entiers sont séparés par des avenues gigantesques impossibles à franchir, qui forcent le joueur à emprunter des ponts bien trop espacés. Très vite, alors qu’on pense dégoter par miracle un chemin alternatif, on se retrouve le plus souvent face à un cul-de-sac, une traversée impossible ou une hauteur insurmontable. Un léger mouvement de tête montre le fameux pont qui aurait permis de tracer son chemin, forçant le joueur crédule à faire un long détour. Et c’est encore plus vrai quand, poursuivi par la milice (cela arrive trop régulièrement sur la fin du jeu), vous tentez de vous échapper en pensant les semer mais vous finissez dans une voie sans issue parce qu’il est impossible d’anticiper quoi que ce soit. Il est donc vivement conseillé d’activer au moins une des aides du jeu sous peine d’être très vite frustré par les limites du level design.
Mais cette grosse erreur de construction n’est malheureusement pas comblée par la seule activation du sens urbain. On trouve, selon moi, d’autres problèmes plus techniques et difficilement pardonnables, qui témoignent d’un gros laisser-aller ou de la simple volonté d’EA de sortir le jeu au plus vite sans vraiment se poser les bonnes questions. On pourra citer l’abondance des vitres bien trop transparentes qui empêchent de vraiment discerner si le passage est ouvert ou non. Le reflet de votre personnage aurait largement suffi à éviter ces désagréments (possible puisque visible dans les ascenseurs) mais l’aspect technique très limite (surtout sur consoles) montre des erreurs bien grossières. Tenter d’échapper aux forces de l’ordre dans un appartement et se retrouver coincé en se cognant constamment à des vitres a tendance à rapidement agacer le joueur assidu. Autre erreur impardonnable : l’instant kill de certains passages. Va-t-on donner la possibilité au joueur d’utiliser les éléments comme bon lui semble ? Oh que non ! Si vous avez le malheur de vous retrouver face à un passage avec des gouttières bien visibles, vous n’aurez pas d’autre choix que de les utiliser. Même si la hauteur de saut n’est pas énorme, une autre approche vous mènera au game over pur et simple. Je laisse aux joueurs le soin de tester le passage de gauche à la sortie du repaire de Plastic et de tenter de descendre sans emprunter les gouttières, ils auront quelques mauvaises surprises… C’est d’ailleurs une problématique récurrente, preuve que le jeu n’est absolument pas sérieux : la limite de hauteur de saut que Faith peut endurer sera variable tout au long du jeu, sans qu’on sache vraiment pourquoi.
J’en viens maintenant aux activités annexes du jeu, passage obligé lorsque l’on veut effectuer un peu de monde ouvert. Livraisons par dizaines, contre-la-montre, le menu est largement conséquent pour ceux qui veulent tâter du parkour. Mais de l’autre côté du miroir, la vérité est bien moins reluisante. On y trouve des missions de livraisons avec des délais trop courts voire carrément impossibles. Les livraisons secrètes sont encore pires, puisque des patrouilles de gardes seront disséminées aléatoirement sur le chemin. Soit la chance est avec vous, soit vous tomberez dessus et la mission sera foirée. Avec un level design de misère et un chrono qui ne pardonne rien, autant vous dire qu’il vous sera impossible d’anticiper votre trajectoire pour tenter de trouver un chemin alternatif. Je ne parle même pas des contre-la-montre, puisqu’ils se résument en un parcours fléché sans possibilité de voir le point d’arrivée. Mais bon dieu, comment voulez-vous qu’on puisse anticiper un chemin plus rapide si on ne connaît même pas la destination ?
