J’avais commencé l’aventure Persona 5 à sa sortie en Europe, mais le jeu m’était tombé des mains au bout d’une quarantaine d’heures. Malgré sa foultitude de qualités, une autre pépite venait de sortir et je l’avais donc mis de côté, et comme souvent, la repoussée dans le temps m’a démotivé à le reprendre, en ayant oublié les tenants et aboutissants. Je l’ai finalement relancé, depuis le début, pour mon plus grand bonheur. Persona 5, c’est une épopée sans commune mesure dans le petit monde du J-RPG dont je ne suis pas particulièrement friand. C’est un condensé de bonnes idées dans un emballage vilainement aguicheur. Retracer quasiment une année de nos héros, jour après jour, avec une flopée de mécaniques qui s’emboîtent parfaitement, c’est ce que j’ai eu l’occasion de faire lors de ces nouvelles 150 heures de jeu.
Nous participons donc à la création et à l’avènement des Phantom Thieves, un groupe d’étudiant qui veut changer les habitudes dégueulasses de ces adultes qui abusent de leur position de pouvoir, en réformant leur coeurs via le cambriolage de palais cognitifs reflétant leur vision, déformée par leurs vices, du monde réel. Un refus du cynisme, une sorte d’Indignez-vous vidéoludique (avec ses aspirations, et ses limites). Et pour appuyer le point, Atlus n’hésitera pas à balayer quelques tabous, abordant pêle-mêle abus sexuels, meurtres, corruption, manipulation des masses et autres violences policières, tout en nous faisant affronter des phallus dégoulinants et autres mouches à merde. Un beau panel de l’imaginaire nippon, mais sans réel mauvais goût autre que les trop fréquentes friponneries (la moitié des séquences animées main, aussi belles soient-elles, tournent autour des garçons reluquant les filles mouillées par la pluie ou la sueur - sic). Le fond est donc un angle d’attaque intéressant sur les mécanismes de l’inconscient, auquel vient s’adjoindre une routine toute particulière, avec ses cours, ses temps d’étude par météo pluvieuse, ses boissons à boire le dimanche, ses lectures dans le métro, ses visites de soirée à vos proches et autres examens trimestriels. On se prend très vite au jeu de ce quotidien de lycéen, l’immersion allant jusque dans le bourdonnement tokyoïte (brouhaha permanent, bribes de conversations entendues à tout bout de champ, télévision toujours en arrière-plan, commentaires du Phansite…). Les questions posées en classe ont également un véritable intérêt, m’ayant appris pas mal de choses, que ce soit sur l’art, l’histoire, ou la culture nippone. C’est du bonus.
Tout ce travail d’atmosphère, cette envie de nous faire vivre le quotidien d’un ado dans cette mégalopole, est subjugué par une direction artistique remarquable. Outre des chara-design marqués, ce sont aussi toutes les interfaces qui en jettent, allant jusqu’à dynamiser des combats en tour par tour jusqu’à nous faire oublier que l’action s’arrête. Les informations et menus viennent scinder l’écran en deux, pourfendre un coin de la caméra, ou initier une transition dans un théâtre d’ombres chinoises à 120 bpm. L’illusion du mouvement vient rompre toute impression de statisme, pour le plus grand plaisir de nos mirettes ébahies. Une véritable leçon en termes de pertinence d’un HUD. Les pièces musicales sont aussi d'excellente qualité, avec des ambiances très jazzy, dont le seul défaut est qu’elles ne soient pas plus nombreuses, tant sur la durée monumentale du jeu, on aura vite fait de les entendre ad nauseam. La forme est donc olympique.
Quid des mécaniques me direz-vous? Eh bien, elles ne sont pas en reste. Elles sont nombreuses, complexes, et arrivent de façon incrémentale tout au long de l’aventure, certaines d’entre elles ne pointant le bout de leur nez qu’au bout de plusieurs dizaines d’heures. Le croisement des genres, plaçant Persona 5 entre le dungeon-crawler mâtiné d’infiltration (avec une spécificité puzzle-like dans chaque Palace), le RPG tour par tour basé sur forces et faiblesses élémentaires, le Pokémon-like via la collecte des 192 personas disponibles, le visual novel (parfois trop bavard et trop redondant, il faut le reconnaître) et le dating-sim pour la montée des compétences et des relations avec nos confidents, le jeu brasse large, très large, et toujours avec justesse. Chaque partie est imbriquée dans un gameplay global très riche, où toutes les pièces se répondent les unes aux autres dans les différents types de séquences de jeu. L’ambition est démesurée, et pourtant, on est dans le quasi sans faute de bout en bout, si tant est que l’on soit prêt à s’investir.
Si j’ai pris du temps à finalement traverser le bébé d’Atlus, que ce soit extra ou intradiégétique, j’en suis on ne peut plus satisfait. Le jeu sert admirablement sur tous les tableaux, et ce ne sont pas les deux-trois défauts relevés dans cette prose qui m’auront fait bouder mon plaisir. Et si certains hésitent encore, la sortie cette année d’une version Royale, enrichie de contenu ainsi que d’une traduction totale dans la langue de Molière, me paraît toute désignée pour que vous passiez le pas.