Couper le cordon
Pathologic 2 était initialement prévu comme un remake de Pathologic, mais les aléas de production et la santé financière fragile du studio ont fait que le jeu change finalement pas mal de choses,...
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le 22 févr. 2024
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Pathologic 2 était initialement prévu comme un remake de Pathologic, mais les aléas de production et la santé financière fragile du studio ont fait que le jeu change finalement pas mal de choses, améliorant le gameplay selon ceux qui ont fait le 1er, réduisant le nombre de scénario de 3 à 1 seul pour se concentrer sur l'Haruspex et modifiant sa trajectoire scénaristique. Je ne pourrai pas rendre compte de ces différences, ce que je peux dire c'est que le jeu m'a pris plus de 30h (voire plus de 40 peut-être ?) et que vous ne serez donc pas lésés en contenu. Apparemment pour finir le 1er Pathologic en entier (donc ses 3 campagnes) on en aurait pour plus de 200h, et ça ferait beaucoup trop pour moi au regard de l'expérience vécue sur ce Pathologic 2.
Vous incarnez un chirurgien retournant dans sa ville natale suite à une demande expresse de son père, et vous aurez 12 jours pour résoudre une enquête, décider de ce que vous faites d'un héritage que l'on fait peser sur vos épaules, survivre à la faim, et surtout affronter une épidémie qui va tout ravager. Vous êtes en vue FPS, vous avez un système de combat au corps-à-corps mais le mieux serait de ne pas vous en servir si possible, du moins pas contre plusieurs ennemis en même temps, car vous n'êtes pas dans un beat them all ou un jeu de tir. Vous êtes dans un jeu de "décision", vous choisissez où vous vous rendez, qui vous aidez et qui vous laissez tomber, si vous utilisez votre précieux temps pour faire ce qu'on vous a demandé ou pour chercher des ressources, ou pour vous reposer si votre jauge de fatigue est trop élevée et que vous risquez d'en mourir. Vous allez donc beaucoup marcher, choisir des destinations et choisir des réponses dans vos discussions. Cela paraît simpliste, mais ce sera très éprouvant.
La philosophie du jeu est de vous sentir débordé, croulant sous tous les impératifs. Les gens ont besoin de vous pour ne pas se faire infecter par la peste, ou pour passer la nuit quand ils sont infectés, ou pour chercher un remède. On vous sollicite pour plein de choses qui peuvent vous aider dans votre enquête, ou ne servir à rien, ou servir à protéger temporairement des personnes. Il faut trouver le moyen d'optimiser vos déplacements, sachant que la Ville a une architecture très tortueuse et qu'il peut être une bonne idée d'esquiver certains quartiers durant certaines périodes. Le temps s'écoule continuellement, il faut trouver un moyen de finir vos tâches à temps sous peine de louper des opportunités importantes, et ne pas oublier de récolter assez de sous pour vous nourrir, ce qui pourra vous pousser à la faute morale car les ravitaillements n'arrivent plus et que les vivres vont donc coûter de plus en plus cher. Allez vous agresser des gens pour les dépouiller ? Ou vous contenter de piller des maisons dont les propriétaires sont morts ? Allez vous tuer si on vous dit que le quartier ne vous en tiendra pas rigueur ?
Le jeu a un certain renouvèlement dans ses situations scénaristiques qui font que la boucle de gameplay ne devient pas trop répétitive avant un moment. On nous présente assez vite l'intérêt des jauges de popularité par quartier par un exemple très parlant qui relie fort bien le gameplay et la narration, tandis que le lore s'étale et nous perd. On traverse des zones infectées où la Mort guette, on va à des rendez-vous dont l'issue est plus dangereuse que prévue, on essaie de survivre un jour de plus à fouiller les poubelles dans l'espoir d'une bouteille en verre qui servira à fabriquer des médocs. On aura souvent des rencontres fortuites qui seront importantes pour progresser mais que l'on aura l'impression de trouver par hasard, juste parce qu'ils sont intelligemment placés sur notre chemin optimal, et d'autres rencontres que l'on loupera parce qu'on ne peut pas être partout à la fois, ce qui déclenchera des morts. La mécanique de l'infection épidémique va surtout jouer sur le hasard pour déterminer qui parmi les personnes en danger du jour va être infectée ou non, et qui parmi les infectés va vivre une journée de plus ou pas, ce qui donne un fort sentiment d'impuissance au joueur qui veut protéger tout le monde avec des médicaments en nombre limité qui améliorent les chances de survie sans les garantir, sachant que les quick load ne changent pas le résultat de la roulette.
