"Orwell" est un jeu indépendant développé par la petite équipe dynamique du studio allemand Osmotic. La démarche, presque pédagogique du studio est de vous donner un point de vue différent dans un contexte situationnel donné. Comme dans le cas de ce jeu, de vous mettre dans la peau d'un cyber investigateur plus proche de la NSA que du policier traditionnel.
Avec un tel titre de référence qui explicite d'emblée dans quoi vous tombez, vous voilà armé d'une série d'outils informatiques, aidé par les mails d'un conseiller qui vous guide au fil de votre enquête, pour espionner la vie des citoyens d'une nation qui, bien que pas encore tout-à-fait totalitaire, oriente sa politique vers la sécurité, la protection des frontières et le respect des traditions.
De fait, le ton est donné. Avec des caméras dans tous les coins, les techniques d'investigation pour se balader sur les comptes en banque et les réseaux sociaux ou gaillardement espionner les conversations téléphoniques, les mails, les archives cachées de sites web, nous sommes bien dans une société contemporaine de l'information, aux portes déjà franchies de l'espionnage quotidien tel qu'imaginé dans le célèbre roman "1984".
Parlons de l'histoire, un des grands points forts du jeu : Nous voilà donc dans notre nouveau job d'enquêteur et, d'emblée, l'action nous met face à la menace d'un groupe terroriste qui fait sauter des bombes dans des lieux publics. Il y a des morts et des blessés, conséquences collatérales difficiles à admettre, fruits d'un activisme larvé mais efficace d'un groupe de résistance dont les membres sont à découvrir.
Malgré une ergonomie minimaliste (on se contente de cliquer) et un gameplay d'apparence calme, apparaît rapidement une grande tension narrative : il y a des coups de théâtre, des révélations, des informations vitales cachées qui prennent leur sens au fur et à mesure de la découverte de ce grand livre interactif et inquiétant. La musique, omniprésente sans être envahissante, soutient cette tension et, de manière subtile, votre attention se tend d'avantage quand l'ambiance sonore se modifie soudain et qu'une information importante vient de tomber.
Sans verser dans la dénonciation un peu lourde d'un plus que probable cyber-totalitarisme très actuel, les concepteurs du jeu nous amènent assez naturellement vers une vraie réflexion morale sur vos propres actions, votre perception des choses et sur l'interprétation des faits que l'on "subjectivise" fatalement en fonction de ses propres ressentis et convictions idéologiques. Et c'est à ce moment, quand l'interrogation sur la nature de votre travail vous assaille, que le malaise s'installe : dois-je cacher cette information ? Est-elle pertinente ? Puis-je condamner potentiellement une personne peut-être innocente ? Suis-je du bon côté de la barrière ? Y-a-t-il un dessein caché derrière cette chasse aux terroristes ? Suis-je oui ou non dans mon droit ?
Dans la lignée de l'extraordinaire "Papers, please", "Orwell" pose un constat et vous met face à une situation délicate où, malgré vos meilleures intentions, vous vous trouvez confrontés à des choix complexes et lourds de conséquences où les notions d'éthique et de morale doivent être confrontées à la fois à vos propres convictions politique, idéologique voire philosophique et à l'action forcée d'un jeu d'investigation/poursuite aux buts ambigus.
Un grand jeu, intelligent et pertinent. Epuré, d'une ergonomie sans faille et déjà justement récompensé par de nombreux prix et nominations (il a reçu notamment le prix de l'Excellence en narration lors de l'Independent Games Festival en 2017)
Un DLC vient également de paraître : "Ignorance is Strength" qui prolonge l'expérience. Le jeu est paru sur PC uniquement.