En dépit des motifs prétendument nobles que nombre d'entre eux revendiquent, les protagonistes de RPG érigés en héros sauveurs d'un royaume ou du monde ne sont pas exempts de critiques. En effet, comme s'ils considéraient que la fin justifiait les moyens, ils n'hésitent pas à entrer sans permission dans les demeures des personnages secondaires pour fouiller le moindre meuble et dérober tout objet susceptible de les aider à accomplir leur mission. En parallèle, tout au long de leur périple, ils tuent d'innombrables êtres appelés "monstres", comme si ce terme déresponsabilisait leurs actes meurtriers, tandis qu'ils perçoivent ces massacres comme un mal nécessaire pour améliorer constamment leurs prouesses martiales en vue de surmonter les obstacles auxquels ils sont confrontés. Ces comportements sont si récurrents dans les RPG japonais qu'en tant que joueurs et joueuses, nous ne semblons plus y prêter attention, comme si nous comprenions implicitement les raisons qui poussent les protagonistes à agir ainsi, ou que, résignés, nous considérions qu'ils font partie intégrante de ce genre de jeu et qu'ils sont ainsi inévitables. Ces constats reflètent les réflexions que Yoshirō Kimura, Kazuyuki Kurashima et Tarō Kudō énonçaient au cours de leurs pauses déjeuner lorsqu'ils travaillaient pour Square; le premier a participé aux développements de Romancing SaGa 2 et de Romancing SaGa 3, tandis que ces derniers ont contribué à la conception de Super Mario RPG: Legend of the Seven Stars. Dans les années quatre-vingt-dix, Square a massivement accueilli de nouveaux employés du fait de son influence grandissante. Le changement d'ambiance qui a résulté de cette évolution a déplu à Yoshirō Kimura, qui préférait les environnements de travail impliquant un effectif réduit, et l’a poussé à quitter cette entreprise. Alors qu'il pensait mettre fin à sa carrière dans le jeu vidéo, ses anciens collègues l'ont invité à rejoindre Love-de-Lic. Ce studio qui regroupait plusieurs anciens membres de Square a été fondé en 1995 par Kenichi Nishi, qui a participé aux développements de Chrono Trigger et de Super Mario RPG: Legend of the Seven Stars. Love-de-Lic a permis la création de trois jeux atypiques, moon[1] (1997), UFO: A Day in the Life (1999) et L.O.L.: Lack of Love (2000), avant de fermer ses portes en 2000. Il y régnait une ambiance détendue et l'improvisation constituait le mot d'ordre: si Yoshirō Kimura est désormais conscient que cette méthode se révélait peu productive, il déclare également que ce chaos libérateur a grandement stimulé sa créativité et lui a permis de concrétiser des idées qu'il ne pensait pas pouvoir exprimer lorsqu'il travaillait pour Square. Sorti au Japon sur PlayStation le 16 octobre 1997, un jour de pleine lune, moon cultive cet esprit rebelle en se définissant comme un "anti-RPG" qui interroge des lieux communs durablement ancrés dans les RPG. Ce jeu aurait également dû paraître aux États-Unis: sa localisation a été entreprise dès 1997 et il a été présenté au salon de l'E3, mais sa sortie a finalement été annulée pour des raisons qui demeurent inconnues. Toby Fox, le créateur d'Undertale et de Deltarune, a déclaré que le concept de moon constitue l'une des principales sources d'inspiration de son premier jeu, même s'il n'a pas pu y jouer à cause de la barrière de la langue. Une vingtaine d'années plus tard, le titre de Love-de-Lic est réédité sur Switch le 10 octobre 2019 au Japon par le studio fondé par Yoshirō Kimura, Onion Games. Un jour, au détour d'une conversation autour d'un café, Toby Fox a demandé à Yoshirō Kimura pourquoi ce jeu n'a jamais dépassé les frontières du Japon. Pris au dépourvu, le second s'est contenté de répondre au premier qu'il lui était impossible d'envisager une localisation de moon. Alors que Yoshirō Kimura repensait ultérieurement à cet échange avec Toby Fox, qu'il respecte et considère comme un ami du fait qu'il a eu plusieurs fois l'occasion de discuter avec lui, la possibilité de permettre au jeune développeur indépendant d'enfin pouvoir jouer à ce jeu a constitué l'une des raisons qui l'ont motivé à le publier hors du Japon. Ainsi, le 27 août 2020, moon est sorti sur l'eShop de la Switch dans le reste du monde, avant de paraître également sur le PlayStation Store de la PlayStation 4 et sur Steam en décembre 2021.