Un level design bordélique au possible, des activités annexes complètement foirées, on peut donc conclure que la partie ouverte de ce Mirror’s Edge Catalyst est catastrophique. Mais qu’en est-il des missions principales ? Fort heureusement, c’est dans ces moments-là qu’on se dit que tout n’est pas complètement perdu. Certains passages de l’histoire se déroulent dans des endroits clos, souvent en intérieur ou du moins dans des endroits bien spécifiques. Et avec bonheur, on retrouve le feeling si particulier de Mirror’s Edge. Wall-runs en pagaille, demi-tours acrobatiques, courses endiablées, on cherche le meilleur endroit pour monter de plus en plus haut, sans être arrêté par un quelconque chronomètre ou une stupide hauteur de saut craquée. Et même si on est encore en-dessous de la qualité du premier opus, la faute à un challenge inexistant et l’ajout de certains éléments comme le grappin (infect accessoire qui force le joueur à être placé au bon endroit, coupant court à votre course), les sensations sont là, encore intactes, et le temps d’une mission on retrouve le même plaisir qu’il y a quelques années. Avant de retrouver la médiocrité de ce monde ouvert…
Il faut bien comprendre que la maniabilité est toujours aussi bonne, même si subsiste quelques accrocs, comme des sauts involontaires parce que Faith ne fera pas l’action demandée. Mais c’est la structure des quartiers et la disposition de ces immeubles, ne bénéficiant d’aucune cohérence, qui rendent l’expérience beaucoup moins immersive que prévu : certes, on se retrouve souvent sur des toits. Mais on a malheureusement l’impression d’une simple succession de blocs, placés là pour faire un joli parcours. Les rues n’ont pas vraiment de logique, les panoramas ne ressemblent pas à une ville crédible : bref, ça manque d’immersion, là où, dans le premier volet, on avait vraiment la sensation de traverser un environnement urbain et crédible. Ce Catalyst propose en outre des graphismes franchement limites, mixant un design futuriste quelconque avec une multiplication des effets de verre en tout genre. On retiendra de jolies cinématiques, qui permettent de raconter une histoire certes classique mais sympathique à suivre. Mais, comparé à la beauté épurée et forte du premier volet, on se dit qu’on a perdu le directeur artistique en cours de route, mis à part sur certains niveaux plus inspirés.
On passera aussi sur les combats, qui ont le mérite d’être plus complets que le premier opus, en interdisant les armes à feu. Sauf qu’en l’état, l’IA des ennemis est simplement catastrophique. Le gameplay mise sur l’impact de vos coups pour faire s’entrechoquer les gardes, ce qui les transforme immédiatement en fêtards bourrés sortant d’une boîte à six heures du matin. Pour achever le tout, des passages de l’histoire obligent Faith à affronter une bonne quinzaine d’ennemis. Vu que certains sont équipés de fusils faisant très mal, on se retrouve à courir partout pour grappiller quelques points de santé et effectuer des bonds de cabri pour leur éclater le crâne d’un coup. Les quelques fois où l’affrontement est optionnel, le spectacle est encore plus risible, puisqu’on passera son temps à courir en rond dans la pièce pour trouver l’endroit où passer, tandis qu’une file indienne de gardes vous poursuit inlassablement…
Je ne vais pas m’appesantir : Mirror’s Edge Catalyst est une énorme déception. Dans la volonté de vouloir proposer la licence au plus grand nombre, Dice fait une erreur monumentale, que n’aurait pas reniée Jack Slater : faire du jeu un monde ouvert, en le bardant d’activités en tout genre à la Ubisoft. Mais créer un monde aussi libre sur la base du premier volet qui était bien plus linéaire était très risqué : Catalyst devient bordélique, sans cohérence, frustrant, bourré de non-sens et d’impasses. L’aspect artistique n’aide pas, ne permet aucune anticipation, la faute à une volonté de casualiser la patte graphique du premier en y rajoutant des vitres partout, ce qui a le don de ruiner la majorité des parcours. Au milieu de cet océan de médiocrité surnagent néanmoins plusieurs missions principales plaisantes car conçues dans des endroits bien à part et bien davantage maîtrisés, tout comme certaines missions secondaires. Mais c’est bien peu. Dans la volonté de révéler une licence unique au grand public, Dice et Electronic Arts n’ont fait que l’uniformiser de la plus mauvaise des manières, en sacrifiant ce qui faisait sa force et son audace pour satisfaire le plus grand nombre. Et c’est ironiquement ce qui causera la perte de ce second épisode.