Soyons clair : j'avais lancé ce No Man's Sky avec l'appréhension que le jeu me tomberait rapidement des mains. J'ai toujours été, en effet, plus que sceptique sur le fameux adage du joueur qui se créera lui même sa propre histoire en répétant indéfiniment les mêmes actions répétitives dans un monde ouvert impersonnel, principe très prisé d'Ubisoft et sa boulimie consumériste ainsi que des développeurs plus enclins à la paresse créative qu'à un Game Design soigné. Et les premières heures de ce No Man's Sky ont presque failli me conforter en ce sens tant les premières heures de tutoriel s'avèrent quelque peu laborieuses avec une accumulation envahissante de minéraux à collecter, d'autant que mes parties de Deep Rock Galactic m'ont également enseignés que je n'étais pas spécialement adepte de jouer les mineurs de l'espace.
Toutefois, comme ma note en atteste déjà, le charme a bien fini par opérer mais il a fallu surmonter une certaine austérité persistante durant les premiers instants de cette découverte infinie et ce alors même que de nombreux écueils techniques du titre appartiennent désormais au passé; mais même si les vaisseaux ne s'encastrent plus dans le sol, même si les créatures ont cessées de s'agiter dans tous les sens, le monde de No Man's Sky est toujours teinté d'une certaine artificialité, à la manière du monde impassible d'un MMO qu'il nous faudrait de surcroit parcourir en solo (car la composante multijoueur reste minimaliste, même si elle est une réalité de ce No Man's Sky moderne). A dire vrai, davantage que l'exaltation de poser le pied sur une planète encore non découverte, c'est la cohabitation avec les races extraterrestres qui a commencé à conférer à ce No Man's Sky une saveur plus tangible : trouver des mots de savoir durant l'exploration, installer un traducteur, apprendre directement la langue auprès des intéressés; autant de petites victoires quotidiennes qui viennent jalonner notre périple avec cette satisfaction instinctive de comprendre enfin une phrase entière de notre interlocuteur alien ou de comprendre enfin pourquoi notre vaisseau est intercepté au milieu de l'atmosphère.
J'avoue que je n'ai pas le cœur d'énumérer toutes les promesses non tenues par le jeu originel lors de sa sortie tumultueuse en 2016; beaucoup l'ont déjà fait et qu'il s'agissait alors d'une ambition déraisonnée ou d'une communication Molyneuxienne maladroite, force est de constater que le jeu n'a pas été abandonné par ses concepteurs et qu'en 2024, No Man's Sky est encore la seule proposition interactive concrète de nombreux fantasmes véhiculés par l'imaginaire de la science fiction :
-S'amarrer immédiatement à n'importe quelle planète pour décider de rejoindre finalement cette planète qu'on aperçoit au loin, à moins qu'on ne veuille observer de plus près ce vaisseau au dessus de nos têtes qui vient d'entrer dans le ciel.
-Constituer sa propre frégate de vaisseaux spatiaux, recruter des vaisseaux qui viennent de sortir de l'hyperespace avant de les envoyer en missions d'exploration.
-Mener l'assaut contre des navires pirates avant que les vaisseaux civils ne sont détruits et décider ensuite d'être magnanime ou de châtier définitivement les agresseurs.
-Gérer une colonie planétaire avec une sollicitation régulière de notre point de vue sur les chantiers à mener et les querelles à résoudre.
-Construire sa base à n'importe quel endroit paradisiaque ou propice à des récoltes opportunes.
-S'aventurer dans l'exploration d'un navire fantôme.
-Croiser un autre pilote sur une planète ou dans une station spatiale et décider soudainement de lui acheter son vaisseau ou de le recruter dans notre propre escadron.
Bref, que reste-il à No Man's Sky à accomplir à ce compte là? Tout simplement la possibilité de sortir de notre vaisseau spatial en plein vol au lieu d'être cantonné à cette bulle déconnectée de l'exploration terrestre; c'est là peut être la seule frontière interactive que le jeu n'a pas encore réussi à briser jusqu'à maintenant mais c'est à se demander si cette barrière n'appartiendra pas également au passé à force de mises à jour et de refontes graphiques et/ou structurelles. Et à une époque où Starfield a vite étouffé les rêves d'épopée spatiale que le brave Todd avait su éveiller avec ses paroles habiles et que les souvenirs des quêtes secondaires du premier Mass Effect commencent quand même à dater un peu, il n'est pas étonnant que No Man's Sky bénéficie d'un regain d'intérêt de la part des joueurs, découvrant cette aventure avec un regard neutre et plus enclins à apprécier la générosité évidente de son contenu que s'attarder sur la vantardise éhontée de son visage public, fût un temps.
Bigre, je dois bien avouer avoir même été agréablement surpris par la quête principale où je me suis étonné à me laisser happer par les évènements alors qu'il est évident que nous sommes en présence d'un Tutoriel Géant qui va enchainer sans vergogne les passages obligés et autres quêtes Fedex; pourtant, un ou deux compagnons au destin tragique et une crainte déférente face à l'immensité et le tour était joué : le récit a le mérite de poser les bonnes questions en assumant quasiment d'entrée de jeu sa dimension Meta. Pourquoi explorer seulement pour le plaisir de la découverte? Pourquoi entamer un périple qui ne connaitra pas véritablement de fin? Autant de questions posées littéralement par l'intrigue quand le joueur se les pose déjà en amont entre deux voyages interstellaires; le scénario se permet même le luxe d'une prise de conscience très Matrixienne de l'artificialité de notre propre personnage évoluant face à une entité omnisciente, mais perfectible, ne cessant de créer une galaxie supplémentaire à cet univers déjà trop vaste, comme entravé dans son champ des possibles par ses velléités conceptrices, lorgnant autant vers l'émerveillement inquiétant de 2001 qu'une terreur plus Lovecraftienne de l'insignifiance de nos avatars et de nos actes au sein de cette fourmilière stellaire.
Bref, si vous êtes du genre à vous attarder dehors, les yeux au ciel, par une nuit étoilée en vous disant que c'est quand même foutrement dommage que les voyages spatiaux ce sera pour les générations futures au mieux (si elles survivent jusque là...), ne négligez pas l'appel attrayant de ce No Man's Sky sous prétexte de son décollage calamiteux huit ans auparavant. Vous connaissez ce vieux proverbe éculé de l'importance du voyage face à la destination mais en l’occurrence, il résume parfaitement le chemin accompli durant ces dernières années vouées à cette épopée galactique et on ne peut que lui souhaiter de redoubler d'inventivité à l'avenir pour concrétiser encore un peu plus les rêves d'exploration de demain.