You've been selected for a "random" search.
Papers, Please (version bêta) nous met le cul entre deux chaises, et c'est certainement la raison pour laquelle c'est un jeu réussi.
Vous incarnez un inspecteur de l'immigration en 1982, dans un pays communiste d'après-guerre qui n'inspire pas la tendresse. Votre famille vit dans un bloc misérable, est confrontée au froid et à la maladie : sur vos épaules reposent le poids du loyer, du chauffage et des médicaments. Vous avez donc intérêt à travailler vite et efficacement, en vous soumettant à la lettre aux instructions très discutables du ministère de l'immigration. Ces conflits moraux, cette balance fragile entre philanthropie et survie, sont exemplairement retranscrits dans le jeu, prenant forme dans le gameplay. En effet, votre score est votre salaire, il est donc nécessaire de l'augmenter pour payer de quoi faire survivre votre famille. Tandis que d'autres choix, comme le fait de faire entrer une femme qui n'est pas en ordre mais qui veut suivre sont mari et ses enfants, ne vous apporteront pragmatiquement rien d'autre qu'une perte d'argent. Vos bonnes actions -en dehors des règles établies par le ministère- ne vous rapportent rien, ni même un message de félicitations ou un barème de "moralité" (comme beaucoup de jeux récents aiment implémenter). On se trouve un peu comme dans la vraie vie véritable authentique : en prenant sur notre temps et notre énergie pour aider quelqu'un, rien ne promet que l'on ait autre chose que la simple satisfaction d'avoir été "bon" et "humain". Ainsi, le jeu nous pose la question de la moralité comme valeur marchande, comme transaction.
Cet aspect "questionnement" aurait pu, s'il était le seul argument, rendre l'expérience trop lourde, trop grave. Trop chiante, quoi. Or, une chose magique opère : la séquence de vérification des papiers est incompréhensiblement addictive, caressant avec douceur notre côté névrotique. Quel plaisir de tamponner un "DENIED" sur un passeport tout propre parce que l'on découvre que la ville indiquée dans les papiers ne correspond pas au pays. Quel plaisir d'envoyer en prison une vieille dame qu'on vient de prendre en photo à poil et qui cachait un flingue. Quel plaisir de feuilleter son livre d'instruction pour démonter les fourberies d'un vil faussaire.
Vous l'aurez compris : "Papers, Please" a le cul entre deux chaises parce qu'il jongle habilement entre des phases de jeu plaisantes baignées dans un cynisme délicieux, et des moments de questionnement moral intégrées directement dans les mécanismes du jeu.
J'ai finalement fini deux fois Papers, Please, la première en m'impliquant dans le dilemme proposé, la seconde en me focalisant uniquement sur le scoring et le plaisir de jeu. Cette forme de replay-value me semble être une réussite totale.
(Faut-il parler de la très bonne ambiance graphique et musicale, ainsi que de l'humour omniprésent?)