A écouter pendant la lecture : https://www.youtube.com/watch?v=iwOcC4A11W0
Je ne sais pas si les gens se rendent compte à quel point c'est un véritable miracle que ce jeu soit sorti et que l'on puisse dire en 2021 qu'Oddworld est encore vivant.
Car en effet, le parcours tumultueux du studio de Lorne Lanning n'est clairement pas un exemple à suivre.
Prévu comme une pentalogie (rebooté depuis mais déjà charcuté avec Munch sorti en 2001 et le spin off façon Western sorti en 2005) Soulstorm est en réalité une réecriture du second opus de la saga, l'Exode d'Abe collant plus à la vision de Lorne Lanning et faisant suite à New and Tasty, remake sorti en 2014 de l'Odyssée d'Abe, premier opus de la saga.
En jouant à Soulstorm (développé avec 4 petits studios en plus d'Oddworld Inhabitants!), on se rend compte que le retour d'Abe le Mudokon ne s'est pas fait sans intempéries et que son avenir se présage encore plus tempétueux que jamais...
Parlons avant tout des immenses points forts du jeu, bon déjà le charme et la pertinence de l'univers d'Oddworld est toujours là, les décors sont magnifiques, il se dégage une impression de grandeur, d'immensité dans tout ce qui nous entoure assez grisante. Plusieurs fois je me suis simplement stoppé et j'ai contemplé les quelques détails visuels des compositions gargantuesques que l'on nous propose de visiter.
L'histoire est exceptionnelle, on y croit, on veut que ce peuple s'en sorte, le ton est peut être un peu plus dramatique que dans les précédents opus mais l'univers perd en blagues douteuses ce qu'il gagne en immersion, quel régal.
La musique n'est certes pas marquante mais soupoudre les situations d'urgence, de hâte, ça marche bien. Après oui ce n'est pas une BO que l'on réécoute hors jeu.
Les personnages sont toujours aussi sympas bien qu'on ne les voit que rarement de très près, excepté dans les cinématiques de l'aventure.
Et ces cinématiques, mon dieu ces cinématiques, probablement parmi les plus bluffantes que j'ai pu voir dans un jeu, tout y est, l'écriture et les dialogues sont excellents, l'animation est vraiment bonne (contrairement aux animations in-game) c'est juste un pur bonheur a regarder, et c'est étonnamment recherché en terme de mise en scène pour un jeu vidéo, des fois on aurait juste envie de s'installer et de se laisser emporter par l'histoire, comme un bon film d'animation, et justement, c'est ça le problème...
Car oui, le plus gros souci du jeu est dans son cœur même, bon la maniabilité est étrange au début, il faut s'y faire mais elle n'est pas nulle, je ne suis mort que rarement à cause de la maniabilité (à part bien évidemment si l'on compte les bugs étonnants qui te font tomber genre Abe qui n'attrape pas une barre et j'en passe).
Par contre le level design est étrangement répétitif et peu inspiré, mais c'en est choquant par moment, surtout quand tu te dis que le premier Oddworld est bien plus réussi à ce niveau là et qu'il date de 1997 (!)
Non mais dans le niveau de la Brasserie, je pense qu'on alterne entre 3 types de phases en tout et ça se répète une bonne dizaine de fois, mais c'est juste fou.
Le système de craft est loupé, ça aurait pu être une excellente idée, une manière d'aborder chaque situation d'une manière différente pour chacun des joueurs, hélas on y revient mais le level design n'est pas suffisamment intéressant ni même ne permet ce côté sandbox, car il y a en réalité une et une seule façon de s'en sortir à chaque fois, c'est simple, on donne au joueur l'exact matériel nécessaire dans les casiers/poubelles a loot (et bordel il y en a beaucoup du loot) pour la phase qui suit directement ces dites poubelles, si il ne suit pas cette méthode, il ne s'en sortira pas. C'est assez risible, t'as l'impression qu'ils ont implémenté le craft pour faire moderne mais il s'avère en réalité être une des fonctionnalités les plus archaïques que j'ai vu depuis longtemps.
Autre problème aussi le bestiaire n'est pas assez riche, quand t'es dans Oddworld tu as envie de voyager, de voir des trucs que tu trouves nul part ailleurs, bah là il y a les sligs et les petits chiens et... c'est tout. Ah non il y a aussi les sleechs buggés dans le niveau du sanctuaire (qui aurait gagné à n'être qu'une cinématique vu le peu d'intérêt du niveau).
On va dire qu'il y a 2 boss dans le jeu, et sérieux faut voir les boss que c'est, le premier c'est une tourelle slig qui te bombarde la tête à un rythme effréné et il faut essayer de faire un chemin de flammes juste en dessous d'elle pour l'exploser, quelle horreur cette séquence; entre les bruits de missiles incessants, le décor qui défile à toute vitesse (car oui on est sur un train) et les explosions partout on a l'impression que les développeurs ne savaient pas ce qu'ils faisaient, et je pense que vu la production à mon avis chaotique (le jeu avait été prévu pour 2017 à la base) pleins de changements douteux de dernière minute et de concessions ont du être faites. Je pense que tout cet aspect bancal est synthétisé dans le boss de fin (c'est simple rien ne va).
Je n'ai pas eu trop de soucis avec l'IA des mudokons par contre j'ai eu un bug je suis tombé mais Abe n'est pas mort ce qui m'a softlock j'ai du recommencer le niveau (et les niveaux sont longs).
Donc ouais j'ai vraiment l'impression que le game design été abordé comme secondaire, en jouant on a vraiment un sentiment que les développeurs se sont sentis obligés de faire un jeu dans la veine d'oddworld sans en avoir spécialement envie.
Mais malgré les problèmes hallucinants du jeu en tant que jeu, l'univers est là, il est unique, intéressant, politisé, épique, grandiose.
Son créateur Lorne Lanning est comme un Jim Henson pamphlétaire, un George Lucas en colère; et le prophète qu'il a décidé d'ériger en la personne d'Abe voit sa quête bien menacée car il ne faut pas être devin pour imaginer l'échec commercial (suivant l'échec critique vu les retours plus que froid) de ce Soulstorm.
A mon avis la solution pour faire perdurer la saga, c'est faire comme Abe, ce petit balayeur chétif qui extirpa son peuple d'une torpeur industrialisée. Que les fans qui ont envahis de leurs manettes le monde d'Oddworld fassent entendre leur voix pour espérer un jour que cette épopée continue, voir même soyons fous, qu'elle se termine.
Quitte à la continuer sous une toute autre forme, par exemple une série Netflix gros budget (il faut à tout prix garder cette qualité visuelle) honnêtement je ne serais pas contre ça peut être vraiment sympa et ça pourrait affranchir Lorne Lanning de tout game-design fragile.
Qu'importe la forme tant que les aventures d'Abe continuent, que cette pentalogie maudite s'achève et, si conclusion il y a, qu'elle resplendisse de mille feux.