Happé par les images qui se succèdent à l'écran, un garçon joue à un RPG qui ressemble curieusement au premier Dragon Quest. Il y incarne un preux chevalier pourfendeur de monstres qui a pour mission de vaincre le dragon qui menace l'avenir du royaume de Lovedegard. À la fin de son long périple, alors que le protagoniste s'apprête à infliger le coup de grâce au boss final, le jeune joueur est brusquement ramené dans le monde réel par la voix de sa mère, qui lui ordonne d'arrêter de jouer et d'aller se coucher. Tandis qu'il s'exécute, la télévision se rallume soudainement et l'aspire dans un monde qui lui paraît étrangement familier. Un chevalier portant une lourde épée et une armure massive se rend au château du roi, et alors que ce visiteur inhabituel éveille la curiosité de plusieurs citoyens et citoyennes, l'enfant se rend compte qu'il ne peut prendre part à leurs conversations du fait qu'il est invisible. Pendant que le héros poursuit aux quatre coins du village un chien inoffensif, le garçon rencontre une femme âgée nommée Gramby. Bien que cette dernière soit aveugle, elle semble sentir la présence de l'enfant et le confond avec son petit-fils, porté disparu, avant de l'accueillir dans sa modeste demeure. Au cours de son sommeil, le garçon rêve d'une reine qui l'enjoint de rendre service aux individus qu'il rencontre afin d'être en mesure d'ouvrir la Porte de la lumière. Le lendemain, Gramby remet à notre jeune protagoniste des vêtements qui ont probablement appartenu à son petit-fils et qui permettent aux autres personnages de le voir, avant de lui demander de lui acheter du pain chez le boulanger du village situé près de chez elle.


Dès vos premiers pas, vous comprenez rapidement que votre protagoniste a été téléporté dans le monde du RPG auquel il a joué. Cependant, la réalité qui est ici dépeinte diffère radicalement de celle exposée par le jeu qui s'en inspire, comme si ces deux versions de Lovedegard confrontaient deux points de vue opposés. Le RPG auquel jouait le garçon exhibe la vision déformée que le héros possède de l'univers qu'il arpente. Il est convaincu que les personnages secondaires l'admirent, le respectent, voire l'idolâtrent, qu'ils sont ravis de le voir entamer sa noble quête, et que pour s'assurer qu'il saura mener celle-ci à bien, ils l'encouragent à entrer dans leurs modestes demeures afin qu'il puisse récupérer tout objet qui lui semble utile. Il perçoit un inoffensif chien comme un canidé agressif qui souffre de la rage, et bien qu'il ne gagne aucun point d'expérience pour avoir tué ce malheureux animal dont le seul tort a été de croiser son chemin, il est persuadé que sa force a augmenté. Il perd patience et déchaîne un puissant sortilège sur un adversaire faible, afin de s'en débarrasser le plus rapidement possible. Il est prompt à verser le sang de tout être dont l'apparence lui déplaît, et il pense alors qu'une petite fille l'implore de la sauver d'un redoutable monstre qui se révèle être son animal de compagnie. Or, dès qu'il explore lui-même cet univers, le garçon se rend compte que le comportement du héros suscite des réactions négatives de la part des individus qui l'ont rencontré, et que les créatures qui ont été abattues ne demandaient qu'à vivre paisiblement.


