Sorti deux jours après Final Fantasy sur NES, autant dire au coude à coude, Phantasy Star est la réponse de Sega au succès du RPG Dragon Quest pour la Nintendo. C’est Yuji Naka qui dirige le projet, alors qu’il avait déjà donné naissance à Black Belt pour la console, et qui marque le début d’une saga qui connaîtra ses plus belles heures sur la génération suivante. Même s’il ne souffre que de peu de concurrence sur sa génération, encore moins sur sa console, était-il déjà une réussite ou le brouillon de ses successeurs ?
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★☆☆☆☆☆
Phantasy Star se présente comme un JRPG très classique dans son gameplay avec une équipe de 4 personnages jouables aux équipements et compétences qui leur sont propres, un système de combat au tour par tour où on a tout le temps de choisir nos actions, des points d’expérience à accumuler pour gonfler ses statistiques et gagner en puissance de façon linéaire… Mais si ces bases sont tout à fait solides, entre la fourchette de dégâts potentiels et la sélection aléatoire de la cible attaquée c’est plus souvent un heureux hasard que de bons choix qui déterminent la victoire ou la défaite, c’est peut-être le problème n°1 de ce gameplay.
L’aléatoire a sa place dans ce type de système de jeu mais avec certaines limites qui sont ici dépassées à mon sens et qui peuvent rendre l’expérience de jeu très frustrante. En dehors peut-être de quelques boss qui demanderont une stratégie un peu élaborée, ce qui sera d’ailleurs le bienvenu, beaucoup de combats se résument à une succession d’attaques jusqu’à ce que mort s’en suive en espérant que la chance soit avec nous et on entraîne nos persos pour simplement mettre plus de chances de son côté, plutôt que pour acquérir de nouvelles et réelles façons de jouer par exemple.
Le farming est la clef de la progression, la plupart des équipements les plus puissants peuvent être achetés et ce très tôt dans le jeu si le farming a été assez intense, beaucoup de quêtes consistent à farmer suffisamment pour acheter un objet de quête ou un service de PNJ très cher, parfois c’est le fait d’atteindre un certain niveau qui débloquera le sort permettant l’accès à certains donjons… Au moins, c’est concordant avec la présence d’un système de sauvegarde assez permissif, encore heureux, mais c’est vraiment trop exagéré ici quand bien même c’est assez récurrent pour le genre de jeu.
Quelques fautes d’ergonomie entachent également l’expérience de jeu comme le manque de lisibilité sur l’utilité et le coût en mana d’un sort avant son utilisation, quel usage et à qui est destiné telle pièce d’équipement, l’obligation de parler à un PNJ pour connaître les XP avant le prochain level up de chaque membre de l’équipe, le drop automatique de consommables sans intérêt et sans valeur qui encombrent l’inventaire en fin de jeu, le mélange dans cet inventaire des objets consommables, de quête, d’équipement… et toute cette accumulation finit par peser lourd dans la balance.
La répartition des récompenses est assez curieuse également, il m’est par exemple arrivé de gagner 20 fois plus d’argent en tuant un monstre qu’en ouvrant le trésor qu’il gardait. Il y a pas mal d’incohérences de façon générale entre la complexité et la durée de certaines combats et la récompense qui en résulte. Ce n’est pas très grave en soit mais ça témoigne pour moi du manque de maîtrise des développeurs, assez logique vu l’époque mais tout de même déplaisant et s’accumulant à tous les autres problèmes de ce gameplay.
Pour finir sur l’un d’entre eux, la progression peut facilement être bloquée parce que l’on a pas parlé à tel PNJ un peu caché qui nous donne l’indice pour trouver un objet clef quelque-part, qui ne peut être ramassé tant qu’on a pas parlé au PNJ. Donc si on a trouvé le bon emplacement mais qu’on a pas parlé au bon PNJ avant, on ne peut pas avancer. De la même manière, il faut parfois deviner que tel bloc de glace peut être cassé mais pas un autre alors qu’ils ont un design identique, qu’il faut refuser de présenter des papiers qu’on a pas à un robot pour déclencher le combat avec lui et ainsi le passer… bref le gameplay a des bases conventionnelles mais absolument pas maîtrisées pour un contenu généreux qui se retourne ainsi contre lui. Heureusement, ce n’est que là que le jeu se plante.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Les artworks assez détaillés dès l’écran titre et lors des phases de dialogue les plus importantes comme l’intro montrent déjà quelques ambitions visuelles à ne pas négliger et qui illustrent bien l’une des plus grandes forces du titre. Les décors intérieurs comme extérieurs sont variés dans leur couleur dominante, avec une couleur forte pour tout un donjon ou toute une zone. De plus, les arrières-plan sont assez variés dans les combats et dialogue, bien adéquation qui plus est avec le décor sur lequel on se trouvait pendant l’exploration.
Le chara-design des monstres et personnages peut être assez élaboré avec quelques boss assez impressionnants et dans un curieux mais assez plaisant mélange des genres science-fiction et heroic-fantasy, on peut aussi bien retrouver des andromèdes qui tirent des lasers que des dragons crachant leur flamme par exemple. Leurs attaques disposent souvent d’une animation qui leur est propre a minima et la petite animation de notre attaque dépend bien de l’arme choisie, le soin du détail qui ne trompe pas.
Par contre, à la longue il y a quand même beaucoup de recyclage de skins pour les ennemis qui auront simplement une autre couleur parfois, même pour des boss comme les dragons, ça c’est un peu dommage mais c’est bien l’un des rares écueils visuels que j’ai pu relever. Un autre serait que même quand il y a plusieurs ennemis, un seul est affiché à l’écran simultanément, et je n’ai jamais vu différents ennemis affrontés en même temps, sans doute en raison de cette petite limite technique à laquelle on se fait mais qu’ils n’ont pas su contourner.