Notre personnage connaît mieux que nous les us et coutumes de la ville, mais aussi ceux d'une communauté des steppes à laquelle nous appartenons et qui va nous enjoindre à nous intéresser à leurs croyances pour résoudre nos problèmes à venir, auxquelles on pourra opposer notre rationalisme scientifique ou qu'au contraire on pourra embrasser pleinement. Il y a une forte couche mystique de toutes parts avec notamment une insistance sur les métaphores médicales pour caractériser la Ville, son architecture torturée, le besoin de la soigner en coupant là où il faut. Ce fil rouge est très plaisant à suivre, il donne une caractérisation supplémentaire à ce lieu et porte le questionnement des développeurs sur ce qu'est une ville et comment on la sauve, avec quels sacrifices, avec quelle idée en tête, sachant que les divers personnages ne se mettent pas d'accord sur la bonne marche à suivre. Le jeu ajoute aussi une forte métaphore théâtrale qui renvoie le joueur à son statut d'acteur dans une histoire, devant remplir son rôle scénaristique en jouant quelqu'un qui n'est pas lui, et avec des perspectives d'avenir limitées à celles que les développeurs veulent bien lui laisser.
La patte artistique aide bien à rentrer dans l'ambiance. Le jeu a des bugs graphiques qui font glisser les personnages à l'écran ou qui rendent les chargements un poil longs par moment, mais la DA est très bonne. La Ville est très vivante également, on va souvent assister à des bagarres la nuit, on aura quelques discussions optionnelles de pnj qui viendront rendre compte de l'état mental des habitants, on voit les gosses se balader dans leurs parcs tandis que la musique, généralement discrète, a ses moments qui viennent nous stresser efficacement. J'aime aussi qu'on puisse faire du troc avec n'importe qui, et que les pnj ne s'intéresseront pas aux même choses selon qu'ils soient adultes ou enfants, qu'ils ne donneront pas la même valeur aux mêmes objets, et surtout qu'au fur et à mesure que les temps deviennent difficiles il y en ait certains qui ne veulent plus rien m'acheter à part des armes ou des passe-partout. Oh bah alors gamin on aime bien les ciseaux ? Allez tiens, je t'échange mes paires contre tes médocs, ne fais pas de bêtises avec hein :)
J'ai l'impression de ne faire que survoler le jeu et de me montrer brouillon avec cet article, c'est qu'il est à la fois trop foisonnant pour être résumé simplement et remplis d'éléments que je souhaite vous laisser découvrir. La dimension mystique m'a pas mal plu même si je ne saurais prétendre l'avoir bien assimilée, le jeu a un vrai cachet sur ce seul aspect avec ses constructions délirantes, ses personnages lynchéens qui voient la Ville comme un laboratoire, et ses interventions surnaturelles qui nous font glisser dans l'acceptation que tout ceci nous dépasse. La boucle de gameplay parfaitement oppressante m'a bien fait ressentir la difficulté de s'en tenir à ses principes dans une situation aussi cataclysmique et nous met véritablement en position de survie, tandis qu'on s'attache à ces personnages que l'on ne peut pas toujours sauver. C'est développé par Ice-Pick Lodge, derrière entre autres The Void, et on retrouve beaucoup de leur philosophie : voir le jeu-vidéo comme un art qui est là pour nous faire ressentir des choses par le gameplay plutôt que de nous amuser, intégrer pleinement le temps comme élément qui va nous mettre à genoux, demander du joueur qu'il se transcende et assume les conséquences de ses choix et de ses erreurs, parler de phénomènes artistiques. Sauf que Pathologic 2 est plus accueillant, à défaut d'être plus simple : on comprend mieux comment fonctionne ce monde, le gameplay est plus clair, le développement scénaristique nous tient en haleine là où il se montrait plus subtilement intégré dans The Void, c'est plus accessible.
Néanmoins j'ai quelques reproches à faire au jeu. Le premier est de taille et tient aux difficulté de développement : il était censé y avoir 3 campagnes, comme dans Pathologic 1, et nombre d'éléments de la Ville sont là pour agrémenter les campagnes qui n'ont finalement pas intégré le jeu final. Cela donne beaucoup de trous qui se remarquent une fois qu'on a fini le jeu : des personnages ne servent à rien, il y a une sous-intrigue avec des femmes qui se disputent le titre de Maîtresse de la Ville qui ne sera pas résolue dans l'histoire de l'Haruspex que l'on suit, et le dernier acte introduit des éléments largement teasés qui annoncent des bouleversements déchirants qui auraient fait le plus grand bien à la boucle de gameplay qui commençait à se montrer répétitive, mais qui ne changeront en fait que peu de choses parce que c'est dans la route du Bachelor de Pathologic 1 qu'ils jouent leur rôle. C'est très frustrant de voir tous ces éléments qui ont l'air d'influer sur la Ville et de les laisser en arrière-plan parce que cela ne concerne pas l'Haruspex, surtout que le jeu commençait à se montrer un peu lassant à force que je maîtrise le gameplay et que je me forge une routine efficace. Ce n'est pas très grave, l'accélération scénaristique justifie que l'on poursuive nos parties.