Dès votre arrivée dans le monde de Lovedegard, moon se permet de tourner en dérision de nombreux poncifs de RPG japonais, mais également des habitudes que vous développez à force de jouer aux titres de ce genre, et qui sont entretenues par des éléments de game design que plusieurs d'entre eux partagent. Du fait des restrictions techniques imposées par les supports de jeux de l'époque, de nombreux RPG japonais sortis au XXe siècle possèdent un système de combat sommaire. Pour pallier artificiellement leur courte durée de vie, la progression tend à être régulièrement entravée par des ennemis particulièrement puissants ou des donjons véritablement éprouvants à explorer, des cache-misère qui obligent à constamment effectuer du level up du fait qu'ils imposent fréquemment d'abruptes hausses de difficulté. Cette pratique consiste à provoquer volontairement d'innombrables combats en peu de temps, en restant si possible près d'une source de soin inépuisable (généralement, un village ou une ville), afin de permettre aux protagonistes de considérablement et rapidement améliorer leurs aptitudes martiales, pour qu'ils puissent à terme surmonter un écart soudain et important de puissance entre eux et leurs adversaires. Cette activité chronophage tend désormais à être perçue comme du remplissage, car les évolutions techniques que connaissent les supports de jeux au fil du temps permettent de proposer des systèmes de combat de plus en plus complexes, qui peuvent privilégier le sens de la stratégie, ou du moins la capacité des joueurs et des joueuses à prendre en compte les différents paramètres qui sont à leur disposition pour se défaire des ennemis auxquels ils sont confrontés. Il en résulte que de nos jours, nous pouvons considérer qu'un RPG qui s'obstine à imposer des sessions de level up souffre d'un game design déséquilibré ou perfectible. Or, à l'époque de la sortie initiale de moon, cette contrainte était encore largement répandue dans ce genre de jeu, en dépit du fait que les systèmes de combat commençaient à s'étoffer. Cette pratique impose une routine si répétitive qu'elle tend à endormir notre vigilance, ce qui nous pousse à abattre sans discrimination le moindre monstre déclenchant un affrontement, y compris les plus faibles d'entre eux, alors qu'ils se révèlent inoffensifs et rapportent ainsi peu de points d'expérience. En outre, même lorsqu'ils n'obligent pas à effectuer régulièrement du level up, les RPG japonais tendent à exiger implicitement que les protagonistes gagnent des niveaux tout au long de l'intrigue en vainquant régulièrement des ennemis qui se dressent sur leur chemin, sous peine à terme d'être incapables de tenir tête au moindre adversaire. Dans moon, le héros semble complètement dominé par sa soif de pouvoir, et cette obsession l'incite à tuer toute créature qui a le malheur d'apparaître dans son champ de vision, quel que soit son degré d'hostilité et de menace. Le village abrite un panneau sur lequel sont relatés l'évolution en puissance de ce personnage et sa progression dans sa quête. Au cours de vos excursions, vous pouvez être témoin à plusieurs reprises des massacres qu'il commet, l'apparition de cet intimidant guerrier vêtu de métal étant annoncée par le bruit sourd de son armure et des musiques dont les sonorités inquiétantes caractérisent habituellement les antagonistes. Les cadavres mutilés des créatures qu'il a occises jonchent les sols qu'il a foulés. Ces êtres infortunés se manifestent sous une forme spectrale aux yeux des individus doués de compassion en errant aux alentours du lieu de leur trépas. Pour mieux souligner son propos, moon ne considère pas ces créatures comme des monstres, mais comme des animaux. Vous devez les sauver en attrapant leurs âmes: un extraterrestre apparaît alors après chaque capture pour les escorter sur la lune, et il récompense vos efforts en vous offrant un sac de Yenoms (la monnaie du jeu). Si les premiers animaux rencontrés se laissent aisément approcher, d'autres nécessitent en revanche de faire preuve d'observation, de ruse ou de rapidité, tandis que d'autres encore apparaissent après que vous avez rempli une condition précise ou résolu des puzzles.


Habituellement, accomplir des quêtes facultatives pour le compte de personnages secondaires intéresse les protagonistes de RPG pour une raison purement pragmatique: les récompenses promises par leur résolution peuvent faciliter leur périple. Ces objectifs annexes tendent à constituer des activités peu enthousiasmantes, comme s'improviser livreur d'objets en effectuant de fastidieux et ennuyeux allers-retours. Dans moon, aider les habitants et habitantes de Lovedegard s'avère indispensable, mais les quêtes qui leur sont dédiées se révèlent intéressantes et marquantes du fait qu'elles vous poussent à réellement vous préoccuper des personnages secondaires. Que font-ils parallèlement à l'aventure entreprise par le protagoniste? Leur raison d'être se résume-t-elle à lui indiquer le nom de la ville dans laquelle il vient d'arriver, à lui vendre des objets, à lui permettre de se reposer, ou à l'informer des évènements qui se produisent dans la région afin de l'orienter vers sa prochaine destination? Ne servent-ils vraiment qu'à fournir une illusion de vie dans les lieux qu'ils fréquentent? Sont-ils aussi oisifs que leur immobilité ou leurs déplacements restreints le laissent penser? Tolèrent-ils véritablement de voir le protagoniste fouiller leurs demeures pour dérober leurs objets de valeur ou leurs maigres économies? Sont-ils aussi anecdotiques que nombre de RPG le laissent penser, lorsque ces derniers se gardent de leur accorder ne serait-ce qu'une modeste place dans leur récit? Ce sera à vous de répondre à ces questions ainsi qu'à de multiples autres au fil de vos investigations, en examinant le moindre recoin de votre environnement, en vous montrant à l'écoute des habitants et habitantes de Lovedegard, ou encore en prêtant attention à leurs habitudes et à leurs souhaits. Le monde que vous explorez est rythmé par une alternance entre le jour et la nuit, tandis que les journées sont organisées en semaines. Chaque personnage secondaire peut se déplacer et se livrer à des activités à certains moments de la journée ou au cours de certains jours précis, et il répète ces actions d'une semaine à une autre. Par exemple, un individu qui aime s'adonner à la pêche pratique ce loisir plusieurs fois par semaine en journée, mais profite des jours pendant lesquels les insectes qu'il utilise comme appâts sortent de leur repaire pour reconstituer son stock. Pour être en mesure d'identifier et de comprendre les routines de ces différents personnages, il est nécessaire de se montrer attentif pendant les dialogues, mais également de faire preuve d'observation, de curiosité et de patience, voire de persévérance. Si certains d'entre eux souhaitent uniquement récupérer un objet auquel ils tiennent ou confier leurs inquiétudes, d'autres exigent en revanche davantage d'investissement, quand il n'est pas nécessaire de résoudre au préalable les problèmes d'autres individus. Vous êtes alors amené à rencontrer au cours de vos excursions une galerie de personnages hauts en couleur, comme un roi à l'attitude insouciante qui semble négliger ses devoirs de souverain, un oiseau qui fait preuve d'une grande curiosité et qui sombre dans l'embarras quand il est confronté à un objet dont il ignore l'utilité, une jeune serveuse qui rêve de devenir chanteuse le temps d'un concert improvisé, ou encore un boulanger qui prépare d'une curieuse façon les pains qu'il vend. Du fait de l'importance que moon accorde à chacun de ces individus de pixels, il est impensable qu'il suive la tendance à dupliquer les sprites et modèles[2] des personnages secondaires dans laquelle de nombreux RPG se sont enlisés. Ainsi, les personnages secondaires possèdent chacun leur propre apparence et se distinguent aisément les uns des autres, leur character design singulier pouvant contribuer à mettre en valeur leur personnalité ou leur activité de prédilection. En outre, ils présentent chacun un prénom, ou du moins une dénomination qui leur est propre. Ils s'expriment dans un langage oralement inintelligible, ce qui accentue la sensation de visiter un monde duquel vous êtes étranger, tandis que les intonations qu'ils adoptent achèvent de définir leur caractère respectif. Il s'avère toutefois que quelques individus partagent les mêmes caractéristiques, mais ce détail n'est pas dû à de la négligence, car il est justifié par leur nature. Ainsi, alors que les récits des RPG tendent habituellement à les délaisser, les personnages secondaires sont au centre du scénario de moon. Ici, vous n'incarnez pas le héros et votre personnage ne dispose pas de pouvoirs ou de qualités hors du commun. Au contraire, votre protagoniste est un garçon littéralement invisible, dont la présence est signalée uniquement par les vêtements qu'il porte, et son effacement permet de mieux mettre en valeur chacun des personnages secondaires que vous rencontrez.


