Simulation de douane soviétique, graphismes dignes d'une NES, nom farfelu, tons gris et ternes : Papers, please n'est pas le jeu le plus aguicheur qui existe, et pourtant c'est une expérience extrêmement originale qui démontre encore une fois que le jeu vidéo peut surprendre, et se révéler intelligent.
Parce que sous ses allures de dénonciation du communisme, c'est plus globalement tous les systèmes totalitaires qui sont moqués (un humour bien noir il faut le reconnaitre), et ce avec un point de vue très original : celui d'un contrôleur de douane. On a souvent des dilemmes du genre : laisser passer ce pauvre type qui a l'air bien sympa, et perdre 5$, ou le refouler pour en gagner autant. Et quand c'est une femme qui nous implore de la laisser passer sous peine de mort, on est sérieusement tenté d'aller contre l'ordre établi. Mais au delà de ces choix moraux, ce qui est intéressant c'est que, très vite, on devient stressé par la surveillance constante dont on fait l'objet, et on finit par ne plus trop faire de sentiments, et à refouler la plupart des gens pour des broutilles. Tout ça pour quoi ? Pour nourrir sa famille, qui doit être nourrie et chauffée, ce qui nécessite de l'argent, et donc qu'on travaille bien. Comprendre : qu'on soit le plus dur possible, selon les nouvelles règles qui pleuvent chaque jour pour complexifier l'accès au territoire.
En quoi c'est fabuleux ? Eh bien, pour éviter un simple Game Over et la mort de ma famille fictive, je me suis conduit comme un vrai connard, envoyant en prison des tas de pauvres types (oui on reçoit des bonus si on envoie des gens en taule), me pliant à toutes les directives du Parti. Alors dans un contexte réel, des gens avec une vraie famille et leur vie en jeu, bah ça devient nettement plus compréhensible qu'ils puissent commettre les crimes les plus graves, si leur autorité le leur demande. Une sorte d'expérience de Milgram vidéoludique quoi.
Donc voilà c'est chouette, c'est un jeu qui fait réfléchir à des questions éthiques, c'est intéressant. Mais en plus, c'est un bon jeu vidéo. Parce que malgré le seul écran de jeu auquel on a accès, les possibilités sont riches, et on a de plus en plus de papiers à gérer, de moyens détournés de se faire du fric et de procédures à respecter pour vérifier si les gens peuvent bien passer la frontière. Sauf que l'heure tourne, et que plus on traite de cas, plus on gagne d'argent. Et on est donc souvent tenté de ne vérifier que superficiellement certains aspects pour aller plus vite, pour être le plus rentable, et le stress monte très vite. Parce qu'après plus de deux "erreurs", la police nous inflige une amende de 5$ par nouvelle faute.
Et sous ses dehors de jeu NES minimaliste, je pense que Papers, Please est le jeu qui m'a fait le plus stresser de toute ma vie de joueur. Ce qui est assez extraordinaire quand même. Et puis c'est varié, on a tous les jours de nouvelles options de gameplay, ce qui fait que le jeu se renouvelle bien et devient même très addictif. Malheureusement, le principe en lui-même est plutôt répétitif, et malgré les 20 fins disponibles, on n'a pas vraiment envie de recommencer le jeu une dizaine de fois (déjà qu'une fois, c'est éprouvant pour les nerfs). Si on ajoute à ça une interface ingénieuse, mais clairement pas adaptée à tout ce qu'on doit gérer (on cumule parfois 10 papiers différents à l'écran et la place est vraiment réduite), le jeu n'est pas dénué de tous défauts...
Ça reste quand même une expérience intelligente, intéressante et un concept de jeu tout à fait unique et original, à tester au moins une fois. Ah et le thème principal déchire.