Pour en revenir aux forces techniques et esthétiques du titre, la vue à la première personne pour l’exploration des donjons comme les combats offre une perspective différente de l’exploration en extérieur et c’était un exercice particulièrement ambitieux et original, notamment pour les donjons. Ce n’est seulement le cas que le titre réussira, j’ai été surpris par un vrai effort de mise en scène pour l’accès au donjon final avec une succession de fulgurances esthétiques qui m’ont réellement bluffé et donné le sentiment de vivre une aventure épique avec des moyens techniques pourtant très limités, je pense même que c’est mon moment préféré du jeu.
Mais cette sensation de vivre une grande aventure passe aussi tout le long du jeu par tous les obstacles visibles sur la carte, qui finiront par être surmontés par l’usage d’un véhicule. Par le jeu des couleurs, la carte de Phantasy Star se laisse comprendre aisément et lorsqu’un nouveau véhicule est débloqué, ses nouvelles possibilités apparaissent comme une évidence. C’est aussi en lien avec les mécaniques de jeu et l’univers, mais c’est surtout par esthétisme des environnements que cela passe le plus pour moi.
Les musiques de Tokuhiko Uwabo, qui avait déjà signé celle d’Alex Kid in Miracle World, sont toutes efficaces dans leur registre et exploitent très bien le potentiel de la machine, malheureusement, la même tare que pour les autres RPG de l’époque s’applique. Elle est beaucoup trop courte par rapport à la durée de vie du jeu et qu’on finit par beaucoup trop les entendre, c’est dommage mais comme elles sont réussies ce n’est pas un drame non plus. Ce qui peut par contre être plus dramatique niveau sonore c’est certains bruitages qui peuvent être très irritants et pourtant redondants, mention spéciale au laser. En dehors de ces quelques écueils mineurs, réalisation et esthétisme relèvent très haut mon niveau d’appréciation pour le jeu, mais il n’y a pas seulement ça.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆
L’univers de science-fiction opté par le jeu marque déjà sa singularité dans le tout jeune genre du JRPG à la tendance médiévale fantastique. On ne pouvait pas alors parler de saturation tant les titres étaient encore rares, mais au moins ça a le mérite évident de se démarquer des autres. Et c’est bien entendu un type d’univers qui se prête très bien à l’exercice du jeu de rôle au sens large, même s’il n’en est pas le premier représentant. C’est donc un choix d’univers tout à fait pertinent à bien des égard pour constituer une base solide aux questions scénaristiques et narratives.
Cet univers se compose de 3 planètes, donc au sens propre il faudrait parler plutôt de système solaire, mais davantage n’aurait pas forcément été meilleur. On a bien des espèces extra-terrestres différentes, allant piocher leur inspiration dans de grandes références comme Star Wars avec des simili jawas sur la planète désertique, même si ce n’est pas non plus énorme c’est quand même déjà pas mal du tout par rapport à un seul continent explorable à l’unique civilisation dans un autre RPG plus typique de l’époque.
Une autre singularité de l’univers rôliste de Phantasy Star est la présence d’un protagoniste féminin, c’était déjà rare à l’époque tout jeu confondu, et si le jeu de rôle est un des genres qui sera le moins gangrené par la présence systématique d’un héros du sexe fort, Phantasy Star n’y est peut-être pas pour rien en s’étant affranchi de ce principe au commencement de sa franchise. En effet, Alis est une combattante émérite et déterminée, menant naturellement et nécessairement le groupe d’aventuriers dans une quête pour laquelle elle gagnera le respect des personnages positifs du récit.
Un petit détail assez curieux et intéressant est à relever également, il est possible de parler aux ennemis et pour certains de les raisonner pour ne pas les affronter. Ça ne sert pas à grand-chose dans les faits, mais je trouve que ça illustre une volonté de ne pas non plus faire de toute la faune locale, qui ne fait jamais que vaquer à ses occupations alors qu’on leur tombe malencontreusement dessus, un ennemi au même titre que des forces maléfiques, des personnages mal intentionnés… un effort louable dont beaucoup de RPG se passent.
Tout n’est pas parfait non plus, quelques péripéties de l’intrigue principale peuvent manquer clairement d’inspiration, comme cette quête très tôt dans le jeu consistant à aller chercher au fin fond d’un donjon très dangereux une boutique secrète pour acheter une pâtisserie afin d’obtenir audience auprès d’un roi qui en raffole. Autant dans un jeu plein de second degré ça pourrait passer, mais dans un jeu au scénario qui se prend tout à fait au sérieux, je suis moins convaincu.
Ce scénario est d’ailleurs au bout du compte une quête du bien contre le mal, un méchant tyran oppresse une gentille population et nous menons une résistance héroïque pour restaurer l’ordre, la paix, le bonheur, les petits oiseaux… Il n’y a rien d’extra-ordinaire là-dedans mais l’exécution en reste très satisfaisante à une époque où trouver un scénario moins manichéen et plus élaboré était quasiment mission impossible. C’est donc un bilan tout à fait positif pour cette partie scénaristique et narrative qui est tout de même important dans un RPG, encore plus dans le premier épisode d’une saga.
CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆
Manquant de maîtrise dans ces éléments de gameplay, Phantasy Star n’en demeure pas moins une forte alternative aux aventures rôlistes sur Nintendo de par son univers, sa réalisation et son esthétisme ne manquant ni de singularité ni de soin. Une fois que j’ai passé outre la frustration de ses combats et allers-retours, j’y ai vécu une belle aventure, parmi les plus belles de sa génération, et c’est ce que j’ai envie de retenir le plus.