Ainsi, moon déconstruit ou détourne des poncifs si connus des joueurs et joueuses de RPG que ceux-ci n'y prêtent plus attention. Vous ne devez pas tuer des monstres, mais gagner la confiance d'animaux terrifiés par la cruauté dont le héros a fait preuve à leur égard. Les RPG peuvent vous inciter à prendre le temps d'écouter le moindre personnage secondaire que vous rencontrez vous confier ses espoirs et ses déboires, une habitude qui prend ici tout son sens, puisqu'elle vous permet de vous renseigner sur les envies et les inquiétudes qu'éprouvent les habitants et habitantes de Lovedegard, auxquels vous devez nécessairement vous intéresser pour mener à bien la quête principale confiée par la reine. Pourtant, si vos actions dans moon ne vous amènent ni à faire preuve d'héroïsme ni à accomplir des hauts faits que peu d'individus seraient capables de réaliser, vous comprenez rapidement que se déplacer dans le monde de Lovedegard ne constitue pas pour autant une tâche aisée. En effet, des actes habituellement considérés comme banals, comme discuter avec des personnages secondaires, exigent ici de l'investissement. Après avoir pris connaissance de votre mission, alors que vos réflexes de joueur ou de joueuse de RPG vous poussent à flâner dans le village pour discuter avec ses habitants et habitantes, votre protagoniste s'effondre subitement et l'écran de Game Over apparaît. Il s'avère que vos déplacements sont restreints par la jauge d'endurance qui est représentée par des cœurs rouges dans le menu. Elle est proportionnelle à votre niveau d'amour, qui croît à mesure que vous aidez les animaux et les personnages secondaires qui peuplent Lovedegard. Or, comme il est au plus bas au début du jeu, vous disposez d'un court temps d'action, et vous ne pouvez ainsi vous mouvoir que sur une superficie restreinte. Vous comprenez alors que la requête que Gramby vous a confiée doit être accomplie en priorité, bien qu'elle ait précisé que vous pourrez la réaliser quand vous aurez le temps, et vous appréciez les cookies cuisinés avec amour qu'elle vous a offerts à votre réveil. En effet, il est possible de prolonger une excursion en consommant de la nourriture, le nombre de points d'endurance soignés dépendant de l'aliment ingéré. En début de partie, vous êtes ainsi contraint de limiter vos investigations aux environs de la demeure dans laquelle vous séjournez. Cependant, si vos premiers pas sont comptés du fait que la moindre errance peut vous être fatale, vous pouvez considérablement prolonger vos excursions à mesure que vous aidez des personnages secondaires et des animaux, et ainsi couvrir une superficie de plus en plus large. Votre protagoniste peut alors rester éveillé pendant au moins une journée entière, une performance qui s'avère indispensable pour suivre les individus qui possèdent des routines complexes, qui se montrent particulièrement difficiles à satisfaire, ou qui fréquentent des lieux reculés. Votre protagoniste récupère son endurance en se reposant dans un lit: si, au début du jeu, vous n'avez accès qu'à celui de la maison de Gramby, vous ne tarderez pas à en trouver un second qui vous permettra d'atteindre plus facilement les recoins les plus éloignés du monde de Lovedegard. Les lits permettent aussi de sauvegarder, ainsi que de gagner des niveaux d'amour si le protagoniste a amassé suffisamment de points d'expérience en aidant des animaux et des personnages secondaires. Des raccourcis peuvent être débloqués pour accéder plus rapidement aux lieux les plus reculés, mais comme ils sont à sens unique, le trajet du retour devra être effectué intégralement à pied. Il est de surcroît nécessaire de prendre en compte le fait que le protagoniste ne peut pas courir, et qu'il traîne les pieds lorsque sa jauge d'endurance est presque vide du fait qu'il menace de s'évanouir. L'obligation de marcher peut désormais paraître inconcevable du fait que de nombreux jeux sortis au XXIe siècle permettent de faire courir le protagoniste, voire imposent la course comme vitesse de déplacement par défaut. Or, qu'il s'agisse d'une contrainte technique ou d'un choix de game design, la lenteur avec laquelle se meut le protagoniste corrobore les propos de moon. En effet, vous n'incarnez pas un être destiné à réaliser de grands exploits ou possédant de prodigieux pouvoirs, mais un garçon ordinaire que des excursions plus ou moins longues finissent fatalement par épuiser. Comme pour mieux étayer cette remarque, il s'assied dès que vous avez cessé de lui demander de se déplacer depuis quelques secondes. Rendre visite à des individus plus ou moins isolés l'oblige à développer son endurance, et la reconnaissance que lui témoignent ceux-ci le motive en retour à prolonger constamment ses investigations afin de pouvoir davantage les aider. Ainsi, alors que les RPG tendent à se focaliser sur la montée en puissance de leurs protagonistes, les exploits qu'ils réalisent au cours de leurs aventures et l'évolution de leur personnalité, moon s'approprie intelligemment le concept de progression inhérent à ce genre de jeu pour l'adapter de façon pertinente à son game design ainsi qu'aux objectifs que vous devez accomplir. Il en résulte que la jauge d'endurance conditionne la durée de vos déplacements: si vous êtes initialement contraint d'effectuer de nombreux allers-retours entre les personnages que vous souhaitez aider et les lits pour vous reposer, vous bénéficiez peu à peu d'une plus grande liberté d'action qui vous permet de mener à bien les objectifs les plus complexes. Cette hausse constante du temps de déplacement vous permet ainsi de découvrir progressivement que l'univers de moon repose sur une structure ouverte et non linéaire. Rien ne vous empêche alors de délaisser temporairement une quête dans laquelle vous êtes bloqué pour en résoudre d'autres ou visiter des lieux qui vous sont encore inconnus. Comme pour mieux encourager l'exploration et la curiosité, moon restreint les informations auxquelles vous avez accès: en plus de représenter la quantité d'endurance restante sous forme de cœurs, le menu se contente d'indiquer votre niveau d'amour actuel sans préciser le nombre de points d'expérience requis pour atteindre le palier suivant (seule la reine peut vous communiquer cette information), la quantité de Yenoms que vous possédez, le nombre de journées écoulées depuis le début de la partie ainsi que le nom du jour en cours.


