When Justice isn't Wright
Après six ans d'absence, la série Ace Attorney a fait son grand retour. Mais après tout, pourquoi avoir attendu si longtemps avant de proposer une suite à la saga ? Sans doute parce que Apollo Justice, le nouvel avocat, n'a pas le même charisme que son illustre ainé, et que le cycle basé autour de lui qui était prévu n'aurait pas eu un grand succès. Ou alors parce que les développeurs étaient en panne d'idées nouvelles.
C'est sûrement ça en fait, parce que finalement, ce Dual Destinies est un épisode pour les fans, qui propose tous les ingrédients qui ont fait le succès de la série, sans prendre le moindre risque, et en réinsérant Phoenix en tant que personnage jouable, ce que tous les fans voulaient...
Et c'est en fait une bonne chose, car en plus d'être un excellent argument commercial, c'est peut-être la seule idée vraiment audacieuse de cet épisode : on incarne plusieurs personnages, dont Phoenix donc. Et l'alternance entre les 3 est plutôt bien fichue, chacun d'entre eux ayant évidemment une personnalité propre, mais aussi un "pouvoir", à l'instar du fameux magatama de Phoenix. L'alternance des points des vue entre les affaires permet donc d'éviter une certaine lassitude, d'enrichir les dialogues et le background et de contenter tout le monde, en proposant l'illustre Phoenix, Apollo (qui avait quand même une certaine fan-base) et un nouveau personnage pour ceux qui souhaitent un peu de surprise.
Et on touche là à la plus grande qualité du soft : ses personnages. Hormis certains témoins un peu pénibles, ils sont tous bien construits, assez profonds, drôles et attachants. Athena est à la fois une bonne héroïne et un bon sidekick, plus utile que ne le fut Vérité/Trucy, et elle dispose d'un background assez étoffé en plus d'avoir un certain charisme ; Blackquill est un procureur intéressant, suffisamment ferme et cassant pour représenter une véritable opposition, mais assez intègre pour ne pas tomber dans le manichéisme idiot de pas mal d'antagonistes de la série ; Fullbright fait très bien le taf de détective qui effectue les rapports de la police, il est sympa, son thème musical déchire et son perpétuel déchirement à propos de la notion de justice est plus intéressant qu'il n'y parait.
Et si Dual Destinies introduit des personnages intéressants, son scénario n'est pas en reste, puisque toutes les affaires sont plus ou moins liées, comme c'est le cas depuis le 3ème épisode. Plutôt bien ficelé si on le considère d'un point de vue global (les histoires de chaque perso sont assez profondes), je dois dire avoir été assez déçu des affaires en elles-même, tant leurs conclusions partaient souvent dans le grand n'importe quoi et les plans de psychopathe farfelu. Un côté un peu trop "roman de gare qui veut se la jouer complexe" qui m'a un peu ennuyé, parce qu'il y a moyen (la série l'a déjà prouvé) de rendre des affaires captivantes sans faire aussi capillotracté...
Surtout que les "codes" ne changent pas, et que le joueur habitué trouvera donc trop facilement le coupable dès le début de l'enquête (sauf dans la dernière affaire qui est particulièrement retorse), tant les mimiques et l'allure des personnages les trahit, comme toujours. Ce qui est plus ennuyeux, c'est que le jeu abuse un peu trop des auto-références et "hommages" dans ses affaires, comme la dernière qui ressemble un peu trop (dans son concept) à un mélange de celle concernant Hunter/Edgeworth du premier opus et la dernière du 3è épisode...
Et là est le gros problème de ce cinquième volet : il transpire le déjà-joué, et surprend moins. Certes, le jeu aura toujours l'art de balancer du cliffhanger de folie qui peut remettre toute une théorie en cause, mais à force d'user des mêmes codes de narration, de mise en scène, celle-ci n'impressionne plus, et finit même par lasser. Par exemple, le fameux "Objection" qui sort de nulle part juste avant que le juge ne rende son verdict, suivi d'un focus sur tous les protagonistes présents lors du procès, avant l'intervention surprise d'un témoin à la barre. c'est sympa une fois, mais quand ça arrive trois fois à chaque affaire, ça finit par ... lasser.
Surtout que la tension n'est plus aussi forte que dans les anciens épisodes, nos collègues n'hésitant jamais à nous révéler précisément les preuves à utiliser ou les failles dans la déposition d'un témoin. Et c'est ... totalement nul, car c'était ça le plus grand plaisir d'un Ace Attorney : galérer sur un témoignage qui semble parfait, avant de trouver la faille microscopique, avec la preuve qui va avec. Alors le sentiment d'accomplissement était grand, et le joueur exultait en même temps que Phoenix brandissait son bras et que la musique s'emballait. Mais à vaincre sans péril... (et je ne parle même pas des "sanctions" du juge qui ne peuvent plus faire peur au joueur, puisque même en cas d'échec, il revient ... pile au même endroit)
Et si les phases d'enquête ont aussi été simplifiées, puisqu'elles ne consistent désormais plus qu'à suivre les dialogues et à "fouiller" un seul lieu. On tend de plus en plus vers le non-jeu, puisque ces phases (bien trop longues) se résument alors à de la lecture presque totalement non-interactive. Et c'est là qu'on se rend compte que le fait de pouvoir "fouiller" chaque lieu et d'être moins guidé dans les dialogues n'était pas une si mauvaise idée, car ça laissait au jeu un aspect point'n click, et surtout ça forçait le joueur à rester actif durant ces phases, qui de toute façon, ont toujours été celles que tout le monde voulait passer rapidement pour passer au procès. Dual Destinies a le mérite d'être moins hypocrite en ne gardant que leur aspect narratif, mais on regrettera quand même leur longueur un peu pénible...
Car il semblerait que les auteurs en charge des dialogues aient changé, et ça se ressent... Tout au long du jeu, on nous parlera donc d'un "Dark age of Law" sorti de nulle part (quid dans Apollo Justice ?), et d'une morale niaiseuse "fabriquer des fausses preuves pour mettre des gens en prison, c'est pas bien". Sans blague. Pire encore, on se tape tous les poncifs de mangas shonen moyens : l'amitié c'est bien, l'union fait la force et l'amour est plus fort que la haine. Suis-je devenu trop vieux pour cela, ou bien est-ce une nouveauté introduite dans cet épisode ? Je ne me rappelais pas avoir trouvé aussi pénibles les morales des anciens opus en tout cas. L'ensemble est en tout cas fort vain, et alors que ceux-ci étaient l'une des plus grandes forces de la série, les dialogues de ce Dual Destinies m'ont souvent ennuyé.
Pour terminer sur une note positive (qui justifie mon (petit) 7), les procès sont toujours aussi prenants (sauf le premier) et même s'ils sont rendus plus faciles et un peu affadis, il reste toujours aussi jouissif de chercher à comprendre la vérité en assemblant toutes les pièces du puzzle alors que les mensonges des témoins sont peu à peu révélés, le tout sur des musiques endiablées, comme celle-ci : http://www.youtube.com/watch?v=JpTQ7fr2yeM Parce que Dual Destinies aura au moins le mérite d'avoir l'une, si pas la, des meilleures OST de la série, avec un nombre incroyable de pistes catchy et d'une bonne qualité sonore (ça change des premiers opus).
Une déception, même si le fan en moi aura quand même pris du plaisir. Je peux cependant difficilement lui octroyer plus qu'un généreux 7, au vu des tares soulevées dans cette critique, et de mon ressenti, franchement mitigé au fond. Le dénouement de la dernière affaire n'y est pas innocent...