Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr
Dans Paper Beast, on explore un joli désert habité par une faune étrange dont l’animation est un spectacle en soi : à chaque nouveau lieu découvert, on commence typiquement par tourner la tête à 360°, le casque VR vissé sur les yeux, pour prendre le temps d’observer les créatures alentour et s’émerveiller comme un naturaliste de leurs réactions à leur environnement.
Mais Paper Beast est aussi un jeu à part entière, dont le principe est de nous faire « plonger les mains » dans ces scènes animées dans le but de résoudre des énigmes principalement topographiques. C’est la deuxième surprise qu’il réserve, source d’un émerveillement constant : ses animations sont toujours grandes ouvertes à nos interventions tactiles, créant à l’échelle du jeu un équilibre permanent entre la part ludique et le spectacle visuel, né de la mise en présence des créatures et de « trucs » qui les activent.
Ici réside en l’occurrence l’intérêt ajouté de la VR, comme moyen de mettre ses créatures à portée de main pour nous faire éprouver leurs matières, de robustesses et de constitutions diverses : des bêtes en origami, attrapées du bout de doigts, se plient et se déplient sous nos secousses, tandis que les bestioles plus lourdes, comme ces chiens tout en bobines emmêlées, luttent pour conserver leurs appuis lorsqu’on les bouscule. Quoi que l’on touche, le jeu nous oppose un retour physique satisfaisant, qui fait se sentir « corps parmi d’autres corps », dans l’illusion d’un possible contact. L’effet en est si plaisant qu’il y a presque un « jeu dans le jeu », un jeu sans enjeu, dans ce simple fait de toucher les créatures, juste pour le plaisir de voir leur réaction physique à ce qui se ressent presque comme une vraie interaction du toucher – c’est l’illusion-clé de la VR, dont jouait déjà Half Life Alyx avec son monde d’objet.
Conscient de cette force, qui lui vient de son medium bien employé, Paper Beast multiplie les occasions d’éprouver ce gameplay préhensile dans des énigmes où les créatures servent d’outils pour modifier la topographie des lieux. Une séquence nous voit par exemple ensabler une pente glissante à l’aide de gros vers utilisés comme tuyaux d’arrosages, aspirant le sable des dunes d’un côté pour le recracher de l’autre. D’autres puzzles nous font modifier le décor plus directement, comme cette épreuve reposant sur l’élévation d’une digue en plein milieu d’une rivière, à l’aide d’une boule sablonneuse servant de « pinceau à matière » – moment qui se transforme en intense lutte contre le pouvoir d’érosion du flot de l’eau. Que l’on sculpte le décor par nous-même, presque à la main, où par l’entremise des créatures, ces sessions de remodelage du monde donnent l’impression très plaisante d’être un petit dieu-artisan, travaillant le sable comme un potier son bloc de glaise, commandant ailleurs des interactions toujours satisfaisantes entre les créatures et leur environnement.
Au delà de cette rencontre sensoriellement plaisante avec une matière virtuelle, jouer à Paper Beast fait très immédiatement l’effet d’une plongée dans un grand bain d’animations interactives, pour parties scriptées, pour parties simulées par l’I.A. et le moteur physique. On a souvent l’impression de s’y trouver projeté au cœur de petits bouts de films en image de synthèse, dans une sidération propre à la VR qui tient à l’illusion d’une présence « physique » des objets et créatures alentour : quand apparait, par exemple, la grande bête à l’ossature torsadée, et que l’on se tient dans son ombre tandis qu’elle passe au dessus de nous, nous obligeant à lever la tête et à nous retourner pour en circonscrire le corps du regard, on ne peut qu’être saisir par une forme de stupéfaction devant ce spectacle devenu physique, fait d’une démesure des échelles ressenti dans son corps tout entier.
Mais la manie de Paper Beast de nous laisser tout toucher le fait aller un petit cran plus loin. En ouvrant ses animations à nos préhensions et bousculades tactiles, le jeu nous offre de perturber ses scènes de l’intérieur, d’opposer notre volonté aux forces internes à ses scènes, un peu comme si l’on pouvait s’introduire dans le film Ratatouille pour arrêter Rémy en pleine course en le tirant par la queue. C’est là une vraie petite invention (nous semble-t-il), accentuée par la puissance d’immersion de la VR : celle d’un spectacle participatif, qui rend possible de s’immiscer au cœur même d’une animation pour influer physiquement sur son bon déroulement, pour le plaisir de l’employer à résoudre une énigme comme pour celui, plus taquin, de la contrarier. Ce mélange inédit entre « contenu auteurisé » par les développeurs (la façon dont les créatures réagissent « au naturel ») et participation active du joueur (ce que l’on peut faire pour les empêcher ou les canaliser) ouvre une voie stimulante pour de possibles jeux futurs qui tournerait autour de l’animation comme matière à jouer, et dont Paper Beast propose une première exploration charmante.
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