Vos investigations au sein de Lovedegard vous plongent dans les coulisses d'un RPG exposant des poncifs qui étaient courants dans ce genre de jeu au XXe siècle. Vous apprenez également comment sont créés les effets graphiques qui nimbent le héros pour le mettre en valeur, comme l'arc-en-ciel qui apparaît lorsqu'il brandit son épée au début de son aventure. Il s'avère que cet imposant guerrier ne pousse pas grâce à sa force prodigieuse les rochers qui bloquent son passage: ce sont eux qui s'empressent de s'écarter de son chemin, incommodés qu'ils sont par cet individu importun. Ainsi, moon assume complètement son statut de jeu vidéo et vous surprend constamment en vous confrontant à des situations variées. Comme l'univers que vous arpentez s'avère condensé et occupe une surface restreinte, il peut donner l'impression de passer abruptement d'un type d'environnement à un autre. Cependant, ce choix de level design lui permet de privilégier la qualité à la quantité en restreignant la présence d'espaces vides. Chaque zone comporte alors son lot de points d'intérêt: rien n'est là par hasard, et le titre ne cherche pas à retenir votre attention plus que de raison, le fait que Lovedegard constitue une île achevant de justifier sa superficie restreinte mais généreusement remplie. Que ce soit pour aider les personnages secondaires ou les animaux, ou, à terme, pour accomplir la mission confiée par la reine, progresser dans moon implique de résoudre des situations de jeu et des puzzles qui font preuve d'une grande créativité. Vous êtes ainsi amené à jouer une séquence musicale en rythme avec des singes, à répéter des incantations prononcées par un shaman en identifiant promptement la graphie correcte parmi celles qui apparaissent à l’écran, ou encore à vous improviser linguiste de terrain le temps de déchiffrer le langage d'un peuple lilliputien à l'aide d'un lexique contenu dans des puces électroniques. Ces dernières comportent de précieux indices, notamment pour compléter la quête principale, à condition cependant que vous parveniez à comprendre leur signification. Vous pouvez connaître le nombre d'animaux que vous avez sauvés en regardant une émission télévisée dans le second logement dans lequel le protagoniste peut se reposer, tandis qu'examiner leurs cadavres permet d'obtenir des renseignements sur la méthode à employer pour attraper leurs âmes. Quant à l'oiseau qui fréquente habituellement la place du village, il se targue de posséder une excellente culture générale, et il peut ainsi vous expliquer l'utilité de plusieurs des objets qui ne tarderont pas à s'entasser dans votre inventaire. En effet, ceux-ci occupent une place importante dans moon, et vous en récoltez ainsi constamment tout au long de votre séjour à Lovedegard. Néanmoins, en dépit de l'aide qu'il consent à vous fournir, le jeu vous oblige à faire preuve de débrouillardise: il vous pousse à vous familiariser avec son univers, à vous approprier ses différents environnements, à décrypter les indices que comportent les puces électroniques, ainsi qu'à comprendre par vous-même la démarche à suivre pour sauver l'âme d'un animal défunt, pour rendre service à un personnage secondaire et pour accomplir la mission confiée par la reine. Comme aucune trace n'est conservée de l'avancement dans vos quêtes et des informations que vous obtenez à propos des personnages secondaires, vous pouvez ressentir le besoin de prendre des notes parallèlement à votre progression. Ce caractère cryptique s'avère intentionnel et fait inévitablement penser à Myst, que les développeurs de moon affectionnent et dont ils se sont inspirés. Cette absence de dirigisme peut rebuter à l'heure où de nombreux jeux se plaisent à constamment vous guider, y compris contre votre gré, mais contribue indéniablement à la sensation d'explorer un monde duquel vous êtes étranger, et dont vous devez découvrir vous-même la géographie, les habitants et habitantes, ainsi que le fonctionnement.