L'autre défaut, c'est qu'il est plus facile que prévu de tricher. J'ai choisi de jouer en difficulté normale plutôt que le mode voulu par les développeurs, initialement le seul disponible avant que d'autres soient ajoutés suite aux plaintes des joueurs. Je pensais que ce serait déjà assez difficile comme ça, mais en vérité à moins de me restreindre à ne jamais piller de maison abandonnée je pense que ce mode nous laisse un poil trop de marge. En fin de partie j'avais accumulé un bon stock de nourriture et d'argent, je n'étais plus autant stressé par la gestion de mes ressources qu'avant. Je pense que j'ai quand même ressenti une bonne partie de l'expérience anxiogène recherchée par les développeurs... jusqu'à ce que je me rende compte que je pouvais empêcher les bandits de me poursuivre en rentrant ou sortant d'une maison. Et quand j'ai su ça, je me suis mis à naviguer à fond les ballons dans des zones dangereuses parce que je savais qu'au pire je pouvais facilement jouer à chat perché pour faire disparaître mes opposants.
Le jeu a une super mécanique : quand on meurt, notre personnage devient plus faible et cet état est transmis à toutes les sauvegardes de notre run, donc on est obligé d'assumer nos échecs et on en paie un lourd prix qui rend le jeu de plus en plus difficile, rendant l'enjeu d'autant plus palpable. En plus on a un petit dialogue à chaque mort qui nous explique ce qu'on va subir, et des fois ce sont des effets scénaristiques très particuliers qui ne se feront ressentir que dans des situations très spécifiques pour se montrer particulièrement cruels. Vraiment c'est un super principe. Sauf que je suis passé maître dans l'art de vite recharger ma partie juste avant de mourir ou en constatant que j'avais fait une boulette, et même si ça casse bien les pieds parce que les points de sauvegarde sont éloignés ça m'a permis de ne mourir que 3 fois, ce qui a sans doute énormément joué dans mon impression d'être large au niveau de mes ressources en fin de partie. Je pense qu'il aurait fallu un système à la Dark Souls où nos parties sont tout le temps sauvegardées et où on ne pourrait pas recharger nos parties, mais ce serait peut-être compliqué à mettre en place pour un jeu avec autant de variables.
J'ajouterai enfin que le poids des conséquences de mes actes se fait moins sentir que prévu. La mort de divers personnages peut ne rien changer puisque le jeu a été prévu pour être praticable même si la rng vous tue la moitié de la ville, et il y aura très rarement de réaction de la part de notre protagoniste à la mort ou survie de quelqu'un. On nous prévient en début de jeu que ce serait bien de ne pas tuer même quand on en a le droit, mais ensuite cette mise en garde se fait oublier alors que j'ai vu des occasions scénaristiques de me faire des retours de karma. C'est surtout qu'on aura l'occasion en fin de partie de discuter avec les vivants, c'est principalement là que l'on verra le fruit de nos efforts de protection mais ça reste un peu léger à mon goût.
Cependant le jeu atteint tout de même, au moins partiellement même pour un sale cheater comme moi, son objectif de nous exposer à la cruauté de sa situation. Il y a pas mal d'erreurs qu'il va nous faire faire dont on verra les conséquences trop tard pour avoir envie de recharger sa partie aussi loin, et il m'a fait vivre une expérience difficile que je n'avais pas connue depuis The Void. Il faut faire quelques efforts pour rentrer dedans, je vous avoue qu'à mes débuts je me sentais écrasé par l'ampleur de la tâche et je ne faisais que des parties courtes. C'est une expérience que je ne renouvèlerai clairement pas tout de suite, peut-être via Pathologic 1 si j'ai envie de découvrir ce que j'ai loupé dans la route du Bachelor ou de Clara, mais ça marque bien le joueur. Ice-Pick Lodge est décidément un studio atypique dont l'existence fait du bien aux jeux-vidéo.
J'ai aussi testé le DLC The Marble's Nest : c'est un walking sim de 1h30 qui nous fait vivre une aventure alternative du Bachelor. C'est hors "canon" et sans danger, ça se suit bien et ça fait un complément sympathique au jeu en traitant l'épidémie de manière plus role-play que dans le gameplay. Si vous le trouvez en solde à 2€ ça peut le faire, mais ça n'a rien d'un indispensable.
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le 22 févr. 2024
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