Bien que l'exploration de certains lieux et les apparitions du héros soient accompagnées de thèmes reprenant des poncifs musicaux communément associés aux RPG, comme les sonorités un brin grandiloquentes de la musique du château, l'univers de moon baigne essentiellement dans du silence ou des bruitages environnementaux. Cependant, il est possible de combler ce vide musical grâce au tourne-disque portable qui se trouve dans l'inventaire. Cet objet vous permet de lire des CD comportant une seule piste et que vous pouvez récupérer au cours de vos excursions ou acheter auprès du disquaire. Ces compositions ont été réalisées par des artistes indépendants et convoquent des genres musicaux variés, comme des rythmes électro effrénés, de la musique japonaise traditionnelle, des thèmes d'ambiance planants, ou encore des pistes expérimentales. Ces CD vous permettent de créer vos propres playlists que vous pouvez modifier à tout instant au gré de vos envies. Néanmoins, la possibilité de personnaliser l'atmosphère musicale des zones explorées peut déplaire. En effet, la musique tend à faire partie intégrante d'un jeu du fait qu'elle contribue à immortaliser votre voyage virtuel en suscitant des émotions variées, en accompagnant les scènes majeures de l'intrigue, ou encore en soulignant l'ambiance d'un lieu. Par conséquent, il est possible de penser que choisir soi-même les pistes diffusées revient à couper le son du jeu pour écouter d'autres musiques. Cette pratique indigne de nombreux joueurs et joueuses, car ceux-ci considèrent qu'elle nuit à l'ambiance, à l'immersion, ou encore aux émotions que les jeux cherchent à faire ressentir. Or, il s'avère que ce parti pris surprenant sert heureusement les propos de moon. Comme le protagoniste n'accomplit pas d'exploits hors du commun, ne s'aventure pas dans des lieux dangereux et n'affronte pas de créatures hostiles, de nombreux codes musicaux traditionnellement associés aux RPG paraîtraient décalés par rapport à l'intention affichée par le scénario, à savoir faire découvrir les coulisses d'un titre de ce genre et la vie menée par les personnages secondaires en incarnant un individu ordinaire. En outre, même si vous aimez la bande-son d'un jeu, vous pouvez fatalement éprouver un sentiment de lassitude à force d'entendre continuellement les mêmes pistes. Les thèmes d'exploration en particulier tendent à se répéter en boucle jusqu'à ce que vous effectuiez une action qui les interrompt, l'ennui grandissant qu'ils engendrent pouvant être empiré par la taille de la zone visitée, la durée plus ou moins courte de la musique jouée, ou encore le fait de bloquer sur les puzzles qui entravent la progression. Il semble alors logique qu'un jeu qui se moque des poncifs des RPG cherche à détourner ou à corriger avec créativité ce défaut dont de nombreux représentants de ce genre peuvent souffrir. La musique des jeux vidéo se révèle fréquemment extra-diégétique, puisque souvent, les personnages qu'ils mettent en scène ne l'entendent pas du fait qu'elle n'appartient pas au monde qu'ils habitent. Or, dans moon, les musiques proviennent du tourne-disque du protagoniste, et rendre service à certains individus requiert de jouer une piste qu'ils souhaitent écouter. Enfin, aider les animaux et les personnages secondaires peut vous pousser à les suivre afin de comprendre leur routine, ou à les attendre dans le lieu dans lequel ils se rendent à un moment précis d'un des jours de la semaine. Ces activités chronophages vous obligent à faire preuve de patience, et constituer une playlist composée de pistes que vous appréciez vous permet alors de passer le temps agréablement. Néanmoins, il est possible que vous n'ayez pas envie d'écouter ces musiques parce que vous avez besoin de calme, ou parce que vous préférez vous imprégner de l'ambiance sonore des lieux que vous traversez, qu'il s'agisse du bourdonnement continu des ordinateurs de Technopolis ou encore de chants d'oiseaux.


Si moon se plaît à tourner en dérision de nombreux poncifs de RPG, il n'oublie pas pour autant de développer son scénario et de traiter celui-ci avec nuance. Le héros est présenté sous un angle négatif, et le bruit de métal qui résonne à chacun de ses pas tend à intimider les individus qui se trouvent dans les parages, mais sa lourde épée ainsi que son armure massive semblent grandement entraver ses déplacements et constamment l'épuiser. En outre, vous pouvez recueillir au cours de vos investigations de sombres révélations à son sujet. Vous apprenez alors qu'il possède une destinée peu enviable, et que la notion de level up est perçue comme une malédiction provoquée par un équipement puissant mais insidieux. Durant son aventure, ce personnage connaît également une période de découragement: alors qu'il cherche en vain depuis plusieurs jours le château du dragon, il finit par noyer ses soucis dans l'alcool avant de sombrer dans un profond sommeil. Initialement, moon comportait un évènement scénaristique qui se focalisait sur la quête de rédemption que le héros devait entreprendre après avoir massacré la faune de Lovedegard, mais il a finalement été écarté de la version finale du jeu. Bien qu'ils soient inutilisés, ces passages supplémentaires sont présents sur le disque de la version PlayStation, et ils ont depuis été extraits et traduits en anglais[3]. Les membres d'Onion Games ont songé à intégrer ce contenu délaissé pendant qu'ils réalisaient le portage sur Switch, avant de finalement décider de publier le titre dans son état original afin de ne pas dénaturer l'expérience. Alors que les jeux tournés en dérision par moon constituent les RPG japonais publiés au XXe siècle, il s'avère que ses propos restent d'actualité. Le titre de Love-de-Lic est sorti en 1997, soit l'année de la parution en Occident de Diablo, un action/RPG qui place la montée en puissance du protagoniste au centre de son game design, en poussant celui-ci à tuer le moindre adversaire qu'il rencontre pour récolter ses objets ainsi que des points d'expérience; ce concept est à l'origine du genre du Hack'n Sash, qui peut également être appelé Diablo-like. Ainsi, il s'avère que l'objectif affiché par le titre de Blizzard s'oppose ironiquement au point de vue émis par moon à propos de la notion de level up. En outre, au XXIe siècle, en dépit du nombre grandissant de RPG qui privilégient la stratégie au level up, l'idée de montée en puissance ne cesse de gagner en importance dans les autres genres de jeux vidéo. Désormais, de nombreux titres succombent à cette obsession pour les nombres représentant les capacités martiales des personnages et leur progression, tandis que les jeux soumis aux micro-transactions peuvent imposer du level up aux joueurs et aux joueuses qui refusent de débourser de l’argent réel pour avancer plus rapidement dans leur partie. Néanmoins, bien qu'il se plaise à interroger des habitudes profondément ancrées dans les RPG, moon n'est pas prétentieux pour autant. Il dévoile les travers de ce genre de jeu en les tournant en dérision, sans se montrer hautain ou orgueilleux, et en traitant ces thématiques avec humour, voire avec auto-dérision. L'épilogue utilise habilement les codes du jeu vidéo pour conclure le scénario de façon surprenante, poignante et marquante, tandis que le générique s'achève sur une image qui parvient à nous arracher un dernier sourire, avant que le jeu n'exige avec insistance que nous éteignions la console.


La sortie occidentale de moon a longtemps constitué un doux rêve que seuls des fans motivés pour réaliser une traduction anglaise auraient éventuellement pu concrétiser. Finalement, ce songe qui paraissait inaccessible est devenu réalité en 2020, une bonne nouvelle qui semble d'autant plus inespérée que ce titre n'intéresse probablement qu'une maigre frange de joueurs et de joueuses. Pourtant, ironiquement, il s'avère que les propos de moon ont gagné en justesse au fil du temps. En effet, les jeux vidéo affichent une obsession grandissante pour le concept de montée en puissance ainsi que pour les nombres quantifiant cette progression. Par conséquent, ces éléments ne constituent plus l'apanage des RPG, car le level up peut désormais s'imposer dans des genres dans lesquels cette pratique chronophage était auparavant inexistante. Tandis que ses développeurs constatent que de nombreux RPG se succèdent en se ressemblant, moon vous propose de suivre les coulisses d'un jeu qui respecte les codes traditionnels de ce genre, mais en adoptant un point de vue peu commun. Vous y incarnez un garçon ordinaire qui a pour objectif de réparer les torts causés par un héros absorbé par sa soif de pouvoir, et qui doit alors prêter attention aux êtres habituellement délaissés par les récits des RPG: les personnages secondaires, dont l'appellation même trahit le caractère dispensable que le scénario leur attribue, ainsi que les créatures réduites à constituer des sources de points d'expérience et qui sont communément appelées "monstres", comme si ce nom devait atténuer l’impact émotionnel ressenti lors de leur trépas. Il en résulte un jeu d'aventure qui détourne plusieurs poncifs des RPG en faisant constamment preuve de créativité pour renouveler les situations auxquelles vous êtes confronté, et qui s'achève sur une fin aussi déconcertante que mémorable. Cette propension de moon à s'interroger sur les habitudes des RPG avec facétie mais sans se montrer prétentieux le rapproche inévitablement d'EarthBound. Les joueurs et joueuses qui affectionnent la licence MOTHER pourront alors retrouver dans ce titre des idées, des thématiques et des angles d'approche similaires à ceux que la série créée par Shigesato Itoi se plaît à explorer.



Notes de bas de page

[1] Le titre complet est moon: Remix RPG Adventure, mais il tend à être raccourci en moon depuis la parution du jeu sur Switch. Par souci de concision, ce titre abrégé et intégralement composé en minuscules sera utilisé dans cet article pour désigner le jeu.

[2] Dans un jeu vidéo, le sprite d'un personnage est sa représentation graphique en 2D, tandis que son modèle est sa représentation graphique en 3D.

[3] Ce contenu délaissé dans la version finale peut être visionné en anglais dans la vidéo suivante : https://www.youtube.com/watch?v=OCNNXKtL01c.



Informations complémentaires

-Version utilisée: Switch (eShop)

-Autres versions disponibles: PlayStation (japonais uniquement), PlayStation 4 (PlayStation Store), PC et Mac (Steam)

-Langue française disponible? non



Bibliographie

-"A Game Without Killing: The Story of Moon's 22-Year Journey to Leave Japan": https://www.vice.com/en/article/m7jw78/a-game-without-killing-the-story-of-moons-22-year-journey-to-leave-japan

-"Moon: Remix RPG Adventure: Famitsu Switch Port Interview": https://vgperson.com/posts.php?p=moonswitchfamitsu

-"Onion Games interview with Moon writer Yoshiro Kimura at TGS 2019": https://web.archive.org/web/20190919214400/https://www.gematsu.com/2019/09/onion-games-interview-with-moon-writer-yoshiro-kimura-at-tgs-2019

-Site MobyGames

-Article rédigé par Exelen sur le site L'Antre de la Fangirl (il comporte de nombreuses informations, notamment sur la bande-son, le guide officiel et le contenu scénaristique abandonné, ainsi que des analyses sur les interprétations possibles du scénario): https://www.fangirl.eu/2017/12/28/moon-remix-rpg-adventure-review-psone/



Autres ressources

-Manuel en anglais au format pdf: https://moon-rpg.com/en/sub/manual.html

-Deux vidéos sous-titrées en anglais dans lesquelles Yoshirō Kimura évoque les raisons qui l'ont poussé à délaisser les évènements scénaristiques centrés sur le héros, ainsi que les conséquences que cette décision a engendrées sur le développement du jeu (N.B. Ces vidéos spoilent le scénario): https://www.youtube.com/watch?v=DLgU3hMVkLA et https://www.youtube.com/watch?v=mGBRgqlxjwo

-Deux vidéos consacrées à Yoshirō Kimura sur la chaîne YouTube Archipel: https://www.youtube.com/watch?v=vJrTBO0SRXg (sous-titres disponibles en français) et https://www.youtube.com/watch?v=ZKffVjgU4wY (sous-titres disponibles en anglais).

Icia_
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le 7 mai 2024

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